Développement de l'enfant

Quand la cellule familiale éclate, pour l’enfant, c’est son monde qui s’écroule. Comment l’aider à faire face à ses émotions, peurs et questions ? Celles-ci peuvent d’ailleurs surprendre. « Maman, qu’est-ce que tu vas faire toute seule sans moi ? », lance Max, 8 ans et demi, qui se tracasse pour les jours où ils ne seront pas ensemble. « Papa m’aime moins que maman », se convainc Sara, 7 ans et demi, parce que, désormais, elle passe moins de temps avec lui qu’avec elle.
Les séparations parentales ne sont jamais anodines pour les enfants qui les vivent. Voici de précieuses balises concernant les plus jeunes qui ne sont plus des bébés et pas encore des ados : elles nous sont données par Mario Alu, psychologue clinicien au service de santé mentale Centre Chapelle-aux-Champs (Woluwe-Saint-Lambert) et au centre de planning familial Bureaux de Quartiers (Schaerbeek).
Lorsque des parents annoncent à leur enfant qu’ils se séparent, est-ce toujours un choc, une souffrance pour lui ?
Mario Alu : « Oui et non. Dans certains cas, l’enfant anticipe la séparation, il s’y attend : il voit ses parents se disputer sans cesse, faire chambre à part… La séparation peut alors être vécue avec soulagement, parce qu’il ne va plus subir toutes ces disputes et toute cette tension qui étaient très angoissantes pour lui.
L’annonce est un choc quand elle est trop soudaine et trop intense. Quand, du jour au lendemain, l’enfant apprend que ses parents se séparent et qu’il n’y a pas été préparé, quand l’un des deux quitte brusquement la maison familiale, par exemple.
Alors, cela veut dire quoi, préparer l’enfant ? Il est important que, d’abord, les deux parents arrivent à élaborer leur séparation pour eux-mêmes et qu’ils aient, ensuite, un même discours face à l’enfant : ‘On ne s’entend plus, on se dispute trop, on ne s’aime plus’. Il s’agit d’introduire déjà l’idée que l’amour entre un homme et une femme est différent de l’amour entre un parent et son enfant. L’amour entre un homme et une femme peut naître, grandir, donner naissance à une famille, puis, un jour, disparaître… Il est essentiel de rassurer l’enfant sur le fait que la séparation conjugale ne va en rien changer l’amour que chacun des deux parents a pour lui, et qu’il pourra continuer à les aimer, l’un et l’autre, comme il le faisait avant.
Tout cela va aider l’enfant à traverser l’épreuve de la séparation : dans la majorité des cas, c’est une épreuve, si on part de l’hypothèse que, dans l’inconscient de l’enfant, le couple est inséparable. Aussi est-il toujours dans l’idéal d’une famille unie, dans l’idéal du temps d’avant. Donc, il va devoir se séparer de cet idéal, faire le deuil de ses parents en couple et, finalement, intégrer que le couple de ses parents est devenu deux entités séparées. Cela prend du temps : des mois, voire des années… »
La séparation parentale est donc une épreuve à traverser pour l’enfant…
M. A. : « Oui, c’est une épreuve de se détacher de tout ce que la famille procurait jusque-là, affectivement, matériellement… Par la force des choses, l’enfant doit y renoncer et se construire une nouvelle façon de vivre au quotidien, avec de nouveaux repères : deux familles, deux maisons, des valises à faire et à défaire… Et cela peut s’accompagner de tristesse comme d’une forme de soulagement. »
Faire la part des choses
Il est souvent difficile pour le parent de faire la part des choses entre ce qui lui appartient et ce qui appartient à l’enfant.
M. A. : « Les parents qui se séparent peuvent être en colère l’un contre l’autre, se reprocher des choses, se détester. L’enfant, lui, n’y peut rien à leurs histoires de couple. Si l’un des parents a de la haine pour l’autre, faire la part des choses revient à ne pas transmettre cette haine à l’enfant (ce n’est pas simple). À le mettre à l’écart des conflits d’adultes, pour qu’il ne se dise pas à un moment : ‘L’un des deux souffre plus, je dois le protéger’. Faire la part des choses, c’est aussi s’adresser à l’enfant en se mettant à sa place : ‘Ton papa, ce n’est pas un bon mari pour moi, mais c’est un bon papa pour toi, je lui fais confiance, tu seras bien avec lui’ ou ‘Ta maman, je veux que tu la respectes, cela ne s’est pas bien passé entre nous, mais, pour moi, elle reste ta maman, elle va continuer à t’aimer et à bien s’occuper de toi’ (chacun trouve les mots qu’il faut). Faire la part des choses, c’est assurer à l’enfant que, quelles que soient leurs difficultés d’adultes, ils seront là pour lui. »
Et qu’est-ce qui se joue pour l’enfant ?
M. A. : « La question œdipienne peut surgir avec plus ou moins de force. On la retrouve dans l’inquiétude du jeune garçon qui demande à sa maman : ‘Qu’est-ce que tu vas faire toute seule sans moi ?’. Le processus œdipien a lieu entre 3 et 6-7 ans. Inconsciemment, l’enfant cherche à avoir une relation fusionnelle avec le parent du sexe opposé et à exclure l’autre parent. Vers 8-9 ans, de tels sentiments ambivalents s’apaisent, mais l’enfant peut rester très attaché à un parent.
Si l’enfant a une relation complice avec un parent, il est légitime qu’au cœur de la séparation, il réagisse : ‘On était si proches. Qu’est-ce que tu vas faire maintenant sans moi ? Et qu’est-ce que je vais faire sans toi ?’. Le parent peut lui répondre : ‘Papa (maman) et moi, on se sépare, mais on est chacun là pour toi, tout ne s’effondre pas, tu vas survivre à cette situation’. Il faut aider l’enfant à poursuivre son processus œdipien malgré la séparation.
Souvent, quand la séparation se passe dans cette période œdipienne, l’enfant peut faire la confusion entre le registre de l’imaginaire et celui de la réalité. Il se dit : ‘J’ai tellement aimé l’un de mes parents et tellement haï ou rejeté l’autre que la conséquence de tout cela est leur séparation’. C’est comme ça qu’un enfant arrive à se mettre en cause lui-même et à se culpabiliser. Il est alors important de reprendre les choses avec lui : ‘Ce n’est pas de ta faute’. »
L’enfant… à sa place d’enfant
Agressivité, indifférence, silence… L’attitude de l’enfant peut déconcerter.
M. A. : « Il faut voir comment l’enfant était avant la séparation et comment il est après. Un enfant de nature réservée, timide, qui est peu dans la parole aura tendance à peu s’exprimer verbalement. Pour l’aider, on peut lui proposer des outils qui lui ouvrent les portes de l’expression, de la symbolisation : raconter une histoire, le faire dessiner ou bricoler…
Maintenant, si l’enfant était spontanément dans la parole avant la séparation et qu’après, il se ferme, s’il est soudain agité, ne parvient plus à se concentrer, ne travaille plus bien à l’école - beaucoup d’autres symptômes sont possibles -, bref, si on ne le reconnaît plus, un travail s’impose pour l’aider à symboliser ce qui est insupportable pour lui. Ce travail peut être fait en famille ou avec un thérapeute éventuellement.
D’une façon générale, pour tous les enfants, il est bénéfique de bien séparer les choses dans l’espace et le temps : avoir un espace à soi dans la maison de papa et dans celle de maman, connaître et anticiper le nombre de dodos chez l’un et chez l’autre… »
« Il ne faut pas mettre l’enfant dans des situations telles qu’il doive gérer des choses qui ne lui appartiennent pas ou qu’il ne peut pas assumer »
L’enfant peut être empêtré dans un conflit de loyauté. Prenez cette fillette de 9 ans à qui on demande si elle veut vivre avec son père ou avec sa mère et qui répond : « Avec ma sœur » !
M. A. : « L’enfant doit savoir qu’il appartient à deux lignées : la famille de son papa et la famille de sa maman. Il a une part en lui de son père et une part en lui de sa mère. Cette double filiation le structure. Chaque fois qu’on lui demande de choisir entre ses deux parents, de prendre parti pour l’un contre l’autre, c’est la double filiation qui est mise à mal. Lorsque l’enfant est pris dans un conflit de loyauté, il faut vraiment qu’il en soit dégagé, qu’il n’ait pas à se poser la question ‘Est-ce que j’aime plus papa ou maman ?’. ‘Ils sont tous les deux là pour moi. Je les aime, peut-être différemment, mais autant l’un que l’autre. Et j’ai besoin de leur amour et de leur protection pour être bien avec moi-même et continuer à bien grandir’. »
La notion de respect est primordiale. Comment la déclinez-vous ?
M. A. : « Le respect concerne, en premier lieu, l’enfant. Il ne faut jamais oublier qu’il est un enfant et qu’il doit rester à sa place d’enfant, dans une certaine insouciance propre à l’enfance. Et donc, il ne faut pas le mettre dans des situations telles qu’il doive gérer des choses qui ne lui appartiennent pas ou qu’il ne peut pas assumer parce qu’il est trop jeune. C’est une position que le parent doit tenir et qu’il doit verbaliser auprès de l’enfant : ‘Ne t’en fais pas, ce n’est pas à toi à gérer cela’. Après, respecter l’enfant, c’est continuer à bien s’occuper de ses besoins, en fonction de son âge : besoins sur le plan de l’alimentation, du sommeil, du jeu, de l’apprentissage… Respecter l’enfant, c’est enfin laisser place à sa parole, et l’entendre. Être dans une relation où sa parole et sa subjectivité sont vraiment soutenues. »
La crise du Covid a montré la force de créativité et la capacité d’adaptation des enfants, deux atouts précieux en cas de séparation parentale…
M. A. : « Vous avez raison. C’est, entre autres, grâce au soutien des parents que l’enfant peut déployer sa créativité ou sa capacité d’adaptation, quand les liens avec ses parents restent vivants, tout simplement. »
EN PRATIQUE
Des aides, des livres
- Les « personnes-ressources » pour l’enfant, ce sont d’abord ses parents, ainsi que l’entourage proche. Lorsque la parole ne circule plus, que l’enfant souffre, que la situation devient ingérable, il ne faut pas hésiter à faire appel à un tiers : le médecin traitant, le centre PMS, un·e professionnel·le de la santé mentale (psychologue, pédopsychiatre)…
- Initiative originale, à visée préventive : le Centre Chapelle-aux-Champs met en place un groupe d’échange et d’entraide pour les enfants (âgés de 6 à 10 ans environ) dont les parents sont séparés ou en voie de séparation. Infos sur chapelle-aux-champs.be et au 02/764 31 20 ou 02/764 31 43 (auprès de Hélène Pillet).
- La séparation est conflictuelle ? La communication passe mal entre parents ? Entamer une médiation (soit un processus de résolution des conflits, qui respecte les besoins des parties, avec l’aide d’un tiers indépendant et impartial) peut être utile. Infos sur le site de la Commission fédérale de médiation.
- Les livres jeunesse sur le thème de la séparation sont variés. Un coup de cœur : Mon Royaume de Kitty Crowther (Pastel/L’école des loisirs), dès 6 ans.
- Autre coup de cœur, pour les adultes : Leur séparation de Sophie Lemp (Allary). L’auteure y revit, trente ans plus tard, le divorce de ses parents. Un roman petit par la taille, immense par les émotions qu’il dévoile.
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