Société
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Mawda, 2 ans, d’origine Kurde, a été tuée par un policier lors d’une course poursuite près de Nimy sur l’E42 le 17 mai 2018. Elle se trouvait dans l’espace de chargement d’une camionnette avec ses parents, son frère, son oncle et une vingtaine d’autres personnes. Des femmes, des hommes et cinq autres mineurs en quête d’un avenir. Le policier, le chauffeur, puis le passeur présumé ont été jugés. La Défense des Enfants International Belgique (DEI Belgique) ne voulait pas en rester là et a estimé que l’État devait être reconnu responsable du décès de la petite fille. Benoît Van Keirsblick, directeur de la structure revient sur cette longue odyssée judiciaire.
Le combat judiciaire de la DEI Belgique contre l'État belge est essentiel, tant pour les parents de Mawda, sa famille, ses proches que pour la vitalité démocratique de notre pays. Ce 17 février, un premier succès a été engrangé, si tant est que l'on puisse parler de victoire face à ce drame. La décision du Tribunal de première instance est tombée : l’État belge est condamné.
Sur douze chefs d’accusation, deux fautes structurelles graves sont pointées. D’abord, la Belgique aurait du prendre en compte l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de l’opération de police. Ensuite, les policiers et policières devraient être formé·es à ces mêmes droits lors d’opérations d’interception d’enfants migrants. C’est principalement au traitement inhumain infligé à ces derniers que l’association s’attaque. Discutons-en avec Benoît Van Keirsblick, plus que jamais décidé.
On l’a dit et redit, vous pointez un manque de formation de la police en matière de droit de l’enfant. Aurait-elle réellement pu éviter le drame qui s’est joué en 2018 ?
Benoît Van Keirsblick : « Tout dépend de quelle formation on parle. Sans le meurtre de cette enfant qui est le paroxysme du drame, on n’aurait rien su de cette affaire. Combien d’enfants sont poursuivis, contrôlés de façon musclée, humiliés, sans que l’on ne sache rien ? Combien d’enfants sont morts de peur au moment de ces manœuvres ? Une formation n’aurait certes pas empêché ‘l’opération Médusa’, mais elle aurait peut-être permis qu’elle se passe moins mal. Dans le contexte de cette migration et des contrôles qui vont avec, on sait qu’il y a des mineurs. Dès lors, ce n’est peut-être pas nécessaire de procéder d’une manière aussi musclée. »
D’autant que vous avez souvent déclaré que toutes les personnes qui sont avec Mawda dans cette camionnette sont des victimes, pouvez-vous expliquer ?
B. V. K. : « Ces adultes et ces enfants présents ce jour-là étaient victimes de trafic d’êtres humains, donc, en droit d’être protégés par l’État belge. Au moment de l’opération, ça n’a pas été pris en compte. On les a gardés en détention pendant quarante-huit heures avec ensuite un ordre de quitter le territoire. Y compris les enfants non accompagnés. On les a gentiment envoyés se faire prendre ailleurs. Il y avait cinq enfants en plus de Mawda dans la camionnette. Ils ont disparu dans la nature. Personne ne sait où ils sont. Sortis des radars. L’objectif est atteint : qu’ils quittent le territoire. Leur protection ? On s’en fiche. Les parents de Mawda ont pu rester in extremis, surtout grâce au comité de soutien. On a presque enterré leur fille sans leur demander quoi que ce soit. »
Est-ce qu’ils suivent le combat judiciaire que vous menez ?
B. V. K. : « Nous nous concertons avec eux pour les parties du procès qui les concernent. Ils sont informés à tous les stades de la procédure. Ils suivent, mais avec une certaine distance. On ne voudrait surtout pas leur faire porter nos combats, ni la lourdeur de la procédure. Et puis, dans ce procès, nous interrogeons évidemment le climat sociétal et politique. Une des clés du combat que nous menons consiste justement à ce que les droits internationaux ne reposent pas sur les épaules des victimes. »
À ce propos comment et pourquoi attaquer l’État Belge ?
B. V. K. : « Il y a quelques années, si nous avions attaqué l’État, le tribunal nous aurait répondu que nous n’avions pas à intervenir. Avec plusieurs organisations, nous nous sommes lancés dans l’idée de pouvoir renforcer l’état de droit, partant de l’idée que certains droits fondamentaux doivent pouvoir être exercés par des associations. Il y a encore quelques années, l’une des conditions pour exercer une action en justice passait par une justification contraignante, ce que l’on appelle ‘intérêt à agir’. Nous avons contribué avec d’autres à assurer que le mécanisme global de contrôle du respect des droits fondamentaux, y compris ceux de l’enfant, soit mieux appliqué, en ouvrant la voie à de nombreuses ‘associations d’agir’. Nous avons obtenu que la loi soit modifiée, un long périple qui a démarré le 14 mars 2012 et s’est achevé le 21 décembre 2018 par l’adoption de la nouvelle loi. »
Sans cela, vous n’auriez pas pu remettre en cause la responsabilité de l’État dans le meurtre de Mawda ?
B. V. K. : « En effet. On ne peut pas s’arrêter au procès du policier, du chauffeur ou du passeur. Dans les procédures de justice qui ont eu lieu jusque-là, on s’attardait, par exemple sur le tir du policier. Et là, on passait à côté de l’essentiel du débat. Le geste du policier est grave. Mais on ne peut pas lui faire porter toute la problématique migratoire. Il n’y a pas une faute, mais des fautes. La responsabilité n’est pas le seul fait de l’un ou de l’autre. À partir du moment où la société n’en tire aucune conclusion, il nous paraît nécessaire de mettre en lumière tous les dysfonctionnements. On agit contre l’État belge pour l’obliger à légiférer. On considère que c’est lui qui a fauté, il doit réparer le dommage causé. Avec cette question qui nous anime : qu’est-ce qu’on peut faire pour que ça n’arrive plus ? »
Vous avez donc exposé douze griefs sur base d’un dossier de 7 000 pages. Vous avez gagné sur deux points, la formation de la police et la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant dans le cadre de ce type d’opération. Est-ce que vous allez en rester là ?
B. V. K. : « On attend d’être entendus sur d’autres points. Notamment l’attitude de la police et la façon d’opérer de l’antenne locale de Mons que l’on envisage d’assigner en justice. Notre droit d’action n’est valable que quand il y a des manquements systémiques. Par exemple, l’équipe soignante est partie avec l’info que Mawda avait un traumatisme crânien. On lui a caché le tir. Elle n’a sans doute pas pu soigner l’enfant comme elle le devait. C’est un point important. Mais là, le tribunal conclut que ça ne nous regarde pas. De même que le médecin légiste qui n’a pas fait d’autopsie et a rempli son rapport sans voir l’enfant. Tous ces manquements ont été considérés comme des faits ponctuels. On ne peut pas les laisser passer. On ne peut pas laisser une telle banalisation du mal se produire. On ne peut pas se contenter d’un ‘Oui, bah, ça arrive’. »
On peut penser que, tout au long de l’interview, les parents qui nous lisent n’ont pu s’empêcher de transposer ce drame à leurs enfants. Pouvez-vous leur rappeler en quoi ce procès que vous menez les concerne ?
B. V. K. : « Parce qu’en tant que parent, on est soucieux du bien-être de ses enfants. Et traiter aussi mal des petit·es, des mineurs qui arrivent sur notre territoire, c’est inacceptable. Encore plus dans une société qui se prétend démocratique. Si notre démocratie ne peut pas prendre en compte la dimension intrinsèque de chacun, on perd petit à petit de notre humanité. C’est donc un combat pour les droits fondamentaux que nous menons. Ce n’est jamais acquis. On doit sans cesse les rappeler aux pouvoirs publics.
Regardez encore ce qui se joue à Bruxelles, dans la rue du Palais avec les expulsions costaudes des sans-papiers. On ne peut pas accepter qu’une société fonctionne comme ça. On ne peut pas accepter qu’un gamin meure, poursuivi par la police pendant le confinement parce qu’il ne respectait pas le couvre-feu. Combien d’enfants sont morts du fait des actions des forces de l’ordre ? Combien de tout petits sont terrorisés et voient leurs parents se faire rabaisser, humilier, violenter sous leurs yeux ? On peut éviter que tous ces faits se reproduisent. Si on ne se bat pas pour ça, si on ne le rappelle pas, on participe à une vraie banalisation du mal. Est-ce que des vies valent plus que d’autres ? Aucun parent au monde n’est prêt à entendre que la vie de son enfant vaut moins que celle du voisin. »