Développement de l'enfant

Les ados vont-ils changer le monde ?

Beaucoup d’adultes les prenaient pour de simples zombis au visage bleui par la lumière de l’écran. La société les pensait mous, absents, rangés, timorés, polis, fades… et voilà que depuis quelques semaines, ils sont pile là où on ne les attendait pas. Inventifs, organisés, désobéissants… mais jusqu’où vont-ils aller ? Quand même pas jusqu’à sauver le monde ? On en discute avec Édouard Delruelle, professeur de philosophie politique à l'Université de Liège.

Est-ce que les récentes manifestations sont des exemples de désobéissance civile ?
Édouard Delruelle : « Absolument. Si on prend une définition relativement large de la désobéissance civile, on est en plein dedans. Pour plusieurs raisons. Les gamins sèchent les cours, avec l’accord de leurs parents et très souvent de leurs professeurs. Les manifestations sont faites dans un but purement protestataire, pour alerter l’opinion publique, mais à finalité politique. Sans hésitation, je dirais que l’on est dans une grande tradition qui remonte aux révoltes du XIXe siècle. C’est une forme qui ressemble à des mouvements de protestation plus classiques comme les grèves ou les manifestations, mais j’aurais tout de même envie de rapprocher ces mouvements de jeunes à de la désobéissance civile, en effet. »

Mis à part le suivi médiatique, il y a peu de réactions de la sphère politique. Et encore moins d’actes. Comme si les jeunes ne faisaient plus peur ?
E. D. : « Je ne pense pas qu’ils fassent peur, en effet. Surtout pas en Belgique, pays dans lequel on est très peu habitué aux mouvements lycéens. Ceux-ci sont encore relativement jeunes. Pas comme en France, où toutes ces révoltes de jeunes sont ancrées dans les esprits avec Mai 68, par exemple. Là, il s’agissait d’un soulèvement avec des revendications qui appelaient à des actes concrets. Avec la marche pour le climat, non. Difficile pour les politiques de réagir ou d’agir, car ces manifestations ne portent pas sur une chose en particulier. Ces jeunes marchent pour l’environnement. Point. D’autant que beaucoup des acteurs de cette marche ne sont pas encore des électeurs. Ce qui explique peut-être que ce mouvement ne soit ni récupéré - même pas par Ecolo -, ni isolé, parce qu’il a le soutien de l’opinion publique. À l’heure où l’on parle, ces marches climatiques jouissent d’une image très positive. On a tous une assez grande sympathie pour ces gamins et leurs messages pleins d’inventivité. »

Est-ce que l’on assiste au début de quelque chose ?
E. D. : « Ce qui est sûr, c’est qu’on est arrivé à un point important. Greta Thunberg était présente à Bruxelles récemment, le principe se décline dans les autres villes. Les symboles sont forts. Seulement, ces manifestations à répétition ne vont pas continuer de la sorte. D’abord parce que les vacances risquent de tout essouffler. Et puis parce que ce mouvement aspire à quelque chose de plus grand. À une mobilisation générale. Ce que les ados attendent, c’est un pacte collectif, un pacte climatique. Ce qu’ils attendent, c’est une réponse. Ils veulent du solide, du type : ‘Bon, tout ça, c’est très beau, mais qu’est-ce qu’on fait de concret maintenant ?’. Pour le moment, ça se résume à une mobilité et à des slogans. Mais, à un moment, il va falloir traduire tout cela en proposition politique. D’une certaine manière, ils pèsent. Je suis certain que cette marche va avoir une incidence sur la prochaine campagne électorale. Les questions climatiques vont être un des enjeux incontournables et chaque parti va devoir se positionner par rapport à cette problématique. Ce qui est complexe. Puisque les différents camps ne vont pas vouloir faire le jeu d’Ecolo et, paradoxalement, Ecolo va voir son fonds de commerce occuper une place immense à l’agenda de ses adversaires. Pas facile. »

Les parents encouragent. C’est assez inédit comme façon de désobéir, non ?
E. D. : « Désobéir, c’est de l’ordre du symbolique. La désobéissance civile dont on parlait précédemment est faite pour emporter l’adhésion. Le fait que les parents approuvent qu’une majorité de profs incitent à la manifestation, c’est justement la preuve qu’ils sont dans le bon. Après, c’est vrai qu’en Mai 68, on se révoltait contre ses parents. Contre une certaine idée du patriarcat. Au XIXe siècle, c’était vrai aussi avec le Printemps des peuples. Mais cette révolte de la jeunesse se fait aussi contre un modèle. Ils nous disent qu’on a bousillé la planète. C’est donc pour ça que je parle de conflit symbolique. Ils se révoltent. Ils en ont ras le bol. Et ils ne le font pas contre, ils le font avec. Ils veulent rassembler. Il s’agit donc d’un conflit auquel même les parents, même les enseignants adhèrent. C’est un peu inédit. C’est peut-être le début de quelque chose de neuf. »

Est-ce que ces ados sont intimement convaincus qu’ils peuvent changer le monde ? On les a toujours décrits comme une génération scotchée aux écrans jusqu’ici. On ne les voyait pas aussi révoltés, aussi combattifs et aussi endurants, non ?
E. D. : « Je pense que c’est une grosse erreur de croire que les jeunes ne sont pas intéressés par la politique. Avant cette jeunesse, il y avait adhésion. On s’engageait pour un parti politique, et tant pis si certains aspects ne nous satisfaisaient pas. Aujourd’hui cette génération ne se reconnaît pas dans une idéologie. En revanche, elle est mobilisée pour des combats singuliers, par exemple : les migrants, le féminisme, le végétarisme, le véganisme, la mobilité douce… pour ne citer qu’eux. Ils sont captivés, assez experts. Ils nous disent que la politique n’est plus un projet d’ensemble d’idées. C’est passionnant. Je pense que ces jeunes vont partir de combats pour aller vers une structure. Ils ne croient plus en la composition politique comme facteur d’innovation sociale. Seulement, à un moment, il faut s’organiser. C’est là où ils vont entrer dans des structures, dans des mouvements citoyens. Ou pas. Peut-être qu’ils vont inventer. Ils n’ont pas fini de nous surprendre. En tout cas, le challenge est là aujourd’hui : ils vont devoir traduire tout ce qui se passe, tout ce qui est train de se construire en mesures concrètes. »

Êtes-vous surpris ?
E. D. : « Oui. Je suis surpris par l’âge des manifestants et par l’ampleur que ça prend. Notre société va vers deux grands problèmes : les inégalités sociales et les crises environnementales. Deux enjeux dont tous les citoyens veulent s’emparer. Or, on entend parler principalement d’immigration et de sécurité. Des problématiques très anxiogènes qui détournent les citoyens de leurs véritables préoccupations. C’est donc génial que ce soient les jeunes qui expriment le ras-le-bol. Après, que toutes ces problématiques explosent aujourd’hui ne me surprend pas (voir encadré). Je suis plus surpris par la forme que par le fond. »

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