Loisirs et culture

Les recettes de Catherine Bourguignon pour développer le plaisir de lire

Les recettes de Catherine Bourguignon pour développer le plaisir de lire

Le prix Versele, on en connaît son fonctionnement et toute sa dynamique participative. Ce que l’on sait moins, c’est qui compose la première marche du palais, soit le comité de prospection. Derrière un nom protocolaire, des hommes, des femmes réuni·es autour de la même passion de la littérature jeunesse. Membre depuis deux ans, Catherine Bourguignon, maman de trois enfants de 5, 7 et 10 ans, nous donne envie de mettre encore plus d’images et de mots dans nos vies.

À celles et ceux qui lui reprochaient ses éternels retards aux rendez-vous qu’elle leur fixait, la romancière et essayiste américaine Susan Sontag avait l’habitude de rétorquer : « Je n’y peux rien si les gens sont assez stupides pour ne pas emporter un livre avec eux ». Que faisait Catherine Bourguignon pendant les quelques minutes qui ont composé le prélude de notre rendez-vous à la terrasse de la piscine de Braine-l’Alleud ? On peut être quasi sûr qu’elle lisait. C’est d’ailleurs autour de quelques ouvrages de littérature jeunesse que l’on fait connaissance. L’œil rigolard, la curiosité débordante, une approche chaleureuse, on sent la maman totalement dans son rôle de passeuse de livres. Comment cette page Versele s’est-elle rédigée ?

« Je voulais passer les mêmes journées que Martine »

Ce n’est pas précisément un coup de cœur en particulier, ni un amour débordant pour ce genre littéraire qui a conduit notre portraitisée du jour à venir grossir le rang de l’équipe Versele. Quelques titres de l’écurie de l’École des Loisirs. En particulier le très réconfortant Tu ne dors pas petit ours de Martin Weddel. Et puis la célèbre Martine aussi. « Petite, je voulais passer les mêmes journées qu’elle », lance-t-elle sans encombre.
Des années plus tard, faites d’une lecture de plus en plus aiguisée, elle découvre que derrière le prix Versele dont elle a toujours entendu parler, il y a des gens, amoureux, amoureuses de livres, qui œuvrent conjointement. Mieux encore, qu’il est possible de faire partie de la bande.

« C’est la première fois qu’on aime autant la poésie, Madame »

À cette époque, notre maman est en pleine reconversion. Elle quitte son poste de communicante et éditrice à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique (IRPA). S’en suit une importante remise en question. Avec une seule et même idée en tête : « Trouver un projet autour du livre, qu’il soit professionnel ou bénévole ». Après plusieurs rencontres, elle convainc et est convaincue. La voilà bénévole au comité de prospection du Versele.

Prospecter pour le grand Bernard

La vie au comité de prospection du prix Bernard Versele en un mot ? De la lecture. Encore. Toujours. « C’est vraiment ce qu’il y a de plus agréable. On est d’un coup complètement immergé dans un flot continu de livres. Ils circulent. On a toujours des ouvrages en cours de lecture. J’en ai continuellement de nouveaux que je lis avec mes enfants. Je pars beaucoup de leurs réactions, de leurs commentaires. Le plus difficile, c’est que lire un livre dépend énormément du moment, des circonstances. J’ai lu trop rapidement, je n’étais pas assez attentive, il y avait un peu de bruit à côté… hop, on peut passer à côté. C’est arrivé, je me suis ravisée sur certaines œuvres que j’avais trop vite expédiées. J’ai entendu les éloges des un·es et des autres et me suis dit ‘Allez, il faut que je lui redonne une chance’. C’est chouette de se laisser surprendre et de changer d’avis ».

Ça sème

Après avoir quitté l’IRPA, Catherine Bourguignon écrit un rapide petit chapitre dans le monde de l’édition, avant de tourner la page et en écrire une autre dans le monde de l’enseignement, en 4e secondaire. Très vite, elle s’appuie sur la littérature pour travailler autrement avec ses élèves et essayer de les orienter le plus possible vers le livre. Ainsi, elle construit même des ponts avec des auteurs ou autrices de sélections passées du Versele. Par exemple, avec Clémentine Beauvais et son Boucles de pierre. Ici, l’enseignante propose de s’attaquer au roman en vers libres Songe à la douceur. Le retour des ados ne se fait pas attendre : « C’est la première fois qu’on aime autant la poésie, Madame ».

« Développer le plaisir de lire, c’est un truc en moi depuis longtemps »

Hors de question de s’arrêter là. Catherine Bourguignon embrasse l’opération quotidienne « Tout le monde lit » et ses quinze minutes de lecture quotidienne, juste pour le plaisir. Le principe comme on vous l’explique : tout arrêter pendant la journée pour s’accorder un moment pour lire. Pour lire quoi d’ailleurs ?
« De tout. Des romans, de la science-fiction, des mangas, j’ai même une étudiante qui s’est passionnée pour Balzac et la petite tailleuse chinoise de Dai Sijie, un roman que j’ai moi-même lu étant ados. Seules contraintes : que le support soit papier et pas numérique et qu’il s’agisse d’une fiction. Les élèves disent que ça les relaxe. Du coup, je lis aussi, et c’est totalement vrai. On sait qu’au bout de six minutes de lecture, l’état de stress redescend de 80 %. Je me dis surtout que ça sème. Peut-être qu’ils en parlent entre eux, entre elles ou autour. Peut-être qu’ils/elles continuent dans le bus après l’école. Et puis, 29 ados de 15 ans qui lisent en silence complet en classe, c’est presque magique. Je me retiens de ne pas trop les regarder. Je dois avoir l’air concentrée ! Bon… je ne peux pas m’empêcher d’avoir un sourire béat. »
Pour notre jardinière qui fait pousser les livres, il n’y a pas que les ados qui doivent se perdre dans les pages.

Mini-Versele

Retour aux considérations sur le genre littéraire mis à l’honneur dans ce numéro. S’il ne fait aucun doute pour Catherine Bourguignon que la littérature jeunesse peut s’adresser aux ados, et même aux adultes, il va sans dire qu’elle les touche au cœur. « J’aime les valeurs véhiculées dans les livres pour enfants. On s’y attaque à de grands concepts avec beaucoup de simplicité ». Cette simplicité est la clé pour elle d’un accès plus élargi à la culture. Pas étonnant quand on sait que cette romaniste de formation a consacré son mémoire au plaisir de lire.
« J’ai effectué tout un travail sur les stéréotypes culturels et tout ce qui peut fausser la lecture. Développer le plaisir de lire, c’est un truc en moi depuis longtemps ». Met-elle ses aspérités en pratique dans sa vie de parent ? On se doutait de la réponse avant même de poser la question : bien sûr. C’est d’ailleurs en cela qu’elle a mis sur pied ce que l’on se permet de nommer un « mini-Versele ». Soit, l’idée de réunir quatre familles autour de chacun·e, de ses enfants pour que chacune achète un livre de la sélection.
« J’accole à chaque fois des grilles de notation sur la deuxième de couverture, comme sur la photo. Les petit·es colorient des cœurs qu’ils ou elles remplissent en fonction de ce qu’ils ou elles aiment ou non. Les médiums ont la même, agrémentée de petits mots. Les ados ont des cases qu’ils remplissent de vraies phrases critiques. Le but de la manœuvre consiste évidemment à les faire lire avec un regard plus complet. Ils en parlent entre copains, copines. Ça crée un dialogue autour du livre. Comment sont l’histoire, les personnages, l’illustration ? »
Pour mettre une telle entreprise sur pied, mieux vaut s’associer avec des familles que l’on voit très souvent afin de pouvoir échanger rapidement. Pourquoi pas s’armer d’un groupe WhatsApp pour que chacun ait une vue d’ensemble. Catherine Bourguignon l’affirme : si la gestion est un peu compliquée à mettre en place, une fois fait, ça chemine.
« Les plus grands sont autonomes. Les plus jeunes prennent leur mission très au sérieux. Je tiens à préciser qu’évidemment, on a à cœur d’acheter tous ces livres chez notre librairie indépendante préférée plutôt que d’aller faire une commande groupée sur des groupes marchands bien connus. Il n’y a qu’un seul problème dans tout ce procédé : c’est la répartition des livres à la fin du processus. Mathématiquement, on peut se retrouver avec un livre que l’on n’a pas aimé. Il faut qu’on réfléchisse à quelque chose qui contente tout le monde. »
Un projet à affiner. Un parmi d’autres. Comme celui de développer une activité liée à la bibliothérapie, concept développé par Régine Detambel dans Les livres prennent soin de nous. « Pourquoi pas imaginer un espace où l’on se fait masser pendant que l’on écoute un texte par exemple ? ». Une façon d’ancrer les livres dans une dimension de bien-être ? Bien sûr. Une façon surtout d’amener à la lecture encore et toujours. D’ailleurs, elle adresse deux idées aux parents : « Je trouve ça bien d’arriver à faire en sorte que les enfants nous voient lire. Ils nous voient courir, ça oui. Rarement en train de bouquiner, puisqu’on le fait surtout quand ils sont couchés. Pourquoi ne pas s’aménager quotidiennement des moments de lecture ensemble. Chacun·e un livre ? ».
Pas mal. Sa deuxième pensée va dans ce sens. Mettez des livres partout, parents. Dans toutes les pièces. Sur tous les meubles. Pas juste dans la bibliothèque.
Ce numéro sert aussi à vous rappeler cela : ces drôles d’objets plein de pages, de mots, d’images adorent se balader dans tous les endroits habités par la vie.