Loisirs et culture

Ça y est : votre enfant maîtrise la lecture et l’écriture. Certes, il ânnone encore parfois l’une ou l’autre syllabe ou bute sur l’un ou l’autre terme du vocabulaire. Mais il est prêt pour se lancer dans la lecture en solo. Problème : il semblerait qu’il manque d’histoires à se mettre sous la dent.
Le constat était posé récemment par Maurice Lomré, cheville ouvrière des éditions L’école des loisirs et Rue de Sèvres pour la Belgique. « Les résultats obtenus par nos enfants lors des différentes enquêtes sur leurs compétences en lecture nous ont interpellés, car elles débouchent toutes sur le même constat : nombre d'entre eux éprouvent des difficultés à lire avec fluidité et à comprendre ce qu'ils lisent ».
Un vide entre l’album et le roman
Baroudeur en littérature jeunesse depuis des années, il sait de quoi il parle et précise : « Passer du temps pour acquérir les mécanismes de la lecture ne suffit pas. On ne devient lecteur qu'en lisant régulièrement, qu'en oubliant qu'on lit. Or, il semble que l'offre éditoriale est plus riche pour les tout-petits, les petits, les jeunes et les adolescents que pour les lecteurs débutants. Il existe bien sûr des collections de premières lectures, mais elles sont souvent 'formatées' ou revêtent un caractère pédagogique assez appuyé ».
Ce déficit de livres qui combineraient les deux dimensions qu’Aaron Appelfeld attendait d’un bon livre, à savoir l’une récréative, l’autre pleine de sens, nous a été confirmé par plusieurs libraires interrogés à ce sujet. Isabelle Derumier, responsable de la bibliothèque jeunesse de la Ligue des familles, constate également que cette catégorie de livres pour primo-lecteurs est très demandée.
« Dans la bibliothèque, j’ai deux rayonnages qui leur sont consacrés, mais je constate qu’il s’agit souvent de livres plus anciens. Il semble que l’on en publie moins aujourd’hui, malgré la demande. Pourtant, les apprentis lecteurs apprécient qu’on leur propose de vrais romans et plus des albums qu’ils pensent surtout destinés aux petits. »
L’idée : des livres où le texte et l'image sont à égalité, où les phrases sont écrites en ayant à l'esprit l'enfant qui va les découvrir seul et non plus accompagné d'un adulte
Isabelle nous amène devant ses rayons Premières lectures illustrées et Romans 1re et 2e primaire. Si la majorité des titres sont plus anciens, elle tient à mettre en avant quelques collections récentes, comme Petits Poches (Thierry Magnier), Mes premiers Witty (Albin Michel), les Mini Syros (Syros) pour les 6-9 ans, ou encore Premiers romans (Little Urban), une collection qui, selon la 4e de couverture, guide les plus jeunes dans l’apprentissage de la lecture.
Quand nous faisons remarquer à Maurice Lomré que L’école des loisirs a aussi des collections pour débutant·e·s, il précise : « La collection Mouche s'adresse en général à des lecteurs un peu plus grands. Les lecteurs de séries comme Chien Pourri ou Le chat assassin ont plutôt 8, 9 ans. Le texte y prend le pas sur l'image, même si celle-ci est encore présente et contribue au plaisir de lecture. L'école des loisirs a créé la collection Moucheron il y a trois ans pour renouer précisément avec la création pour les apprentis lecteurs. Cette collection reprend le rôle joué autrefois par Renard poche qui s'était éteinte faute de parutions. Renard poche abritait les livres d'Arnold Lobel, l'auteur qui a donné ses lettres de noblesse à la littérature pour les apprentis lecteurs. Sa série animalière est d'une qualité exceptionnelle : accessible, poétique, profonde. C'est un peu notre guide ».
Un engagement sociétal
Loin de s’arrêter à la question, Maurice Lomré y a vu comme un défi : « Pourquoi les créateurs songent-ils moins souvent à proposer des livres où le texte et l'image sont, pourrait-on dire, à égalité, où les phrases sont écrites en ayant à l'esprit l'enfant qui va les découvrir seul et non plus accompagné d'un adulte. Peut-être, justement, parce que la création pour cet âge apparaît plus bridée ? C'est pourquoi Pastel a eu envie d'inciter ses auteurs d'albums à s'intéresser davantage aux lecteurs débutants. Si nous voulons que les apprentis lecteurs découvrent le plaisir de lire, proposons-leur des histoires divertissantes et pleines de sens. Ce serait une forme d’engagement sociétal à notre niveau. À notre petite échelle, nous essayons de développer chez Pastel une sorte d’atelier d’auteurs et d’autrices belges francophones autour des premières lectures. Il nous a semblé que l’enjeu était de ne pas perdre ces lecteurs qui avaient été baignés dans les albums par les lectures que leur en faisaient leurs parents ou d’autres et qui n’avaient pas pris le train de la découverte de romans par eux-mêmes, juste après que l’enfant a acquis le b.a.-ba de la lecture et de l’écriture. J’ai parfois l’impression que l’on apprend à lire à l’enfant et qu’après on l’abandonne dans ses démarches de lecteur, que nous ne l’accompagnons pas suffisamment. Il est vrai que l’on est confronté à un point d’achoppement, puisque l’enfant ne lit pas encore à ce stade-là avec suffisamment de fluidité. Or, le plaisir vient quand on peut lire avec aisance. Peut-être ne sommes-nous pas assez attentifs d’un point de vue éditorial à trouver ce maillon entre l’album et le roman, y compris dans un format proche du poche ? ».
Hulul et compagnie
C’est ainsi que Maurice Lomré a mis des auteur·e·s maisons au défi de se lancer dans l’aventure, en particulier Michel Van Zeveren et Thomas Lavachery. Après plusieurs échanges entre les deux compères, seul le premier a entamé en solo une nouvelle série, Ma vie en vert, dont les deux premiers tomes sont sortis cet automne chez Pastel/L’école des loisirs (lire encadré).
Se lançant dans cette aventure, Michel Van Zeveren ne manque pas de souligner l’apport d’auteur·e·s qui l’ont précédé comme Arnold Lobel, un maître en littérature jeunesse, qui a amené nombre de lecteurs et lectrices débutant·e·s vers la lecture avec son personnage d’Hulul (en coll. Mouche de L’école des loisirs). Un maître qui a donné des titres comme Oncle éléphant, Le magicien des couleurs, album emblématique des années 80, ou encore Porculus, qui vient d’être réédité.
Michel Van Zeveren s’est donc replongé dans les romans d’Arnold Lobel, en particulier Hulul, s’offrant une sorte de masterclass à son contact. « Je me suis inspiré de ses phrases simples, sujet, verbe, complément, faciles à déchiffrer. Dans la mise en page, il amène beaucoup d’air pour faciliter la lecture. Trois, quatre mots par ligne, des petits blocs bien lisibles, qui permettent d’appréhender visuellement les phrases. Je joue aussi beaucoup avec les sonorités ».
LA SÉRIE
Ma vie en vert
La série « Ma vie en vert » raconte la vie de… Rose ! Sa ville est confrontée à une invasion de Martiens, les Gulps, énigmatiques créatures vertes à un seul pied. Ils imposent aux humains de se déplacer comme eux et de se nourrir d’aliments verts qui les rendront aussi verts qu’eux. Heureusement, Rose acquiert un petit chien, Zig Zag, titre du premier tome, qui l’aide à vivre comme une petite fille normale. Il la conduit même chez Monsieur Broussaille, qui résiste aux diktats de cette société totalitaire.
Derrière l’humour et la fraîcheur enfantine de la gamine, Michel Van Zeveren interroge nos capacités de soumission et de résistance. Le tome 2, Cadeau promo, l’amènera à déjouer les pièges d’une télévision intrusive. Les deux tomes suivants, Le nouveau et Gargulup, sont attendus au printemps. De quoi installer, par exemple dans une caisse à vin en bois, une mini-bibliothèque pour votre enfant, complétée par d’autres collections comme celles citées dans cet article.
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