Vie pratique

Derrière les jeunes adultes qui affirment ne pas vouloir d’enfants, il y a des parents aux prises avec leur propre désir (ou non) d’avoir des petits-enfants.
La fille unique de Marie le lui a déjà dit clairement : « Avec moi, tu ne seras jamais grand-mère ». Comme la plupart de ses amies, la jeune femme de bientôt 30 ans ne souhaite pas avoir d’enfant. « Elle affirme avec beaucoup de résolution qu’elle-même redoute son propre avenir et qu’elle ne se voit pas mettre au monde un enfant dans une pareille société, explique Marie. Outre le réchauffement climatique et la destruction des écosystèmes, elle s’inquiète également de la prédominance de l’IA sur nos vies ».
« C’est son choix et je le comprends »
« Toutes ces perspectives sont très différentes de celles qu’on avait dans ma génération, où on avait l’espoir que le progrès allait tout résoudre, réfléchit-elle. C’est son choix et je le comprends. Je le regrette dans le sens où je trouve que c’est un peu triste pour elle. Et je me demande si elle ne changera pas un jour d’avis. Mais je la comprends ». Marie n’est d’ailleurs pas la seule dans son entourage à ne pas avoir de petits-enfants. « Chez mes propres amis, dont les enfants sont également nés dans les années nonante, c’est pareil. J’ai très peu d’amis de mon âge qui sont grands-parents ».
« Il y a quelques années, je ressentais le désir d’être grand-mère, continue-t-elle. Parce que j’ai toujours eu un très bon contact avec les jeunes enfants. Je m’en suis beaucoup occupée, y compris quand ma fille était petite. J’aime bien l’idée de transmettre. Maintenant j’ai accepté que cette transmission ne passerait pas par la filiation. Je me suis fait une raison. Et puis, en vieillissant, je me dis que j’aurais peut-être moins à donner à mes petits-enfants, parce que je deviens moins habile, moins vaillante. »
« Ça ne te manque pas ? »
Dans d’autres familles, le sujet suscite le questionnement sans être abordé ouvertement. Helena et son mari sont attentifs à ne mettre aucune pression sur leurs filles de 30 et 32 ans. Elles poursuivent des parcours professionnels hors des sentiers battus et ne semblent pas, ou pas encore, avoir le projet de fonder une famille. « L’idée d’être grands-parents est théorique pour nous. Elle ne prendra sens que si un jour l’une d’elles attend un bébé. On n’est pas dans le modèle classique de se dire : ‘Bientôt, je vais dédier tous mes mercredis après-midi à mes petits-enfants’ ».
Elle perçoit cependant autour d’elle des clichés bien ancrés. « Quand on en parle entre copines de mon âge, certaines me demandent : ‘Ça ne te manque pas ?’. Et quand on revoit des gens après longtemps, ce sont souvent les mêmes questions qui reviennent : comment vont les filles ? Elles sont en couple ? Elles ont des enfants ? ». Convaincue que « [ses] enfants ne [lui] appartiennent pas », elle affirme que sa fierté, aujourd’hui, est de voir ses filles épanouies : « Je trouve chouette que la jeune génération puisse dire : j’ai d’autres passions et je ne veux pas les laisser passer à la trappe ».
Le « deuil » d’être grand-parent
C’est un article publié sur le site du New York Times et consacré au « chagrin silencieux de ne jamais devenir grand-parent » (The Unspoken Grief of Never Becoming a Grandparent) qui nous a poussés à partir à la recherche de témoignages comme ceux de Marie et Helena. On y lit que de plus en plus de jeunes Américain·es choisissent de ne pas avoir d’enfants. En Belgique, les statistiques et prévisions de natalité suggèrent une tendance comparable. Le nombre de naissances diminue depuis plus de dix ans, tout comme le nombre moyen d’enfants par femme. « Il apparaît que l’évolution actuelle de la société et les grands défis qui encadrent cette évolution jouent non seulement sur l’âge à la maternité, mais aussi sur le nombre d’enfants désiré par les couples », écrit le Bureau fédéral du plan.
Dans de nombreux cas, bien sûr, ne pas devenir parent n’est pas un choix, mais une impossibilité ou tout simplement un fait, un constat, lorsque l’occasion ne se présente pas ou pas au bon moment. Un parcours de vie comme celui que raconte l’autrice et illustratrice québécoise Catherine Gauthier dans son roman graphique Je pense que j’en aurai pas. Elle y met en scène une conversation avec sa mère, qui prend de ses nouvelles suite à sa rupture amoureuse, à 37 ans. Et lui dit : « On doit faire notre deuil d’être grands-parents. C’est dur ».
Mille manières de transmettre
Quelle qu’en soit la raison, la prise de conscience qu’ils ou elles ne deviendront (peut-être) pas grands-parents est douloureuse pour certain·es, confirme la psychologue Mireille Pauluis. Plusieurs fois, des patient·es ont évoqué avec elle cette difficulté : « Les personnes qui souffrent de ne pas avoir de petits-enfants sont souvent celles pour qui la transmission familiale est très importante. Se dire : ‘Je ne vais pas pouvoir transmettre mes histoires, tout ce que j’ai reçu’… pour beaucoup, c’est une perte. Certaines se réjouissaient aussi de pouvoir de nouveau s’occuper d’enfants ». Sans compter que parfois, nous souffle-t-on, un sentiment de culpabilité pointe le bout de son nez : quel parent ai-je été pour que mon enfant ne veuille pas le devenir ?
Le sujet est complexe, précise la psychologue. Car la société a évolué à de nombreux niveaux, tant du point de vue des perspectives que de la vie quotidienne et des aspirations personnelles. « Il y a tant de choses qui ont changé en cinquante-soixante ans. Je pense que beaucoup de parents en âge de devenir grands-parents se sentent un peu perdus ». Les femmes, en particulier, ont grandi et sont devenues mères à une époque où la réalisation d’une femme passait par le fait d’avoir des enfants, fait-elle remarquer.
Chaque réalité est bien sûr différente, et le désir de grand-parentalité n’est pas toujours présent, pas plus que le désir d’enfant. Loin de nous la prétention de résumer, en quelques lignes à peine, une telle diversité de vécus. Notre souhait serait plutôt d’ouvrir la discussion sur une question sensible, mais très actuelle, et encore peu abordée. Quant à Mireille Pauluis, elle invite les parents à essayer de comprendre les choix de leurs enfants et, pourquoi pas, à penser autrement leur envie de transmission : « Quand on a du plaisir à transmettre, on trouve mille manières de le faire ».
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