Vie pratique
Notre posture face à l’argent influence la vision qu’en ont nos rejetons. Pour en parler, Cécile Biccari, auteure de C’est ton argent. Que vas-tu en faire ?, répond, non pas à nos questions, mais à celles posées par des bambins. Interrogations enfantines et réponses de l’experte en disent long sur notre rapport à cette chose « qui dirige le monde », comme le chantait le groupe Nèg' Marrons : la monnaie.
Au départ, on demande à une bande de gamin·es édenté·es : « Tiens, demain on rencontre une dame qui explique aux enfants comment fonctionne l’argent. Qu’est-ce que vous aimeriez savoir, vous ? ». Feu d’artifice. Les questions, toutes plus pertinentes les unes que les autres, fusent. Nous les soumettons à Cécile Biccari, auteure de C’est ton argent. Que vas-tu en faire ? (Helvetiq), qui vient de recevoir le prix du meilleur projet en éducation de finance durable. Elle y répond de façon cash, si vous permettez le trait d’esprit…
Pourquoi on a inventé l’argent ?
Cécile Biccari : « Très bonne question. Et c’est très important de se la poser. C’est vrai que l’argent, on en comprend son utilité parce qu’il faut s’acheter des trucs. Revenons au pourquoi du comment. L’objet de départ, c’est de faciliter des échanges. De là, découle du progrès, de là découlent des besoins, des envies, de l’intelligence, du travail. Pour que tout cela soit possible, il faut mettre en place un système de confiance suffisamment fiable. Pour recontextualiser historiquement, au Néolithique, 10 000 ans avant notre ère, l’humain se sédentarise. On commence à voir apparaître ce que l’on appelle le troc. Seulement, il est trop limité à une communauté. Il faut donc un intermédiaire pratique : l’argent. Il est apparu il y a environ 5 000 ans. L'argent papier, celui qui n'est plus lié à l'or, n'existe que depuis une cinquantaine d'années. Rien, à l'échelle de l'humanité. »
Est-ce qu’on peut sans argent ?
C. B. : « L’argent, jusqu’ici, était censé nous faciliter la vie. Seulement, on peut le réinterroger. N’est-il pas trop souvent source de stress ? On en manque, on l’utilise à mauvais escient… Est-ce qu’on ne peut pas le réinventer ou retrouver d’autres instruments d’échange ? Il existe, par exemple, des plateformes de troc. Ça peut fonctionner dans des communautés, mais, à échelle plus grande, c’est tout de suite plus compliqué, parce qu’il faut que les désirs coïncident. L’International Reciprocal Trade Association (irta.com) me vient en tête, mais pas sûre que ça fonctionne réellement.
Des idées comme la cryptomonnaie nous montrent que l’on peut repenser la monnaie. Comme les initiatives type titres-services. On pourrait donc vivre sans argent. Mais à taille humaine. De façon plus restreinte. Ce serait adapté à une vie plus communautaire. On peut regarder les études post-monétaires de Sébastien Augé. Il étudie des communautés coupées du monde qui fonctionnent sans argent. Depuis plusieurs décennies, partout dans le monde, des femmes et des hommes se réunissent pour vivre en autonomie et sans monnaie au sein de leur groupe (ndlr : par exemple dans des fermes, appelées des ‘oasis’ qui peuvent aussi avoir la taille d’un hameau, d’un village, d’une ville et même d’une région). »
« Est-ce qu’être riche rend heureux ? Il existe tellement de formes de richesses autres que l’argent. Le partage, le don, la passion, l’expérience… On peut être ‘riche’ sans nécessairement avoir de l’argent »
À partir de combien l’argent rend heureux ?
C. B. : « Ah, ah. Je pense qu’il faut se référer à la pyramide de Maslow qui hiérarchise les besoins et les attentes du consommateur. Notre besoin en tant que tel est éminemment lié au bonheur. Ramené à l’argent, cela veut dire qu’il faut en avoir suffisamment pour être heureux, combler nos besoins de bases et considérer que tout ce qui est au-dessus n’est que bonus. Sans nécessairement rendre heureux, on a suffisamment d’argent quand on peut payer les différentes factures : maison, nourriture, vêtement, etc.
Mais est-ce que ça rend heureux ? Est-ce qu’être riche rend heureux ? Il existe tellement de formes de richesses autres que l’argent. Le partage, le don, la passion, l’expérience… On peut être ‘riche’ sans nécessairement avoir de l’argent. A contrario, on peut passer une vie à se constituer une fortune, en se disant qu’on en profitera plus tard, sans que ça ne se réalise jamais. C’est un peu la fable du pêcheur qui a une vie tranquille. Il vit de son poisson, partage avec ses amis, fait la sieste, sort le soir pour jouer de la guitare en buvant du vin. Il rencontre alors un riche entrepreneur qui tente de le convaincre d’amasser des fortunes. ’Pourquoi travailler plus demande le pêcheur ? – Pour gagner plus et monter un empire, lui répond l’entrepreneur. ‘Mais pourquoi ?’, insiste notre homme de la mer. – Eh bien, pour avoir une vie tranquille, vivre de son poisson, partager avec ses amis, faire la sieste, sortir le soir et jouer de la guitare en buvant du vin… »
Quelle est la valeur de l’argent, est-ce qu’une pièce de 2€ coûte 2€ à fabriquer ?
C. B. : « En coût de fabrication, un billet ne vaut rien et une pièce coûte moins chère que le prix qu’elle indique ! Sa seule valeur, c’est ce que l’on croit échanger et qui correspond à l’économie réelle. Par exemple, deux copains ont chacun un billet de 5€. Ils veulent s’acheter chacun un sandwich dont le marchand a fixé le prix à 5€. Chacun s’achète son sandwich. Point. Mais si le prix n’est pas fixe, qu’un copain a 5€ et l’autre a un billet de 50€, il peut y avoir potentiellement négociation sur le prix. ‘Tu veux acheter ce sandwich, O.K., combien tu m’en donnes ?’. Ce mécanisme-là va faire monter les prix. L’argent a le coût de la valeur qu’on lui attribue. »
Est-ce que recevoir de l’argent de poche nous apprend de bonnes choses ?
C. B. : « D’abord, il faut contextualiser l’argent de poche. Potentiellement, il peut rendre autonome et responsable. Mais, attention, aider à la maison, par exemple, c’est contribuer aux tâches quotidiennes, comme papa ou maman. Il ne doit jamais y avoir d’argent en contrepartie. La contrepartie sert à montrer et récompenser l’idée qu’il y a eu un effort exceptionnel et qu’il mérite donc salaire. Tondre la pelouse du voisin, babysitter les petit·es cousin·es… Ce qui peut permettre plus tard d’apprendre à gérer un budget. L’occasion, aussi, pour les parents d’expliquer que plus que dépenser, c’est pas mal aussi d’investir, d’épargner.
Pour réaliser tout cela, les enfants doivent comprendre de quoi on parle. Ils voient de moins en moins d’argent. En ont de moins en moins en main. Ils voient, dès leur plus jeune âge, des parents rentrer dans des magasins, payer avec leur téléphone et sortir. C’est très abstrait. L’espèce permet de visualiser tout cela et donc, en toute logique, de le rendre concret. Qu’ils achètent eux même du pain, le journal, etc., mais aussi qu’ils diffèrent le plaisir de dépenser et qu’ils évitent d’acheter impulsivement.
De manière générale, il n’est jamais vain de parler de la façon la plus neutre possible de l’argent à ses enfants. Ne pas le magnifier. Ne pas le diaboliser non plus. Sans oublier de rappeler que c’est important pour soi, mais que ça n’est pas ce qu’il y a de plus important dans la vie. N’oubliez pas de leur expliquer qu’une décision, même financière, peut être positive, durable et changer les choses. »
EN PRATIQUE
Quelques outils
- Le livre de Cécile Biccari, illustré par Naïade Lacolomb, aborde de façon très pragmatique toutes les questions liées à l’argent. De quoi susciter l’intérêt et la curiosité des plus petit·es, dès 7 ans. Il n’y est pas question d’en faire des petits banquiers, des petites banquières ou des anticapitalistes de première bourre, mais bien d’aborder sans parti pris tout ce qui tourne autour de l’argent. La façon dont on le gagne, dont on le dépense, à quoi il sert, comment on le fabrique, etc.
- Du même éditeur, l’auteure recommande également aux parents TING, un ouvrage qui permet de comprendre les pièges du marketing tendus aux enfants. Là encore, à lire ensemble. Dans le même esprit, rappelons que l’asbl Financité propose, elle aussi, une approche très éthique de toutes ces questions-là. Tout aussi indispensable, nous vous recommandons la conférence gesticulée d’Aline Farès, Chroniques d’une ex-banquière, et tous ses travaux qui tournent autour de la question de la finance durable.
À LIRE AUSSI