Développement de l'enfant

Lecture et écriture : les méthodes qui font consensus

Méthodes de type « syllabique », accent mis sur la lecture à voix haute, entraînement précoce et durable à la compréhension des textes… Sur la base de nombreuses études réalisées depuis une quinzaine d’années, le jury d’une conférence qui s’est tenue cette année en France pense avoir cerné les pratiques qui « marchent » en matière d’apprentissage de la lecture et de l’écriture.

Pour les parents, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est l’un des enjeux majeurs de la scolarité. Sans se substituer aux enseignants, ils se demandent comment aider, comment accompagner leur enfant dans cette aventure souvent stimulante, mais parfois aussi jalonnée d’obstacles que leur progéniture contourne à grand-peine.
Certains s’interrogent alors sur la pertinence des techniques employées à l’école, sur le choix des manuels utilisés. Et cela, notamment, parce qu’à intervalles réguliers rougissent les cendres d’une vieille guerre, largement artificielle, entre le bon vieux b.a.-ba et une méthode globale qui, en dépit des effets de mode, ne s’est jamais vraiment imposée massivement au sein des classes.

Des sons à l’écrit

Existe-t-il, sinon des méthodes, du moins des pratiques qui marchent mieux que d’autres ? Les réponses à cette question se font de plus en plus précises. En France s’était ainsi tenue, en 2003, une première « conférence de consensus » sur le sujet. Ce rendez-vous inédit avait permis de conclure à l’inefficacité relative des approches globales ou idéo-visuelles, consistant à reconnaître les mots en les photographiant, sans les décomposer en syllabes. Au contraire, les experts avaient vivement recommandé l’apprentissage systématique du code, autrement dit des correspondances entre les lettres (ou groupes de lettres) et les sons.
Sans remettre en cause leurs conclusions, une deuxième conférence de consensus, organisée à Lyon en mars dernier par le Conseil national d’évaluation du système scolaire et l’Institut français de l’éducation, a permis d’en savoir davantage sur les approches qui s’avèrent les plus efficaces. De manière assez attendue, une bonne part des recommandations porte sur la nécessaire maîtrise du code et sur l’identification des mots, et ce, dès la dernière année de maternelle.
Comme le souligne le jury, composé d’experts mais aussi d’enseignants et de parents, c’est le moment où il faut « enseigner aux élèves le principe alphabétique et leur faire acquérir la capacité d’analyser les mots oraux pour en identifier les composants phonologiques », autrement dit les différents sons. Puis, en 1re primaire, il ne faut pas s’en tenir au « décodage » des mots, mais pratiquer régulièrement la lecture à haute voix. Il importe aussi - cela est gage d’une plus grande efficacité - d’inviter les élèves à encoder, c’est-à-dire à passer des sons vers l’écrit. Cela peut intervenir de façon autonome, chacun produisant des mots ou des phrases. Ou bien sous la dictée de l’adulte.

Le sens des mots

Aussi surprenant que cela puisse paraître, la progression dans cette activité d’apprentissage à la lecture doit être menée à un rythme relativement soutenu pour le bénéfice de tous, y compris et surtout pour celui des enfants a priori les moins à l’aise. Dès le début de la 1re primaire, il est conseillé d’introduire une dizaine de correspondances entre groupes de lettres et sons. Ce facteur est d’autant plus déterminant que l’on veille à faire lire des textes largement composés de correspondances déjà étudiées.
C’est là l’un des enseignements d’une étude française conduite par le chercheur et professeur en sciences de l’éducation Roland Goigoux. Ce spécialiste a levé une véritable petite armée - une soixantaine de collègues, appuyés par 190 enquêteurs - pour aller scruter sur le terrain les pratiques de 131 professeurs et de leurs 2 500 élèves de 1re et 2e années primaires.
Dévoilée lors de la conférence de consensus, son étude a aussi permis d’établir que le choix de tel ou tel manuel par l’enseignant n’avait guère d’incidence sur les résultats obtenus. D’ailleurs, un tiers des professeurs composant l’échantillon n’en utilisait pas. En revanche, les travaux de Roland Goigoux mettent en lumière la nécessité de ne pas se contenter de faire déchiffrer les mots par les enfants.
On se rend compte en effet qu’un nombre élevé d’entre eux savent en apparence lire, mais qu’ils ne saisissent pas le sens de ce qu’ils lisent. Il importe donc de mettre aussi l’accent sur la compréhension des textes. Or, le temps qui y est accordé varie d’une classe à l’autre, de 1 à 9. Cette effort doit se poursuivre « aussi longtemps que nécessaire pour les élèves moyens ou faibles », au besoin jusqu’à la fin du primaire. Il doit, de même, commencer très tôt, dès la maternelle, où l’on doit veiller aussi à « développer le vocabulaire ».

Il y a dictée et dictée

Faut-il mettre davantage l’accent sur la dictée à l’école ? Cette question, grand public, surgit de loin en loin, enveloppée d’un soupçon de nostalgie. L’étude de Roland Goigoux montre que l’effet bénéfique de cet exercice croît « jusqu’à une durée maximale de 40 minutes par semaine », et ce, surtout pour les élèves « faibles et intermédiaires ».
Encore faut-il s’entendre sur ce qu’est une dictée. Et préciser que cette pratique revêt des formes très variées. Mini-dictée d’une ou deux phrases avec correction immédiate par un élève volontaire au tableau et qui ne donne lieu à aucune notation. Dictée flash d’une dizaine de mots que les enfants ont préalablement appris à la maison. Dictée d’un énoncé de maths. Voire dictée à l’enseignant par des élèves de maternelle qui résument leur journée à l’attention des parents. On est souvent loin de la dictée classique. Laquelle peut néanmoins être synonyme de plaisir, comme le montre le succès, année après année, de la dictée du Balfroid, concours réservé aux élèves de 6e primaire.

► 3 questions à Alain Bentolila*, linguiste

Comment accompagner son enfant

Quel peut-être le rôle des parents dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture ?
« 
Il faut, avant cet apprentissage, aider son enfant à travailler son langage oral. Il faut qu’il dispose d’un lexique suffisant pour qu’au moment où il commencera à déchiffrer les mots, ceux-ci renvoient vers des éléments connus et fassent sens. On peut pour cela recourir à des jeux. On prend par exemple le mot maison, on demande à son enfant quels objets on trouve à l’intérieur pour l’amener à lister des noms. Puis on lui demande ce qu’on peut faire lorsqu’on est à la maison et on s’intéresse ainsi aux verbes. Puis on l’interroge sur la maison elle-même - comment est-elle ? - pour se pencher sur les adjectifs. On aide de la sorte son enfant à ‘ranger’ son lexique, tout en lui proposant des mots nouveaux. Un exercice qu’on peut faire deux à trois fois par semaine, à raison de dix minutes.
On peut aussi, en tant que parent, amener son enfant à bien distinguer les mots : pour lui faire comprendre que le ‘chat blanc’ est composé de deux mots, on lui demande si un chat peut être d’une autre couleur et s’il n’y a que le chat qui peut être blanc. Même chose avec les syllabes : ‘Qu’est-ce qu’on entend de pareil dans les mots : bâton, bateau, baleine ?’. Il ne s’agit pas d’être exhaustif mais de l’aider à comprendre le mécanisme.
Enfin, il faut familiariser son enfant avec la voix des textes, lui raconter des histoires en s’assurant que le ‘film’ qu’il se fait dans sa tête correspond bien à ce que dit le livre. Il faut accueillir sa proposition avec bienveillance et exigence, revenir sur les passages qu’il n’a pas compris. L’enfant doit comprendre qu’un texte s’interprète mais ne se trahit pas.

Que dire à certains parents qui hésitent à en faire trop à la maison, de peur que leur enfant ne s’ennuie en classe voire que l’enseignant le leur reproche ?
Je leur conseillerai de laisser à l’école l’apprentissage systématique des correspondances entre les lettres (et groupes de lettres) et les sons. Sauf si leur enfant est vraiment en demande. Pour le reste, on ne travaille jamais trop le vocabulaire, l’interprétation des textes. Si c’est mal vu de l’institution, c’est que celle-ci n’a rien compris et, peut-être, qu’elle confond justice et uniformité. Tous les enfants ont des besoins différents et il s’agit, en classe, d’y répondre, quitte à accorder plus de temps et d’énergie à ceux qui éprouvent le plus de difficultés.

Précisément, comment accompagner son enfant s’il a du mal à apprendre à lire et écrire ?
On peut notamment lire régulièrement avec lui à voix haute des textes susceptibles de l’intéresser, de l’amuser, lui montrer l’exemple en ‘mettant le ton’ et l’inviter à en faire de même. L’objectif est de l’amener à prendre du plaisir dans la lecture pour récompenser les efforts faits en classe.

* Auteur de nombreux livres, il a dirigé l’ouvrage collectif Apprendre à lire, paru fin août dans le collectif Pour les nuls aux éditions First.



Denis Quenneville

En savoir +

L’analyse des nombreuses études réalisées depuis une quinzaine d’années a conduit le jury de la deuxième conférence de consensus à valider la pertinence de ce qu’il appelle un enseignement explicite de la lecture et de l’écriture. Cela implique pour les enseignants :

  1. une révision journalière (5 à 8 minutes) des notions apprises précédemment ;
  2. la présentation des nouveaux matériaux, en veillant à séquencer les notions nouvelles ;
  3. une pratique guidée où l’on encourage l’élève à préciser comment il s’y prend pour répondre aux questions ;
  4. un feed-back consistant entre autres à corriger immédiatement les erreurs des élèves ;
  5. du temps pour s’entraîner individuellement à utiliser la notion apprise ;
  6. des révisions systématiques, pratiquées de manière hebdomadaire et mensuelle, de sorte à réactiver ce qui a été appris et de trouver des automatismes.

Les parents peuvent apporter leur soutien pour les points 1, 4 et 5. Bonne rentrée pour ceux qui entrent en 1re primaire !

Les infos collectées sont anonymes. Autoriser les cookies nous permet de vous offrir la meilleure expérience sur notre site. Merci.
Cookies