Développement de l'enfant

Leur imagination est au pouvoir

Beaucoup de parents en font le constat, et cela les réjouit : les jeunes enfants ont une imagination débordante

« Elle a plein de copains dans sa tête », lance un papa au sujet de sa petite dernière, 5 ans et demi, plutôt expansive. Les copains en question ont les traits de ses Playmobil et, dirigés par la fillette, ils ne vivent jamais deux fois la même histoire. Une jolie façon, pour ce père, de dire que son enfant n’est pas encline à l’ennui. Comme lui, beaucoup de parents en font le constat, et cela les réjouit : les jeunes enfants ont une imagination débordante.

Ce genre d’anecdote n’a rien d’extraordinaire. C’est vrai. Ainsi, cet autre papa observe avec bonheur sa fille, 6 ans, et son fils, 3 ans et demi, incarner des personnages imaginaires et ainsi construire, ensemble, un univers qui a du sens pour eux : « Ils sont les scénaristes et acteurs de leur propre pièce de théâtre ». Et quand ils l’embarquent dans leurs aventures - « Ils adorent me voir endosser le rôle du méchant » -, lui-même ne retrouve-t-il pas un peu de son âme d’enfant ?
Même ressenti chez cette maman : son aîné, bientôt 6 ans, peut passer des heures à jouer avec ses Playmobil (décidément, incontournables !), à dialoguer avec eux. « Il a une vie intérieure hyper riche, bien plus riche que la nôtre », s’amuse-t-elle. On pourrait multiplier les témoignages à l’infini.
Pourtant, au fil des confinements successifs et à l’heure du télétravail généralisé, on entend aussi beaucoup de parents se préoccuper de devoir « occuper » leurs enfants. Les choses ne sont assurément pas simples, comme le confirme la maman solo de cette enfant, 6 ans et demi, qui aime jouer seule, mais aussi avec les autres : « Pas évident de lui dire ‘Va jouer seule’, alors que je suis tout le temps dans son champ de vision ».

Une bibliothèque à l’intérieur de soi

Les jeux symboliques et les jeux imaginaires sont le propre de l’enfance - et des artistes dans l’âme. Les parents savent combien leurs petits et petites s’amusent à créer des histoires avec leurs peluches, leurs poupées, leurs figurines ou d’autres objets détournés de leur fonction première, combien ils aiment jouer à « On disait que… », mettre en scène leurs envies, leurs peurs, leurs questions du moment, revivre ce qu’ils ont vécu de bon et de moins bon.
« L’enfant compose, à l’intérieur de lui, toute une bibliothèque d’images, de comportements, de gestes, de mots, de dialogues, d’émotions dans laquelle il va pouvoir puiser lorsqu’il en aura besoin ou envie », développe Monique Meyfroet, psychologue clinicienne. Le symbolique (schématiquement, c’est quand quelque chose prend la place de quelque chose d’autre) entre très tôt dans la vie de l’enfant.
« Dès l’âge de 18 mois, il s’adonne à des jeux symboliques. Je pense toujours à cette petite fille rencontrée dans une crèche et qui avait mis des couvercles de casserole sous ses pieds. C’était comme si elle portait des patins à roulettes : la vision de personnes faisant du patin avait dû la marquer. »
Au début, l’enfant est dans la reproduction : il copie ce qu’il observe, il imite ses proches. Il « fait comme ». Un pas plus loin est de « faire comme si » : l’enfant se met dans la peau de l’autre. Il ne fait plus seulement comme l’autre, il devient l’autre. Et en s’identifiant à l’autre, il s’identifie aussi à la relation qu’il a avec lui : cela comprend toutes les émotions qui vont avec.
Avec les jeux symboliques, l’enfant bascule dans un espace « transitionnel » (selon le terme du psychanalyste Donald W. Winnicott). « Un espace de transition entre le réel et l’imaginaire, un espace de jeu, de créativité, de liberté où il peut intégrer la réalité et aussi la transformer, la rendre acceptable, plus vivable ou l’apprécier, tout simplement », insiste Monique Meyfroet.
C’est souvent à voix haute que l’enfant (se) raconte ses histoires. Au point de produire, parfois, des malentendus. « Ma fille est capable de crier des ‘Maman…’ sur un tel ton de détresse que j’accours… pour rien : ‘Mais, maman, je joue !’, me rétorque-t-elle alors. Il faudrait un code entre nous pour que je sache quand elle a vraiment besoin d’aide », remarque, mi-figue, mi-raisin, une mère.
Mais l’enfant ne parle pas tout le temps. « On ne sait pas toujours si les copains qu’il a dans la tête ou qu’il met en scène sont des amis… ou des ennemis, prévient la psychologue. Ce peut, par exemple, être le petit copain d’école qui lui a chipé son goûter ».

Jouer seul, ce n’est pas être isolé

Paroles de parents. « Quand mes enfants jouent à des jeux où l’imaginaire prime, tu vois que cela leur tient à cœur, ils sont à fond dedans. C’est, pour moi, un signe de leur bonne santé psychique : ils sont capables de se laisser aller ». « Mon fils n’a pas besoin de stimulations extérieures pour se sentir bien. Il monte son petit décor pas loin de nous, on est là, mais dès qu’il plonge dans son univers, on n’existe plus pour lui. Il a des ressources en lui pour s’animer et s’amuser. C’est rassurant ».
Les parents s’attachent beaucoup à la capacité de leur enfant à jouer seul. « Et être seul, ce n’est pas être isolé ou ne pas avoir envie d’être avec les autres, selon Monique Meyfroet. Pour pouvoir être et jouer seul, il faut avoir intégré qu’on peut compter sur l’autre, il faut avoir une sécurité intérieure. Cette sécurité intérieure se construit d’abord dans la relation à l’autre : on sent que, même s’il n’est pas là, l’autre peut être là, on l’a à l’intérieur de soi ».

« L’enfant compose, à l’intérieur de lui, toute une bibliothèque d’images, de comportements, de gestes, de mots, de dialogues, d’émotions dans laquelle il va pouvoir puiser lorsqu’il en aura besoin ou envie »

Autre intuition de mamans et de papas fins observateurs : le lien existant entre les jeux symboliques et l’ennui. « On est en dehors des activités cadrées, prédéfinies. Il faut un moment avec rien pour déclencher ce genre de jeu. Quand les choses sont trop explicites, on n’est pas dans le même registre », dit un parent. « C’est bien de s’ennuyer. Je ne parle pas de l’ennui pour l’ennui. C’est quoi, l’ennui ? Tu es en mode pause, tu observes, tu te recentres sur toi, et ton imaginaire s’enclenche », définit un autre.
Pour Monique Meyfroet, beaucoup d’adultes ne supportent pas de voir un enfant s’ennuyer. « Peut-être parce qu’ils pensent que c’est une valeur négative. Le risque a toujours été qu’on sur-stimule les enfants et qu’on ne leur laisse pas d’espace-temps pour s’ennuyer. Alors, on peut parler d’ennui, mais on peut aussi parler de liberté ! Si on est tout le temps sollicité, si on a sans cesse des choses à faire, comment atteindre le repos qui permet de rentrer à l’intérieur de soi, de se laisser aller au rêve et de créer ? Ce que je retiens des confinements, c’est que les gens qui tiennent le coup sont notamment ceux qui ont assez de potentiel dans leur tête pour créer des choses ».

Jouer, lire, créer…

« Dans le passé, peut-être moins aujourd’hui, on a beaucoup orienté les enfants vers des jeux dits éducatifs, reconnaît Monique Meyfroet. Faire un puzzle, c’est chouette, mais il n’y a qu’une façon de le faire ! Et c’est la personne qui a créé le puzzle qui la détermine. On ne supporte pas toujours que l’enfant joue avec rien, avec du rien. On veut lui apprendre des choses quand il joue. Alors, c’est vrai que le jeu, c’est sérieux pour l’enfant, mais il ne devrait pas être dicté et préconstruit par quelqu’un d’autre ».
Pour la psychologue, « tous les enfants ont un monde imaginaire, plutôt riche ou plutôt pauvre. Il leur permet de s’accommoder avec la réalité, de ‘tricoter’ leurs idées, en fait ». Certains enfants sont plus créatifs que d’autres. « Ce sont généralement des enfants qui ont confiance dans leur capacité à rêver, à créer des choses, qui se sentent particulièrement libres. Ils ont sans doute davantage été encouragés dans cette voie ».
Et là, une piste est de lire des livres jeunesse avec eux : « Les enfants adorent quand on leur lit cinquante fois le même livre, entre autres parce qu’on ne le leur lit jamais tout à fait de la même manière ».

ZOOM

Très cher ami imaginaire…

Situation particulière : certains enfants s’inventent, soudain, un ami imaginaire. Ainsi, Antoine s’est découvert, vers ses 3 ans et demi, un frère qu’il a appelé Voiture et qui allait à la crèche, alors que lui-même n’en fréquentait pas une, se rappelle sa maman. Il lui parlait abondamment. Pendant tout un temps, il a même fallu garder une place à table pour Voiture. Pour Antoine, c’était, en quelque sorte, un morceau de lui qui vivait autrement.
Et puis, il y a Sarah qui, vers ses 3 ans, s’est trouvé un « mari » imaginaire (oui, oui !), prénommé Benoît, tout cela à l’époque où sa maman était enceinte. Sarah téléphonait tout le temps à Benoît. C’est ainsi qu’elle lui a annoncé qu’elle était enceinte. Un jour, Benoît l’a quittée, mais, comme elle l’a déclaré, cela ne l’a pas attristée.
Comment expliquer l’apparition de tels amis imaginaires ? Pour la psychologue Monique Meyfroet, « les enfants peuvent avoir besoin de créer quelqu’un qui leur appartient d’une certaine manière, dont ils peuvent détailler les caractéristiques et qui, pour eux, représente quelque chose. Ils lui font faire tout ce qu’ils veulent. Ils reprennent la réalité à leur compte et la modèlent à leur mode en quelque sorte ».
La situation est parfois si bizarre qu’elle peut préoccuper ou faire peur. « Les parents pensent que l’enfant ‘délire’, qu’il va trop loin. Ils se demandent s’il n’est pas insatisfait. Mais l’ami imaginaire est une production intellectuelle quand même ! L’enfant y met beaucoup de choses : de la créativité, du plaisir, peut-être de l’inquiétude ».
Alors, que dire au jeune Antoine réclamant une place à table pour son ami Voiture ? « Pourquoi pas ? On joue avec. On laisse une place à table, on demande s’il faut mettre une assiette en plus ». Bref, on accepte l’ami imaginaire, sans exagérer son importance. « Et, un jour, il disparaît. Comme il est apparu ».

Si, pour jouer, votre enfant semble ne pas pouvoir se passer de vous, il va donc falloir lui apprendre.

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Il ne sait pas jouer seul !