Crèche et école

Le b.a.-ba de la lecture chez les petit·e·s

Plus on nourrit l’intérêt de l’enfant pour la lecture, plus celui-ci est grandissant

Dans les rapports nationaux et internationaux d’évaluation en lecture, nos élèves ne brillent guère. Certain·es enseignant·es se sentent parfois découragé·es pour obtenir les résultats attendus par les instances. Dans ce contexte, les initiatives qui suscitent l’enthousiasme sont toujours bonnes à prendre. Pour les principaux concernés comme pour… les parents.

750 ! En 2019, 750 enseignant·es de maternelle se sont déplacé·es pour suivre un cycle de huit conférences dispensées par la linguiste française Céline Alvarez. Ce cycle était organisé à la demande de la ministre de l’Enseignement francophone. Proposant un mixte de diverses pédagogies et des découvertes récentes en neurosciences, elle a apporté un souffle revigorant dans un secteur parfois désorienté par les contraintes administratives et décrétales. De son expérience belge, elle a d’ailleurs sorti un ouvrage au titre éloquent et ambitieux : Une année pour tout changer. Il faisait suite à son premier best-seller, Les lois naturelles de l’enfant (Les Arènes).

La lecture naturelle selon Céline Alvarez

Institutrice en maternelle dans une école namuroise depuis des années, Isabelle Duray est sortie pleine d’enthousiasme de cette formation que des collègues de primaire lui avaient recommandée. « Cette approche m’a tout de suite motivée car j’avais l’impression que je ne parvenais plus à motiver les élèves, à entrer en contact avec eux », explique-t-elle.
Isabelle enseigne dans une classe où sont regroupés les trois niveaux de maternelle et où les élèves sont de plusieurs nationalités. « Céline Alvarez nous invite à présenter progressivement les différentes lettres de l’alphabet, au début les plus simples, celles dont le son est basique, et ainsi de suite. Surtout, elle les associe à des objets dont le son commence par telle lettre pour travailler la discrimination auditive. Le résultat est étonnant : les enfants entrent dans la lecture spontanément sans avoir eu pour autant un cours de lecture ».
Il n’y a pas à proprement parler de méthode pédagogique Céline Alvarez, mais une manière de considérer l’apprentissage, le rôle de l’enseignant·e et les différentes avancées en neuroscience. « Elle explique que le cerveau d’un petit enfant reconnaît d’abord des animaux, des objets, des personnes et n’est pas fait pour lire des lettres, se souvient Isabelle Duray. La plasticité cérébrale d’un enfant de 3 ans est meilleure que celle des âges suivants et en commençant dès son plus jeune âge à associer des images, des sons et des lettres, une zone du cerveau se spécialise à la lecture. Plus tôt on les leur présente, plus on ouvre des portes dans leur cerveau ».

Plus on nourrit l’intérêt de l’enfant, plus celui-ci est grandissant

C’est cette spontanéité dans l’apprentissage, cette immersion naturelle dans la lecture qui a particulièrement séduit Isabelle Duray. Mais également la satisfaction et le plaisir qu’en tirent les élèves, au point que cela se reflète sur l’ambiance générale dans sa classe. « Le matin, certains se mettent spontanément à reconstituer des mots avec les lettres magnétiques comme celui du jour de la semaine. Ils se mettent à deux, trois et le font seuls. Ces lettres permettent à l’enfant de ne pas devoir écrire, cela viendra en primaire, car on reste bien en maternelle. Je n’en fais pas des petits singes savants. Plus on nourrit l’intérêt de l’enfant, plus celui-ci est grandissant ».
Céline Alvarez valorise une immersion naturelle dans la lecture et les autres matières par une motivation naturelle. Elle crée surtout un état d’esprit centré sur la relation humaine : « Céline Alvarez valorise notre métier, se réjouit Isabelle Duray, et ses formations font du bien rien que pour ça. De plus, son site (celinealvarez.org) est ouvert, gratuit et propose un forum sur lequel enseignant·e·s et parents posent régulièrement leurs questions et échangent leurs expériences. Dans ma classe, il y a une autre ambiance, plus calme, où les élèves sont respectueux, s’entraident, s’émerveillent des progrès des autres. On l’appelle d’ailleurs la classe zen ! ».

« e-s-a-r-i-n-t-u-l-o » : une clé pour la lecture

Instituteurs, mais aussi pères et grands-pères, ainsi que docteurs en sciences de l’éducation, Léonard Guillaume et Jean-François Manil ont toujours considéré qu’apprendre et découvrir le monde devait se faire sans ennui ni dégoût.
« Nous sommes convaincus de deux choses, explique Jean-François Manil, instituteur à la Maison des enfants, dans le hameau de Buzet (Floreffe) : d’une part, un apprentissage savoureux et réussi permet aux enfants de se construire et même de se re-construire ; d’autre part, l’émotion et l’apprentissage sont intimement liés. Je suis toujours partiellement instituteur, poursuit-il. Je me suis occupé des plus jeunes pendant plus de quinze ans. J'ai rapidement abandonné la ‘guerre des méthodes’ pour m'orienter vers le principe de ‘thermodynamique pédagogique’ : le moins d'efforts pour le plus de résultats. C'est la linguistique qui est venue à mon secours. Les lettres ‘e-s-a-r-i-n-t-u-l-o’ sont celles utilisées le plus fréquemment en langue française. J'ai donc testé abondamment l'usage de ces lettres avec mes petits élèves pour observer l'impact très positif sur la maitrise du code. »
Parallèlement, il rédigeait des histoires lues à ses élèves sans jamais les avoir publiées. Fan de littérature jeunesse, il en a observé l'évolution remarquable en plus de trente années de carrière. « Un jour, se souvient Jean-François Manil, j'ai demandé aux plus grands des élèves d'inventer des phrases sensées au départ des lettres ‘e-s-a-r-i-n-t-u-l-o’. Elles étaient destinées à être lues par les petits. Je me suis alors rendu compte du potentiel de rédaction qui se cachait derrière ces quelques lettres. Nous y avons ajouté le ‘m’ pour écrire ‘maman’ et le ‘p’ pour ‘papa’ et des cases blanches pour les lettres manquantes. L'effet a été immédiat sur les enfants et sur moi. De là est venue l'idée de rédiger des histoires en respectant la contrainte de n'introduire que quelques lettres supplémentaires ».
La collection Esarintulo était née (voir encadré). « Écrire pour les enfants est un exercice exigeant, précise-t-il. Ce qui est proposé doit être à la hauteur de leur intelligence. Une histoire, courte ou longue, doit être belle, et les faire communiquer avec le monde. Peut-être même provoquer une résonnance avec celui-ci. Les enfants, ils aiment ou pas, il n’y a pas de demi-mesure. Cela implique d’être vrai, d’essayer de trouver les mots justes et de proposer des récits qui les fassent vibrer, réfléchir, pleurer, rire, s’émerveiller, poser des questions ».

EN SAVOIR +

Des outils à découvrir

► La collection Alvarez

Parue en septembre 2019, la boîte « Lettres magnétiques » des Lectures naturelles de Céline Alvarez qui a déjà cartonné au rayon des achats éducatifs est aujourd’hui complétée par un nouvel ensemble de lettres magnétiques consacrées aux animaux. Comme la première, celle-ci contient un livret de seize pages présentant la méthode de la lecture naturelle et un mode d’emploi pour utiliser les dix images d’animaux et quarante-trois graphèmes nécessaires à la composition des dix mots proposés.
Selon l’âge de l’enfant ou le stade où il se trouve, le boîtier peut s’utiliser avec l’aide d’un adulte (parent, grand-parent ou enseignant·e) ou de manière autonome. Dans la même veine, Céline Alvarez a lancé une collection d’histoires à lire seul dès 3 ans, qui s’inspirent de contes traditionnels. Une affaire qui marche puisque voici trois nouveaux titres, Tom PouceLa Bonne Galette ainsi qu’Hansel et Gretel, ce qui porte le nombre d’albums de la collection Lectures naturelles à quinze titres.
Ces trois nouveaux contes ouvrent le niveau 2 avec un degré de difficulté légèrement plus élevé en intégrant quelques nouveaux diagrammes et mots-outils fréquents comme ET/EST/UN.

► La collection Esarintulo

La collection Esarintulo compte à ce jour trois titres édités par P&M Education : Tili, la sourisTiméon, le lion et Lotu la tortue. Maud Roegiers, dont nous avons présenté plusieurs albums dans le Ligueur, a apporté sa touche artistique aux textes. Ils peuvent être proposés aux enfants à partir de 2 ans, accompagnés d’une grande personne. À partir de 5 ans, tout seul. Trois nouveaux albums sont en cours d’édition. Par ailleurs, le site propose quelques théories et modèles, dont Sept facilitateurs à l’apprentissage, qui ont servi de base scientifique au matériel proposé.