Développement de l'enfant

Avant de lire…
Isaure Jezequel et Olivia Dumont sont toutes deux étudiantes en dernière année à l’UCLouvain. Elles y terminent un master en éducation physique avec une spécialisation en psychomotricité. Dans ce cadre, elles ont choisi le Ligueur pour diffuser un article de fin de cursus consacré au schéma corporel. Nous avons accepté et accompagné leur proposition avec enthousiasme et intérêt. Ce sujet ne pourra que vous intéresser, parents, lecteurs et lectrices.
Votre enfant commence à se reconnaître dans le miroir, grimpe les escaliers sans regarder ses pieds ou dessine des bonshommes de plus en plus détaillés ? Ces signes montrent qu'il est en train de construire son schéma corporel. Que recouvre ce terme ? Comment ce fameux schéma évolue au fil du temps ? Comment l’accompagner ?
« Mia arrive à montrer les parties du visage sur les autres. On a beaucoup joué à ça depuis qu’elle est toute petite, en lui montrant les parties de notre visage et du sien ou en chantant des comptines ». Le témoignage de Chloé, maman de Mia, 2 ans, illustre bien l’évolution du schéma corporel chez le jeune enfant. Le schéma corporel représente la manière dont une personne perçoit, connaît et ressent son propre corps. C’est un peu comme une carte intérieure de celui-ci, qui se construit progressivement dès la naissance. Il ne s'agit pas seulement de savoir qu'on a deux bras et deux jambes, mais aussi de sentir ces parties, de savoir comment les utiliser, les contrôler, les nommer et les intégrer dans nos gestes quotidiens.
Connaître son corps, c’est d'abord savoir où se trouvent ses différentes parties, même les yeux fermés : sa tête, ses mains, ses pieds, son ventre. Cette conscience corporelle se développe progressivement grâce à plusieurs expériences sensorielles. La proprioception permet de ressentir la position de ses membres sans les voir. Le toucher transmet des informations par la peau. La vision aide à associer ce qu’on perçoit visuellement avec ce qu’on ressent dans son corps. Enfin, le langage permet de mettre des mots sur les sensations (« J’ai mal ici », « Je plie ma jambe »), ce sont des piliers essentiels dans cette construction.
Cette conscience corporelle se développe aussi à travers le mouvement. Quand un enfant marche, grimpe, s’assoit, court, saute ou pédale, il affine sa capacité à ajuster sa posture sans y penser. Il apprend à garder son équilibre, à coordonner ses gestes et à positionner son corps dans l’espace. Ces habiletés lui permettront un jour de faire du vélo sans regarder ses pieds ou de tenir son corps droit sur une chaise. C’est donc un apprentissage quotidien, qui se renforce au fil du temps.
Ensuite, il y a l’image que l’enfant se fait de lui-même. Lorsqu’il se regarde dans un miroir et se perçoit comme grand, petit, musclé, mince, beau… ou lorsqu’il se dessine, se met en scène en train de bouger, de danser ou de jouer. Cette image corporelle, nourrie par le regard des autres et ses propres expériences, participe activement à la construction de son identité et de sa confiance en lui.
Le développement du schéma corporel ne concerne pas seulement la motricité. Il touche aussi la gestion des émotions, le langage, les apprentissages scolaires (comme la lecture, l’écriture ou la géométrie) et même la qualité des relations sociales. En comprenant comment l’enfant construit cette représentation de lui-même, on peut mieux l’accompagner dans son développement global et lui donner les outils pour se sentir bien dans son corps et dans sa tête.
► De la naissance à 3 mois : le corps ressenti, les premiers liens avec le monde
À sa naissance, le bébé fait l’expérience de son corps à travers des sensations de base : la faim, la soif, la chaleur, le froid, le contact d’une main ou les bercements d’un parent. À ce moment-là, il ne sait pas encore faire la différence entre ce qui vient de lui et ce qui vient de l’extérieur. Il est complètement plongé dans ce qu’il ressent, sans pouvoir comprendre ou contrôler ces sensations. C’est ce qu’on appelle le « corps subi » : le bébé ne maîtrise pas encore ses mouvements, qui sont surtout des réflexes, ni les réponses qu’on apporte à ses besoins. Sa vie est alors guidée par l’intensité de ses sensations et les soins qu’il reçoit.
Mais, dès les premières semaines, cette situation évolue. Son système nerveux se développe, ses sens deviennent plus précis et les liens affectifs qui se tissent à travers les contacts répétés avec les adultes jouent un rôle important dans la construction de son identité. Ces échanges sensoriels, émotionnels et relationnels l’aident à poser les premières bases de son image corporelle. Il ressent son corps, sans encore bien le connaître, mais commence peu à peu à l’explorer.
► De 3 mois à 3 ans : le corps qui bouge, le corps qui s’explore
Autour de 4 mois, le bébé commence à attraper ses pieds, à sucer ses doigts, à toucher son visage : il entre alors dans ce qu’on appelle la phase du « corps vécu ». Cette étape, qui dure jusqu’à environ 3 ans, est très importante. L’enfant prend peu à peu conscience qu’il peut agir sur ce qui l’entoure. Il commence à faire des choix dans ses mouvements, à prévoir certains gestes : tendre la main pour attraper un jouet, baisser la tête pour éviter un obstacle, ou encore tester son équilibre en se mettant debout, puis en marchant.
Entre 9 et 18 mois, il explore de plus en plus le monde autour de lui et en même temps, il découvre davantage son propre corps. En explorant, il va parfois tomber ou se cogner, ces expériences l’aident à découvrir ses limites physiques, ainsi que les sensations liées à la douleur.
Anaïs, maman d’Alek, 14 mois, témoigne : « Il a commencé le 4 pattes assez tard, vers 9 mois et demi. Petit à petit, il a commencé à se mettre debout, à faire le tour du divan et à se lâcher. Il a deux grandes sœurs de 11 ans et 7 ans qui l’ont beaucoup stimulé en l’appelant vers elles. Il a fait un pas, puis deux, est tombé… mais s’est toujours relevé. Et peu après ses 11 mois, le 14 février, il a marché ! ».
Ce type de progression est typique de cette période où l’enfant passe du déplacement à quatre pattes à la marche autonome. L’imitation et la présence d’un entourage stimulant jouent un rôle fondamental dans cet apprentissage. L’enfant développe peu à peu sa confiance en lui et sa conscience corporelle, notamment en percevant ses limites, ses appuis, et en s’ajustant après chaque chute. Il est important de laisser votre enfant explorer librement, sans le forcer, dans un environnement sécurisé. Offrez-lui des objets à portée de main, encouragez ses efforts et, surtout, donnez-lui le temps de découvrir par lui-même. Chaque petit pas est une grande victoire !
Vers 15 mois, une étape marquante se produit : l’enfant se reconnaît dans un miroir. Ce moment marque le passage d’une image morcelée à une perception unifiée de lui-même. Il comprend peu à peu que son corps forme un tout. Après 18 mois, grâce à l’émergence du langage et à la capacité à imiter, il est capable de nommer certaines parties du corps, de reproduire des gestes et commence à construire une image mentale plus claire de ce qu’il est physiquement.
Cela se manifeste notamment par l’imitation, une étape clé vers la construction du schéma corporel. L’enfant peut alors reproduire les gestes d’un autre, reconnaître et nommer les parties de son corps, puis les projeter sur d'autres figures — que ce soit sur ses jouets, dans les livres ou en interaction avec les adultes.
« Durant le bain, nous chantons la comptine Tête, épaules, genoux, pieds, explique Laura, maman de Noëlya, 2 ans. Elle sait dans quel ordre se laver. Depuis toute petite, on lui demande où sont ses yeux, ses oreilles, ses dents… Aujourd’hui, c’est devenu instinctif. Elle montre aussi les parties du corps sur ses poupées, et elle en prend soin comme elle le ferait pour elle. »
À travers ces rituels du quotidien, Noëlya affine sa connaissance de son corps et développe une image mentale plus unifiée. Ses gestes deviennent plus précis, plus intentionnels et elle gagne en autonomie. Vous pouvez intégrer des comptines corporelles dans les moments du quotidien comme le bain, jouer à montrer les parties du corps sur des poupées ou dans des livres, ce sont d’excellentes façons d’aider l’enfant à se représenter son corps tout en s’amusant. Ces moments ludiques favorisent non seulement l’apprentissage du vocabulaire, mais aussi une meilleure conscience de soi dans l’espace et dans l’action.
D’autres pratiques du quotidien permettent également de renforcer cette conscience corporelle. Le langage gestuel, par exemple, est un outil précieux. En associant des signes à des mots ou des actions, l’enfant mobilise certaines parties de son corps de façon intentionnelle, tout en donnant du sens à ce qu’il vit. Cela favorise non seulement la communication, mais aussi la représentation mentale du corps en mouvement.
Emmanuelle, maman de Luce, 17 mois, en fait l’expérience quotidienne. « Avec Luce, nous utilisons le langage Sésame (langage signé). En plus de favoriser la communication, les gestes mettent en avant les parties du corps utilisées dans les activités par exemple, le geste manger où l’on amène la main fermée au menton. En faisant le lien entre activités de la vie quotidienne, parties du corps et communication, elle a une plus grande conscience de son corps, mais aussi une meilleure perception de son corps dans l’espace ».

► De 3 à 7 ans : le corps qui pense, le corps qui s’exprime
À cet âge, l’enfant ressent mieux ce qui se passe dans son corps, il bouge avec plus d’aisance et de précision. Il arrive à adapter ses gestes selon ce qu’il veut faire. Quand il dessine un bonhomme, celui-ci devient plus clair et plus complet, même s’il reste parfois très simple. Son image corporelle s’affine notamment grâce aux routines du quotidien, qui permettent à l’enfant d’approfondir sa représentation du corps.
Romane, maman de Mya, 5 ans, a constaté cette évolution. « Aux alentours de 4 ans, elle a pris beaucoup plus conscience de son corps, des différences entre le corps d'une fille et celui d'un garçon. Différence entre corps de l'enfant et celui de l'adulte… Pour son corps, c'est au moment du bain. Je lui réponds à chaque question qu'elle se pose sur elle ». Répondre simplement et avec justesse à ses interrogations, l'encourager à s’exprimer, le laisser expérimenter par lui-même, sont autant de moyens qui enrichissent la perception de l’enfant.
ET APRÈS ?
De 7 à 12 ans : le corps représenté – je me projette
Entre 7 et 12 ans, l’enfant change de regard sur son corps. Il ne le voit plus seulement comme un objet statique, mais comme un corps en mouvement, capable d’agir dans l’espace et le temps. Grâce à ce qu’on appelle la « décentration », il peut imaginer son corps ailleurs, en train de faire autre chose, même s’il ne bouge pas réellement. C’est l’âge où il commence à faire des opérations mentales : par exemple, il peut imaginer un geste avant de le faire ou visualiser un enchaînement d’actions dans sa tête. Cela l’aide à mieux bouger, mieux s’ajuster, mieux se repérer dans l’espace.
À l’adolescence, l’image du corps évolue fortement sous l’effet de la puberté, elle est souvent floue et instable à cette période. Le corps change rapidement, parfois de façon déroutante, ce qui peut créer un décalage entre ce que l’adolescent·e ressent et ce qu’il ou elle voit. Il ou elle devient plus attentif, plus attentive à son apparence, se questionne sur son identité corporelle et vit ces transformations aussi bien physiquement qu’émotionnellement. Le corps devient également sexualisé, ce qui influence sa relation aux autres.
BON À SAVOIR
Repérer et accompagner les difficultés corporelles
Chaque enfant se développe à son propre rythme, mais certains comportements peuvent attirer l’attention et révéler des difficultés dans la construction du schéma corporel. Quand un enfant semble avoir du mal à se repérer dans son corps ou à coordonner ses mouvements, cela peut être le signe qu’un accompagnement est nécessaire.
Dans ce cas, il est important de ne pas rester seul·e face aux doutes. Des professionnel·les comme les psychomotricien·nes, les kinésithérapeutes, les ergothérapeutes ou encore les logopèdes peuvent apporter un éclairage et proposer un suivi adapté. Grâce à leurs observations et à des activités ciblées, ils et elles aident l’enfant à mieux se connaître corporellement et à gagner en aisance dans les gestes du quotidien.
ALLER + LOIN
Les sources sur le web
- Je me ressens, donc je suis : la conscience corporelle au service du sentiment identitaire. Médecine humaine et pathologie, Olivia Cattan Boutineau (mémoire présenté à la Faculté de Médecine de la Sorbonne, Paris, juin 2022).
- Le schéma corporel (2) : Données actuelles et définition, Eric W. Pireyre (paru dans Neuropsychiatrie de l’Enfance et de l’Adolescence, décembre 2021).
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