Société

Depuis le début de la guerre en Ukraine, les mouvements d’aide et de soutien se multiplient au sein de la population. En Europe et aux quatre coins de la Belgique. Une solidarité très concrète, rarement rencontrée précédemment, et qui est le fait de citoyens et citoyennes, dont Kim Koffel de Longueville.
Longueville, petit village paisible de 800 habitants, rattaché à la commune de Chaumont-Gistoux. Une journée ensoleillée et quasi printanière. Au même moment, à plus de deux mille kilomètres, Kiev et d’autres villes d’Ukraine sont sous les bombes et sous la neige. Femmes, enfants et vieillards fuient leurs lieux de vie devenus synonymes de dangers de mort. De part et d’autre, deux populations que peu de choses devaient amener à se rencontrer, sauf que le Président russe en a décidé autrement.
Les communes en première ligne
Nous avions prévu de dresser le portrait d’un jeune animé par la passion de l’intégration robotique. L’actualité a bousculé notre agenda. Nous avons postposé cette rencontre pour aller à la rencontre d’un de ces volontaires qui s’est proposé pour accueillir des réfugié·es de cette guerre innommable déclenchée par Vladimir Poutine le 23 février. Depuis, une impressionnante mobilisation s’est rapidement mise en place suite à l’appel #PlaceDispo, relayé principalement par les communes belges.
À Gembloux, l’appel est passé par la cellule de la Coordination-planification des urgences de l’administration communale. Parallèlement, la mobilisation a été relayée par le collectif de citoyen·nes Gembloux hospitalière, fondé en 2018 pour venir en aide aux migrant·es en transit de diverses nationalités, notamment via le lieu d’accueil La Ruche.
Benoit Malisoux, responsable de la cellule de la Coordination-planification des urgences à Gembloux, nous apprend début mars qu’il a déjà reçu une quarantaine de propositions pour une capacité de deux cents personnes environ. Et nous passe les coordonnées de Kim Koffel.
Le monde est un village
S’il n’a jamais accueilli de réfugiés chez lui, Kim Koffel en a néanmoins croisé souvent dans sa vie. Américain installé depuis des années en Belgique, engagé dans une grande multinationale et, depuis vingt ans, dirigeant de sa propre entreprise spécialisée dans la transformation des systèmes de santé publique dans les pays en développement (il travaille actuellement avec les mineurs artisanaux en RDC, un secteur en expansion avec le passage aux véhicules électriques), il a rarement passé plus de deux semaines d’affilée dans sa maison.
« J’ai travaillé dans un peu plus de deux cents pays, explique-t-il avec son accent américain très prononcé. Après plusieurs voyages en Asie, j’ai compris que les Américains ne comprenaient pas le monde et j’ai voulu que mes enfants grandissent ailleurs ». Alors que ses cadets sont âgés de 4 et 5 ans, Kim Koffel choisit de s’installer en Belgique, « même si je déteste la météo ici », précise-t-il en riant. « Le système d’éducation est très bon, la vie familiale y est bien. Et je voulais m’installer dans un petit village francophone ».
« Aider quelqu’un, donner l’espoir, c’est le meilleur sentiment que tu peux vivre dans ta vie »
Sa carrière internationale l’amène dans quantité de régions apparues dans l’actualité ces dernières décennies et rarement pour de bonnes raisons : Angola, Mozambique, Rwanda, Lybie, Palestine, Irak, Nord Kivu en République Démocratique du Congo, Guinée, Somalie… « Je te montre quelques photos », enchaîne-t-il en nous entraînant vers plusieurs pièces de son rez-de-chaussée en s’arrêtant devant des images où, malgré leur misère ou leur drame, les habitant·es montrent leur débrouillardise ou leur joie de vivre.
« J’ai vu de tout dans le monde, se souvient-il, des guerres, des réfugiés qui marchent mille kilomètres pour sauver leur famille. Ce n’est pas n’importe qui qui peut faire ça. Cela demande beaucoup de courage. La population belge n’est pas toujours bien informée sur la situation des réfugiés dans le monde. Désolé. Du coup, les gens ont peur. Peur des gens différents, peur pour leur job. Ils perdent confiance. »
Et il ajoute dans un grand soupir : « Beaucoup de gens ne font pas d’efforts pour les intégrer dans notre société ». Du haut de ses 68 ans, il ne perd pas espoir pour autant et ose croire en une évolution : « Une bonne chose avec la crise ukrainienne, explique-t-il dans son français approximatif, c’est qu’elle va peut-être changer le narratif à propos des réfugiés. Les Ukrainiens sont blancs, avec des yeux bleus, veulent devenir Européens. Mais ce sont d’abord des réfugiés et peut-être que le regard sur les réfugiés en général va changer ».
Créer une communauté
Kim Koffel habite dans une grande maison où il a logé sa famille recomposée, quatre enfants de deux mariages. Il vit désormais avec ses deux adolescents de 14 et 16 ans, les aînés vivant à Prague et à Bruxelles. Ce qui offre la possibilité d’accueillir sept personnes. Mais l’Américain n’a pas voulu s’engager seul dans cet accueil.
« Trois, quatre de mes voisins sont aussi prêts à ouvrir leur maison, précise-t-il. Avec le covid, je suis resté deux ans à la maison, c’est le temps le plus long de toute ma vie à être resté au même endroit. En février, quand le covid a démarré, on est sorti pour applaudir les travailleurs et travailleuses de la santé. Cela nous a rapprochés. Entre voisins, on est devenu amis. Je leur ai parlé de mon envie d’accueillir des Ukrainiens pour leur demander si cela leur posait un problème. Nous formons une communauté et je trouvais bien que celle-ci puisse accueillir plusieurs réfugiés. L’idée est qu’ils ne soient pas isolés, qu’ils se retrouvent avec des gens de leur culture, peut-être de leur village. Dans certains camps de réfugiés que j’ai visités à l’étranger, j’ai vu des kiosques où ils peuvent s’enregistrer afin de retrouver des proches. Après avoir tout perdu, son pays, sa maison, sa communauté, vraiment tout, retrouver des contacts est un vrai besoin pour les réfugiés. »
Comme une famille recomposée
Malgré sa détermination, Kim Koffel est conscient que la cohabitation dans son habitation ne va pas nécessairement se passer sans problème. « C’est certain. Il y a dix mille questions : les assurances, les soins de santé, l’alimentation, la langue, les transports… La durée aussi de l’accueil. Tu te lances avec ton bon cœur, mais qu’est-ce que l’on fait si ça ne marche pas ? Les gens vivent dans ta maison avec toi… Est-ce qu’il y a un support social, psychologique ? Des situations délicates, il peut y en avoir. C’est comme une famille recomposée. Il faut pouvoir parler des problèmes, pour éviter les frustrations et les disputes ».
Kim croit à la force de ceux et celles qui ont déjà tellement affronté pour arriver dans notre pays. « La plupart des réfugiés sont bien éduqués, élèvent leurs enfants, avaient un métier. Ils arrivent chez nous sans rien, presque pas de vêtements. Quitter Kiev a été un vrai cauchemar, passer la frontière a été horrible. Ils l’ont fait. C’est un courage énorme ».
Et il ajoute ce qui revient chez lui comme un leitmotiv : « Il faut trouver le petit chemin de la communication. Je crois beaucoup à la force de la communauté, mélanger les publics autour de repas, permettre aux Ukrainiens de raconter leur histoire, se rendre compte qu’ils sont proches de nous. Je veux aussi que ce soit l’occasion pour mes enfants de découvrir d’autres réalités, une autre cuisine, etc. ».
On peut d’ailleurs se demander comment ses deux adolescents ont réagi au projet de leur père. Celui-ci leur a bien évidemment demandé leur avis et n’a pas été surpris par leur réaction positive, car il a toujours eu à cœur de les sensibiliser aux réalités d’ailleurs.
« Avec ma troisième compagne, avec qui je suis depuis neuf ans, il m’est arrivé d’emmener ma famille recomposée de quatre enfants à l’étranger et je voulais qu’ils voient comment vivaient les gens. Ils me disaient : ‘Shit, ils n’ont rien ici, mais ils sont contents avec leur famille, ils parlent avec tout le monde. En Belgique, on ne prend pas le temps de parler’. Ils étaient vraiment choqués. »
Aussi est-il convaincu qu’accueillir des réfugié·es va dans le sens de l’éducation qu’il a voulu leur donner : « Aider quelqu’un, donner l’espoir, c’est le meilleur sentiment que tu peux vivre dans ta vie. Retrouver le sens de l’humain. On a perdu tout ça », dit-il au moment de nous quitter.
EN PRATIQUE
Comment agir ?
- Vous voulez héberger ou vous accueillez déjà des réfugié·es et vous vous posez des questions ? Le projet Comme À La Maison » de l’asbl SINGA apporte un éclairage sur les modalités d'accueil et d'hébergement de personnes réfugiées à domicile ou en colocation. Contact : 0476/57 42 70.
- Vous voulez vous informer sur le statut des réfugié·es ukrainien·nes ? Le Ciré, la Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers, a rédigé une note très complète et très utile (possibilités d’arrivée, séjour et statut juridique). Ce document se trouve sur cire.be
- Vous voulez apporter une aide financière ? Les membres du Consortium 12-12 (qui rassemble plusieurs organisations humanitaires) ont lancé un appel conjoint en faveur des victimes de la crise en Ukraine (dons possibles via le compte bancaire BE 19 0000 0000 1212 et en ligne via 1212.be).
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