Vie pratique
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Comment se portent les enfants issus d’une famille homoparentale ? Aussi bien que les autres, révèlent les recherches de Salvatore d’Amore, professeur à l’ULB. Mais à condition qu’ils soient entourés de personnes soutenantes. À en croire les questions et réflexions récurrentes qui leur sont (trop) souvent adressées, ce n’est pas gagné d’avance.
Pourquoi t’as pas de papa ?
Merlin a 2 ans et habite avec ses deux mamans, Maryse et Marianne. Lors d’un après-midi au jardin, un petit voisin le questionne : « Et toi, Merlin, tu n’as pas un papa? ». Trop jeune pour répondre, c’est sa maman, qui explique : « Non, il a deux mamans, Maryse, qui l’a porté dans son ventre, et moi ».
Autre exemple : Anne-Sophie se remémore une anecdote. « Quand elle avait 5 ans, ma fille m’a accompagnée à une interview. À la fin, la journaliste lui demande : ‘Ça te fait quoi d’avoir deux mamans ?’ et ma fille a répondu cash : ‘Et toi, ça te fait quoi d’avoir un papa et une maman ?’. Tu me poses une bête question, je te réponds par une autre », raconte-t-elle avec un sourire.
De son côté, Marceau*, 8 ans, raconte l’insistance d’un copain de classe qui demande à répétition pourquoi son papa est mort. « J’ai l’impression qu’il fait ça pour m’ennuyer, car il connaît la réponse. C’est toujours la même : ‘Je n’ai pas de papa‘ ».
Wivine*, 10 ans, l’a aussi souvent entendue cette question. Dans sa nouvelle école, elle a dû remettre les choses au clair pour que cela cesse. « Je leur ai expliqué que c’était pas bien de se moquer. Souvent, je n’explique pas vraiment, car ce n’est pas important pour moi et puis ça ne les regarde pas. J’aimerais bien qu’on donne plus d’attention à des choses plus importantes ».
Ce genre de questions, les six enfants qui témoignent dans cet article en ont l’habitude. Pour certains d’entre eux, elles reviennent trop souvent à leur goût. Du haut de leur 2, 8 et 10 ans, ils font face à une forme de curiosité de la part des autres enfants. Selon leur capacité à y répondre ou réagir, cela est plus ou moins bien vécu. Pour certains, ça rentre par une oreille et ressort par l’autre, pour d’autres cela peut enclencher un certain mal être si la stigmatisation se fait sentir.
Dans ses consultations, Salvatore d’Amore, psychologue, professeur et chercheur à l’ULB, constate que les jeunes enfants sont mieux préservés, tandis que les (pré)ados sont davantage exposés. « Cela peut les fragiliser. Ces jeunes doivent faire face à de l’ignorance, de la stupidité ou encore un manque d’information. Parfois même des propos clairement malveillants. Si les plus petits ne relatent pas directement ces propos, c’est parce qu’ils vivent dans des contextes plus protégés et qu’ils sont moins dans la confrontation avec les autres, c’est donc moins palpable. Mais les plus jeunes aussi peuvent subir des micro-agressions, peut-être subtiles, mais qui laissent des traces importantes ».
Le lieu de vie est une autre variable qui influence l’ouverture du réseau aux familles homoparentales. Les grandes villes sont plus diversifiées et facilitent davantage l’inclusion, à l’inverse des petits villages.
Ça change quoi d’avoir deux mamans ?
Ou, plutôt, est-ce que ça change quelque chose d’avoir deux papas ou deux mamans ? Oui et non, répond en nuance Azilis*, 34 ans. La jeune femme fait partie de la première génération d’enfants nés par insémination artificielle de couples homosexuels en Belgique.
« Non, ça ne change rien parce que j’ai eu la chance d’avoir deux parents qui m’aiment. On était une famille de trois enfants comme les autres, qui s’aime et se dispute. Et oui, parce que mes parents se mettaient une pression de fou pour être à la hauteur, pour qu’on ne leur reproche jamais leur homosexualité. »
Et puis, il y a aussi cette grand-mère qui n’accepte pas l’homosexualité de sa fille et présente ses petits-enfants comme des orphelins qu’elle accueille le temps des vacances. Et l’autre mamy qui, aux fêtes, leur offre des cadeaux de moindre valeur qu’au reste de la cousinade.
Aujourd’hui adulte, Azilis évoque ces souvenirs avec le sourire. Ceux d’une autre époque. « Je pense que ma configuration familiale m’a donné une certaine force de caractère. J’ai toujours assumé le fait d’avoir deux mamans. Je ne me souviens pas de moquerie à ce propos. On rigolait plus du fait que je sois rousse, que j’ai un nom bizarre, que mes seins ont tardé à pousser ou que j’étais haut potentiel ! ».
Avec le recul, Azilis trouve que ses mamans ont mis la barre très haut. « Elles faisaient tout, les câlins, le bricolage, le boulot et elles étaient interchangeables. Contrairement aux stéréotypes sur les couples homos, elles étaient aussi rigides et peu ouvertes. Elles nous ont toujours dit : ‘Pourvu que vous ne soyez pas homos’. Mais je sais que c’était surtout pour nous préserver, car elles ont dû beaucoup encaisser... surtout de la part de leurs parents. »
Et ton papa, il te manque ?
Voilà encore une question qui taraude les petits et les grands curieux. Jessica Champeaux, réalisatrice du documentaire F.A.M.I.L.L.E, diffusé en 2017, l’a posée à François, né d’un couple de femmes il y a 27 ans. Il répond : « Pour que quelqu’un manque, il faut l’avoir connu ».
À leur façon, nos témoins nous disent la même chose en spécifiant qu’il n’y a pas de papa. L’âge avançant, les termes se font plus précis, le gentil monsieur qui a donné la graine devient le donneur ou le géniteur, mais, à aucun moment, il n’est question de père. « On connaît l’existence d’un géniteur, souvent donneur anonyme, mais ce n’est pas un père puisqu’il ne joue aucun rôle », poursuit François dans le documentaire.
La réponse de François ne peut pas être extrapolée à tous les enfants. Comme souvent, à chacun son vécu. Salvatore d’Amore rapporte des cas délicats d’enfants qui vont mal, font des cauchemars, développent de l’anxiété ou de l’agressivité. Mais la recherche montre que ces comportements ne sont pas liés à leur configuration parentale. « Ils pourraient être, entre autres, le fruit de propos malveillants ou discriminants auxquels font face habituellement les enfants ».
À l’adolescence, Azilis se souvient avoir dû faire face à des propos plus durs, comme ceux de son amie Sarah, issue d’une famille très croyante, qui lui rapporte que « Dieu dit que c’est mal deux femmes ensemble ». Mais c’est le discours d’une représentante politique, alors qu’elle est en rhéto, qui l’a le plus choquée.
« À l’approche des élections, des politiques locaux étaient venus exposer leurs idées. Je me souviens très clairement de celle du cdH qui a parlé des couples homosexuels comme de personnes avec des goûts déviants et que la société ne devait pas permettre ça ». C’était il y a seize ans, aujourd’hui de tels propos ne pourraient plus être admis.
Isabelle, maman de Florine, Estelle et Marceau*, qui ont 6 et 8 ans, a conscience de cette menace de la discrimination qui pèse sur sa famille. Pour s’en prémunir, elle a choisi la carte de la transparence. « Nous, depuis le début, on les arme. Mais comme je l’aurais fait si j’avais été hétéro. Les enfants peuvent être durs entre eux. Je me souviens qu’un jour, ils sont revenus de l’école en disant que des copains leur disait : ‘Ce n’est pas possible, tu ne peux pas ne pas avoir de papa’. Je leur ai expliqué : ‘Ils ont raison, physiquement, ce n’est pas possible, mais il y a d’autres moyens’ ».
Dès que le désir d’enfant s’est manifesté, Isabelle et Caroline étaient au clair : il fallait tout raconter aux enfants et assumer. Dès que les enfants ont été en âge de comprendre, le couple a choisi des mots adaptés pour expliquer la manière dont ils ont été conçus. « Comment l’enfant peut-il être fier de sa famille si on ne l’est pas nous-même ? », s’interroge Isabelle qui se montre toujours ouverte aux questions.
En somme, les enfants issus de familles homoparentales font face à beaucoup de curiosité et doivent gérer des questions répétitives voire des micro-agressions au quotidien. Cela dit, ils vont aussi bien que les autres. C’est ce qui ressort de la recherche réalisée par Salvatore d’Amore ,qui ajoute une condition essentielle : « Pour autant qu’ils ne soient pas exposés à des contextes homonégatifs et que leur famille soit bien acceptée et soutenue dans leur entourage proche ».
* Prénoms d’emprunt
EN SAVOIR +
Ce que la recherche révèle
Salvatore d’Amore, professeur et chercheur à l’ULB, a réalisé plusieurs études sur l’adoption, la GPA et la PMA dont voici quelques résultats.
- Le fait de n’avoir aucun lien génétique avec son parent, comme dans le cas d’adoption, n’a pas d’impact sur le bien-être de l’enfant.
- Les enfants conçus par GPA ont moins de difficultés comportementales comme l’anxiété, la dépression ou l’agressivité que ceux conçus par voie naturelle.
- Le fait d’être exposé à des discriminations favorise l’apparition de troubles de l’anxiété ou dépressifs chez l’enfant.
- Quand ils bénéficient du soutien de leur entourage, les parents gays assurent une parentalité plus positive.
- Les couples de femmes sont plus démocratiques et égalitaires dans la répartition des tâches.
Analyse croisée des différentes études : les discriminations touchent davantage les couples gays que les couples lesbiens. « Socialement, les couples de femmes sont mieux acceptés au niveau de leur parentalité, comme si le fait que l’enfant ait deux mères présupposait que la compétence maternelle était assurée », explique le chercheur.
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