Vie pratique

Le livre jeunesse, arme anti info-anxiété ?

Face à une actualité sanglante et insoutenable, comment trouver les mots justes avec des enfants perplexes ? Et si les parents trouvaient une aide du côté des livres pour la jeunesse…

L’intérêt humaniste et pédagogique, voire politique, du livre jeunesse face aux atrocités de l’actualité a bien été perçu par la Commission européenne qui vient de publier La Fille qui gardait les yeux ouverts, avec des dessins de la célèbre illustratrice ukrainienne Anna Sarvira. Le but ? Sensibiliser aux difficultés des enfants ukrainiens fuyant la guerre (ils sont près de 24 000 chez nous) à travers l’amitié d’une fille ukrainienne et d’une élève belge. Destiné aux enfants de 7 à 10 ans, ce récit diffusé dans les écoles et les bibliothèques est aussi téléchargeable .

Découvrir et télécharger « La fille qui gardait les yeux ouverts »

À chaque âge suffit sa peine

Mais le secteur de la littérature jeunesse n’a pas attendu l’UE pour s’atteler à la tâche. Le prix Versele a régulièrement primé des ouvrages qui traitent des sujets durs. Certains ont même l’audace de s’adresser aux tout jeunes. Il y a toujours moyen de trouver des mots, des façons d’exprimer ces réalités. Plus l’enfant grandit, plus on peut ajouter de détails. Et, en tant que parent, on peut suivre le fil conducteur des questions posées par son enfant.
Pour nous y aider, Elzbieta publie en 1993, mais toujours disponible, Flon-Flon & Musette (Pastel), un album tendre, mais réaliste, sur une guerre qui sépare deux amis d’enfance. Le père y dit ces mots lourds de sens : « La guerre ne meurt jamais, mon petit Flon-Flon. Elle s’endort seulement de temps en temps. Et quand elle dort, il faut faire très attention de ne pas la réveiller ».
En 2015, le prix Versele était attribué au regretté Mario Ramos pour Le petit Guili (Pastel). Sous des airs graphiquement enfantins, l’album interroge des notions de revanche, de pouvoir totalitaire, de violences. Un oisillon se confronte à un monarque cruel, un lion à qui le pouvoir fait perdre tout sens de la mesure, et bouleverse l’ordre établi en interrogeant les dérapages du pouvoir. Sur les horreurs d’un conflit, Mario Ramos a également publié Le Petit Soldat qui cherchait la guerre, aujourd’hui épuisé, qui mériterait d’être réédité.

Réfléchir la guerre

Des ouvrages proposent davantage une réflexion. Comme Tout ce que la guerre déteste de Ximo Abadia (Rue du monde) qui définit la guerre par ce qu’elle n’aime pas : l’art, la fête, les jeux… Ou Pendant ce temps sur Terre d’Oliver Jeffers (Kaléidoscope), dans lequel un père invite ses enfants querelleurs à remonter le temps dans un voyage cosmique et psychédélique pour découvrir l’absurdité des conflits qui ont jalonné l’histoire de l’humanité. Parmi les documentaires récents, voici Planète en guerre, planète en paix de Véronique Corgibet et Éric Héliot (Actes sud), qui expliquent en des doubles pages concises les raisons de se battre à travers différents conflits meurtriers et nous montre comment, parfois, des femmes et des hommes courageux y ont mis fin.

À hauteur d’enfant

Des albums, avec sensibilité, invitent à partager le vécu d’enfants au cœur de la guerre. Le citronnier d’Ilia Castro et Barroux (D’eux) n’hésite pas à évoquer une guerre salle, obscure, comme le sont toutes les guerres. Née dans ce contexte anxiogène rendu par un dessin fort expressif, une petite fille observe depuis son citronnier les efforts de ses parents pour renverser le régime. Un livre dur, sans concession, qui nécessite la présence d’un adulte.
Dans Un si petit jouet, d’Irène Cohen-Janca et Brice Postma Uzel (éditions des éléphants), au graphisme géométrique et aux couleurs tranchantes, une enfant a appris à se contenter d’une poupée, qu’elle peut dissimuler en toutes circonstances après avoir dû abandonner ses autres jouets en pleine guerre. Le livre amène à une réflexion sur les multiples séparations qui guettent et leur possible résolution.
Sobrement intitulé La guerre (Lutin poche/École des loisirs), le récit d’Anaïs Vaugelade est devenu un classique. Un jeune prince pacifiste est en plein désarroi face à deux armées rivales et l’absurdité d’un conflit qui le dépasse. Pour des enfants plus âgés, on ne saurait que conseiller Dans le cœur de Nada Matta (MeMo). La narratrice a 6 ans quand éclate la guerre au Liban. Elle raconte son quotidien et surtout les amitiés nées au milieu des difficultés. Aidée d’adultes, elle se bat pour maintenir son droit à l’enfance. Ce droit si essentiel.

Des salauds et des héros

Si la guerre est lancée par des salauds, elle est aussi traversée de héros et d'héroïnes. Des figures inspirantes qui ont défié l’arbitraire et réconcilient les enfants avec une certaine idée de l’humanité. Elles sont présentées dans des documentaires comme Il court ! Jesse Owens, un dieu du stade chez les nazis de Cécile Alix et Bruno Pilorget (L’élan vert). Ce superbe carnet, biographie d’un Noir américain confronté à un racisme crasse dès l’enfance, le montre défiant la folie d’Hitler lors des J.O. de 1936 à Berlin. Dans Jean Moulin, les cent vies d’un héros (Rue du monde), deux signatures prestigieuses, Didier Daeninckx et Pef, racontent les rêves et les combats d’une figure majeure de la résistance.

De la poésie dans un monde de brutes

Des mots justes, des mots pesés (selon les âges), mais aussi des mots qui apaisent, qui apportent du baume à l’âme et, n’ayont pas peur des… mots, des mots chargés d’amour et d’humanisme. Outre leurs documentaires et autres récits, les éditions Rue du monde s’en sont fait une spécialité, à l’image de leur directeur (lire encadré). On pense au poème publié en réaction aux attentats de Paris en 2015 du grand écrivain marocain Abdellatif Laâbi, J’atteste contre la barbarie, illustré par Zaü et complété d’un dossier pour en parler ensemble. Chez le même éditeur, Comment faire la paix, où Francis Combes et Bruno Heitz font un pied-de-nez à la guerre en un texte court traduit en vingt-quatre langues, dont l’arabe et l’hébreu, ainsi que l’esperanto, ce rêve d’une langue universaliste.

INTERVIEW

« Être un enfant est un métier rude et difficile »

Ancien instituteur et auteur pour la jeunesse, Alain Serres a créé et dirige les éditions Rue du monde, un bien joli nom pour une maison dont la ligne éditoriale s’affiche clairement dans la recherche de plus de paix, de respect et autres valeurs humanistes face à des actualités traumatisantes.

Pourquoi pensez-vous que ces sujets sont importants à proposer à de jeunes lecteurs et lectrices ?
Alain Serres 
: « Être un enfant, en ce premier quart du XXIe siècle, est un métier rude et difficile. Je suis persuadé que les livres constituent à la fois un abri solide pour se protéger de la désespérance ambiante et des outils merveilleux pour doper nos muscles mentaux afin de tenter de vivre en empathie avec le vivant et l'humain.
Les enfants ont plus que quiconque besoin de ces tremplins pour grandir. Entre les textes et les images des bons livres, ils peuvent dessiner leur propre chemin, se fabriquer un bagage culturel référent, et cela dès les premiers mois de la vie. Faisons confiance aux journalistes, aux bibliothécaires, aux libraires pour mettre les enfants en relation avec le meilleur de la production d'aujourd'hui, ces trésors de la littérature jeunesse. Ces histoires leur restent en mémoire durant des années et les vers de quelques poèmes, parfois, ne les quitteront jamais.
Oui, il faut qu'ils lisent (ou leur lire) des contes juifs et arabes pour tout percevoir de leur fraternel cousinage (1). Il faut réciter par cœur le poème J'atteste d'Abdellatif Laabi pour apprendre à exclure le terrorisme du champ de la vie. Il faut aussi lire avec eux les documentaires essentiels qui installent définitivement en nous le rejet de la folie meurtrière de la Première Guerre mondiale ou l'horreur de l'holocauste. Les bombardements quotidiens des infos dramatiques ne minent la vie de nos enfants que si l'on n'en parle pas avec eux. Et les livres nous tendent la main pour nous y aider. »

Quels conseils donneriez-vous aux parents quand ils décident d’acquérir ce genre de livres pour leurs enfants ?
A. S. :
« Je ne crois pas être un naïf qui accorde un pouvoir démesuré à ces pavés d'encre et de papier, je suis juste un observateur de ce que les enfants en font. Pendant quinze ans, j'ai enseigné auprès des tout-petits. Puis en tant qu'écrivain pour la jeunesse et, depuis vingt-sept ans, éditeur, j'ai vu s'épanouir beaucoup d'albums, de contes, de poèmes dans le cœur et l'esprit des enfants, mais aussi chez beaucoup d'adultes, parents ou enseignants ; c'est le double effet des bons livres, pour les enfants et les ‘grands’. Comment ? Dans l'activité et de toutes les manières possibles : transformer un livre en saynètes de marionnettes ou en sketchs, par exemple, c'est plonger au fond du sens d'un livre et déjà le faire entrer dans sa propre vie.
Autour de la table familiale, on ne prend pas assez le temps de laisser les enfants nous conter. Pour les fêtes de fin d'année, encourager les plus grand·es à monter un mini-spectacle autour d'un bon album ou de poèmes contre la guerre, le racisme (2), n'est-ce pas un beau cadeau pour tous, au cœur du sens de ces fêtes ? Consacrons un peu plus de temps à une telle préparation qu'au tartinage des canapés au tarama et chacun s'en réjouira ! Et pourquoi ne pas rendre obligatoire l'ajout d'un poème à chaque paquet cadeau, accroché au ruban ?
Apprendre à mieux vivre ensemble, en citoyen libre qui ne subit pas le monde, passe sûrement par apprendre à aimer les mots et les images et ces beaux objets de papier qui les réunissent. C'est pour cela que j'ai créé cet espace éditorial… et que nous sommes si nombreux à être fous de littérature jeunesse ! »

(1) Les Contes de l’Olivier, contes juifs et arabes réunis, de Catherine Gendrin et Judith Gueyfier (Rue du monde). Dès 8 ans.
(2) La Cour Couleurs, anthologie de poèmes contre le racisme, de Jean-Marie Henry et Zaü (Rue du monde). Dès 8 ans.

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