Développement de l'enfant

Le bavardage à l’école évoquerait presque quelque chose de mignon et d’innocent. Seulement, lorsque l’on en parle avec les enseignants, ils le décrivent comme un fléau usant. En dépit de sa constance, l’école, elle, est peu bavarde sur le sujet. L’occasion d’ouvrir le dialogue. Plusieurs profs - dont Florence Ehnuel, auteur du pamphlétaire Le Bavardage, parlons-en enfin - livrent quelques petits trucs aux parents pour faire cesser ce blabla incessant.
Des chuchotements discrets de vos petits aux mots mélangés, à peine masqués, de tout un groupe d’élèves, le bavardage dispose d’une vaste palette. Il dit plusieurs choses. « On bavarde quand on s’ennuie, mais, a contrario, aussi quand on est intéressé par le cours », constate Bastien, prof d’histoire dans le secondaire.
Pour Florence Ehnuel, professeur de philosophie et auteure du très remarqué en France Le bavardage, parlons-en enfin, les élèves ne savent plus se taire. Elle défend l’idée que la discussion incessante des écoliers est un fléau. « Les enseignants le vivent comme si c’était de leur faute. Alors que pour les injures, par exemple, ils savent qu’ils sont victimes ».
Ce que dit le bavardage
Premier constat : il ressort chez les enseignants interrogés un sentiment de solitude face au phénomène. Judith, prof de maths en secondaire, explique : « Une fois qu’on a tout testé pour faire taire les bavardages, on se demande par quel miracle ils vont bien pouvoir cesser. C’est très difficile d’en parler entre collègues, on se dit que certains sont épargnés et bénéficient d’une aura naturelle, alors que nous-mêmes, nous sommes condamnés à dispenser un cours dans le bordel. »
C’est ce mélange d’angoisse, de remise en question, de sentiment d’humiliation et d’extrême fatigue qui a poussé Florence Ehnuel à étudier la question du bavardage. Pour elle, continuer à exercer dans de telles conditions relève de l’ascèse. « En général, ce n’est pas intentionnellement contre le prof, mais celui-ci est usé par ce bruit et cette absence de considération. Dans la mesure où l’on a l’impression d’avoir tout essayé, tout mis en place, ce n’est plus de l’ordre de la pédagogie. »
Pourquoi ces petites pipelettes n’arrivent-elles pas à s’arrêter ? Le manque de concentration est d’abord évoqué. Thibault et ses copains, tous âgés de 13 ans, confessent : « Au bout d’un moment, tu décroches, tu peux plus suivre le cours. Et parler avec ton pote, ça te vide un peu la tête. C’est pas du désintérêt ou un manque de respect ».
Programmes et rythmes scolaires reviennent souvent sur le tapis. Ils semblent inappropriés à la réalité du terrain. Autre raison évoquée par les enseignants : la disposition en classe. La formule classique, prof face aux élèves, amplifie les remarques, les petits commentaires ou le goût de provoquer l’autorité. Bastien pousse d’ailleurs la réflexion : « Ça s’amplifie avec l’âge. Un ado de 13 ans a moins d’assurance qu’un autre de 17 ans. S’il est catalogué comme indiscipliné, il a une réputation à tenir. Il remet son titre en jeu à chaque cours. »
Autre facteur aggravant : le manque d’écoute. Alors, tout le monde parle en même temps. Pour Judith, le flot incessant de mots de ses élèves vient de la sur-communication : « Combien d’enfants ou d’ados rentrent chez eux, allument la télé, vont sur l’ordi, discutent et communiquent avec un bruit de fond permanent ? ». Bastien abonde. « On est dans l'immédiateté de la parole, même irréfléchie. Les sms, les réseaux sociaux. On parle vite pour ne rien dire. Ce n’est pas sans répercussions ». Dans ce contexte, les témoins s’interrogent, comment la transmission du savoir peut-elle s’opérer ?
Les petits des trucs des profs
Florence Enhuel affirme que « cette forme d’indiscipline n’est pas le résultat de l’incompétence de l’enseignement ». Ce qui n’empêche pas certains d’avoir des petits trucs. Adèle, prof de morale, nous en livre quelques-uns. « Je regarde fixement les bavards sans parler. À un moment donné, toute la classe se tourne vers eux et ils se sentent gênés. S’il y a récidive, je les fais venir au tableau. Je dresse aussi des plans de classe basés sur le manque d’affinités entre voisins de table. »
Judith a improvisé une technique. Un jour, alors qu’elle avait simplement demandé à plusieurs reprises à un élève de se taire, celui-ci l’a accusée d’être raciste. Le ton est monté. La classe a pris parti. Judith a alors lancé : « Le temps d’une minute, tu te glisses dans ma peau. Est-ce que tu crois vraiment que si j’étais raciste, je m’embêterais à partager ma passion avec des gens que je n’aime pas ? Est-ce que je m’embêterais à me lever parfois à 5h du matin pour préparer mes cours pour des individus que je n’estime pas ? ».
Puis elle a demandé à l’élève de se lever, de se mettre au bureau et de rentrer dans la peau d’un prof. Silence dans la classe. Rires, puis applaudissements. Depuis cette histoire, la jeune femme dispense ses cours dans une ambiance « apaisée ».
Et votre rôle, parents ?
Florence Enhuel insiste sur le fait que c’est aussi aux parents de montrer l’exemple par une vraie écoute aux élèves. « Ils peuvent expliquer à leurs enfants que de la même manière que l’on apprend aux petits à maîtriser leurs besoins naturels, à se rendre sur le pot, à ne pas faire pipi au lit, il est important de maîtriser leur spontanéité verbale. On oublie souvent que le droit à la parole va avec le devoir d'écouter. »
L’auteure constate que les élèves trouvent normal le fait de s'exprimer en même temps que le professeur. Il est peut-être utile de leur expliquer que leur bavardage est un acte nuisible pour tous, y compris eux-mêmes. « Pourquoi ne pas en parler avec les enseignants, suggère Adèle. Il est important de faire exister cette indiscipline comme un acte véritable et non comme un phénomène anodin. Que l’on explique bien aux parents que ce n'est pas juste une question d'autorité naturelle, mais d’éducation. »
Florence Ehnuel propose une réflexion sur la façon de gérer la classe. « D’abord par le biais d’une pédagogie adaptée via des travaux en groupe, des pauses, des activités variées. Et, ensuite, en repensant le cours magistral qui ne peut plus aujourd'hui être qu'un outil parmi d'autres. »
Les témoins insistent lourdement sur la formation du corps enseignant en termes de gestion de groupe, qu’ils estiment très insuffisante et inadaptée. En réalité, ces derniers demandent simplement une plus grande écoute. Car sans elle, il est impossible d’obtenir la parole. Car n’oublions pas que si celle-ci est d’argent, le silence, lui, est d’or.
À LIRE
Le bavardage : parlons-en enfin, Florence Ehnuel (Fayard).