Santé et bien-être

« Les produits chimiques n’ont pas leur place dans les jouets pour enfants », clament les associations environnementales. Si l’Europe vient de faire un pas dans ce sens, la route est encore longue pour s’affranchir des produits chimiques dans les jouets des enfants.
Bien malin qui pourrait répondre précisément à la question posée dans le titre. L’Europe ne sait pas. La Belgique pas plus. Pour la simple et bonne raison que ni l’une, ni l’autre ne régulent l’utilisation de PFAS (voir Focus) dans les jouets, contrairement, par exemple, à l’eau de distribution pour laquelle une norme de potabilité est fixée. Heureusement, les lignes viennent de bouger pour combler ce manque législatif.
C’est une lectrice qui a attiré notre attention sur ce sujet. Début mars, Annika nous écrit. Une source impliquée dans les négociations sur la règlementation des jouets lui a indiqué qu’il y avait des PFAS dans les jouets. « Je trouve ça tellement choquant, écrit la maman de deux enfants de 6 et 8 ans. Je me suis dit que le Ligueur pourrait creuser ce sujet, je pense que cela peut intéresser d’autres lecteurs ».
Son interpellation fait écho dans la rédaction. Nous épluchons l’information disponible pour comprendre le cadre qui réglemente le secteur jouet. Comité Coreper, agence ECHA des produits chimiques, commission IMCO du marché intérieur et de la protection des consommateurs, c’est une pluie d’acronymes qui s’invite dans nos investigations.
Pour nous aider à y voir plus clair, nous frappons à la porte du SPF économie et à celle de Ioana Bere qui suit ce dossier pour l’association environnementale CHEM Trust. Pour faire bref, le secteur jouet dépend principalement de deux réglementations : la directive européenne relative à la sécurité des jouets et le règlement européen REACH (enregistrement, évaluation et autorisation des produits chimiques).
Un grand pas avec le règlement jouets
Le mail d’Annika tombe pile poil dans la dernière ligne droite de la révision de la directive européenne qui date de 2009. En effet, si celle-ci fixe des valeurs limites de produits chimiques comme le bisphénol A, le plomb, le cadmium ou le nickel, elle ne fait aucune mention des PFAS. Impossible alors d’estimer leur imprégnation sur l’univers du jouet ni l’impact sur la santé des enfants.
Après quatre ans de mobilisation, la société civile obtient gain de cause : le 10 avril, un accord est trouvé entre le Parlement, la Commission et le Conseil de l’Union européenne. L’Europe prend une mesure forte : interdire les PFAS (polluants éternels), une série de dix bisphénols et les perturbateurs endocriniens dans les jouets. Reste que l’accord doit encore être voté officiellement.
Les associations environnementales, les ONG et les scientifiques ont réussi à faire entendre leurs voix, malgré la puissance des lobbys de l’industrie chimique. Mais la prudence est de mise, l’accord est provisoire et doit encore être approuvé par chaque pays membre. Le règlement jouets prendra effet en 2030 pour laisser le temps aux fabricants de se mettre en ordre de marche.
Point positif, le règlement jouets sera applicable directement par tous les États membres, contrairement à la directive de 2009 qui devait être transposée par chaque pays. Un gage d’harmonisation transfrontalière qui sera certainement salutaire selon le SPF économie.
En attendant une interdiction transversale
Si la révision du règlement jouets signe une réelle avancée, reste que le secteur dépend aussi du règlement REACH sur la gestion des produits chimiques. En théorie, REACH exige que les nouveaux produits chimiques fassent l’objet d’un examen préalable à leur mise sur le marché afin de déterminer leur toxicité.
« Le problème avec REACH, c’est qu’il interdit une substance chimique à la fois, regrette Ioana Bere. Le processus est lent. Il a fallu cinq ans pour démontrer la toxicité du bisphénol A. Une fois interdit, l’industrie chimique l’a finalement remplacé par un autre bisphénol… avec les mêmes caractéristiques et probablement les mêmes risques. On repart donc pour une nouvelle analyse de cinq ans. »
À partir de 2030, les PFAS (polluants éternels), une série de dix bisphénols et les perturbateurs endocriniens devront disparaître des jouets vendus dans l’Union Européenne
L’endocrinologue Anne-Simone Parent plaide pour que les restrictions portent sur des familles chimiques, et non sur une substance en particulier. Céline Bertrand, membre de la cellule environnement de la Société Scientifique de Médecine Générale, confirme : « REACH comporte d’importantes lacunes, il ne tient pas compte des sensibilités particulières des enfants, ni des effets cocktail. Autre problème : le contrôle préalable à la mise sur le marché repose en grande partie sur les données des tests de toxicité fournies par l’industrie chimique. Ajoutez à cela les lois agressives sur le secret commercial et vous comprendrez qu’en pratique, REACH ne parvient pas à limiter la production chimique et échoue à nous protéger ».
La Commission européenne a promis de plancher sur REACH d’ici fin 2025. « Il vaudrait mieux un texte transversal pour interdire plus largement les PFAS, mais, faute de mieux, on le fait de manière sectorielle », regrette Pascal Canfin, député européen français (Renaissance), membre de la commission environnement. Pierre Jamar, chargé de mission Santé-Environnement pour l’asbl Canopea, confirme. « Si l’on considère l’impact sur la santé, les jouets jouent un rôle moindre par rapport au secteur de l’alimentation ».
FOCUS
C’est quoi les PFAS ?
Sous l’appellation PFAS (prononcez Piface) se cachent les alkyls perfluorés et polyfluorés, des produits chimiques de synthèse. On en compte plus de 10 000 différents. Les PFAS ont des propriétés imperméabilisantes et antiadhésives. C’est ce qui explique qu’on en retrouve dans beaucoup de produits (ustensiles de cuisine, emballages alimentaires, peintures, textiles, cosmétiques, produits d’entretien ou électroniques).
Le problème des PFAS, c’est qu’ils sont éternels. Indestructibles, certains PFAS (les PFAS à chaîne longue) s’accumulent dans notre organisme de trois façons : par voie cutanée (lors d’utilisation de produits d’entretien, cosmétique ou peinture), par inhalation (poussières en suspension à l’intérieur ou à l’extérieur), par ingestion (boissons ou nourritures contaminées). Deux PFAS (PFOA, PFOS) sont interdits, car classés comme cancérigènes pour les humains.
À savoir : 94% de la population présente un taux de concentration en PFAS associé à un risque d’effets indésirables (résultat des biomonitoring réalisés par l’ISSeP, l’Institut scientifique de service public entre 2019 et 2023), c’est-à-dire qu’elle a un taux qui dépasse le seuil pour lequel il n’y a pas d’effet néfaste attendu.
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