Santé et bien-être
Elena, 13 ans, est passée par le questionnement et le déni avant de pouvoir s’assumer dans son orientation sexuelle. Décryptage de ce témoignage avec le psychologue Noah Gottlob.
Eléna* a 8 ans lorsqu’elle commence à se poser des questions sur son identité et son orientation sexuelle. Il n’y a qu’avec Anaïs*, son amie d’enfance, qu’elle se sent à l’aise pour en parler. En sous-marin, la comparse fait ses recherches. Homosexualité, bisexualité, pansexualité, tout un univers se déploie. Si les choses se clarifient dans sa tête, Elena n’est pas prête à les accepter pour autant.
À 11 ans, le poids du déni devient trop lourd. « C’est à ce moment-là que j’ai rencontré un garçon trans né de sexe féminin. J’étais clairement amoureuse de lui. C’est avec lui que j’ai compris que j’étais pansexuelle et pas bisexuelle comme je le pensais ». La vie amoureuse d’Elena reste pourtant clandestine, l’adolescente a peur du jugement.
En secondaire, au contact de nouveaux et nouvelles élèves, Elena sort de sa coquille. « J’ai eu un déclic lors d’un débat sur la communauté LGBTQIA+ en cours de morale. J’ai senti le stress monter, soit je me dérobais, soit j’assumais. Quand un élève a dit : ‘Les homos, ça ne devrait pas exister’, je lui ai demandé ce qui le dérangeait et il a répondu que ça le dégoûtait de les voir s’embrasser. J’ai dit qu’il n’avait qu’à tourner la tête s’il ne voulait pas nous voir. J’ai osé parler en ‘nous’ devant toute la classe ! ».
À la maison aussi, Elena sent que le moment est venu. Parfois la famille demande si elle a un petit ami. « Un petit ami ou une petite amie », rectifie systématiquement la jeune fille. Elena espère faire son coming out lors d’un repas de famille. Elle s’imagine que ses parents réagiront par un « Ah, O.K. Passe-moi le sel » indifférent, comme si sa pansexualité était la chose la plus banale qui soit. Elle rêve aussi d’une forme de soutien et d’intérêt. Que ses parents se renseignent.
L’ado attend patiemment qu’une occasion se présente. Elle décide d’en parler avec sa maman qu’elle sent plus ouverte. « Un soir, en zappant, on est tombée sur un documentaire sur l’homosexualité. J’ai lâché : ‘Maman, je pense que je suis pansexuelle’. J’avais l’impression que ça allait bien passer, j’avais 13 ans, je lui avais déjà glissé des sous-entendus ».
Mais c’est la douche froide. Sa mère se crispe et répond sur la défensive : « Tu vas faire la roue comme le paon et te mettre à aimer les objets aussi ? ». Quelques semaines plus tard, Elena revient à la charge. « Je lui ai simplement dit : ‘Maman, je suis pansexuelle et je suis sûre de moi’. Elle a répondu ‘O.K.’ comme pour dire qu’elle ne nie plus l’affaire ».
Elena est donc passée par plusieurs phases avant de s’assumer. À présent, c’est à ses parents de cheminer pour comprendre et accepter la situation. Voyons tout l’enjeu de cette reconnaissance avec Noah Gottlob, psychologue et co-fondateur de l’asbl Transkids et fondateur d'Epicentre asbl, le premier centre de santé inclusive.
Pourquoi est-ce si important pour un·e jeune de s’afficher et d’être reconnu·e dans son identité et orientation sexuelle ?
Noah Gottlob : « Cela interfère avec la notion de norme. L’hétéronormativité induit que, tant que je n’affirme pas le contraire, on me considère comme une personne hétérosexuelle et cisgenre, c’est-à-dire une personne qui se retrouve dans le genre qui lui a été assigné à sa naissance en fonction de son sexe. La norme est aussi binaire. Pour le jeune, c’est important de pouvoir dire : cette norme ne s’applique pas à moi.
La pansexualité s’extrait des normes d’hétérosexualité et de binarité qui envisagent l’orientation sexuelle comme hétéro, homo ou bi et le genre comme fille ou garçon. La pansexualité prend le contrepied et envisage la connexion à l’autre en dehors de la considération de genre.
La norme rend les choses prévisibles, reproductibles et crée un sentiment d’appartenance. Lorsqu’on s’écarte de la norme, ça crée comme un vacillement qui peut être source de confusion, voire de panique. Il y a ce que l’on reçoit en héritage et la façon dont on se positionne par rapport à ce cadre. Je pense qu’il ne faut pas déconstruire le cadre de référence, mais plutôt apprendre à voir au-delà. S’affirmer pour un·e jeune, c’est se donner les moyens de vivre de manière authentique sans être contraint·e par le cadre de référence dominant. »
S’affirmer pour un·e jeune, c’est se donner les moyens de vivre de manière authentique sans être contraint·e par le cadre de référence dominant
En quoi cette revendication identitaire est-elle déterminante alors que le ou la jeune n’a pas encore de vie sexuelle ?
N. G. : « Le fameux jeu du papa et de la maman se joue dès la cour de récré en maternelle. Il ne faut pas attendre la puberté pour se projeter dans des relations ou dans une vie de famille. En tant qu’adulte, quel serait l’intérêt de dire à un enfant qu’il est trop jeune pour se considérer dans telle identité ou telle orientation sexuelle ? C’est à nous, adultes, de le rejoindre dans ses questionnements. »
Qu’auriez-vous à dire aux parents qui vivent cette situation ?
N. G. : « Le fait de ne pas être reconnu·e dans ce que l’on est peut créer une dissonance terrible chez l’enfant, surtout dans le milieu familial qui est le socle de la construction identitaire. La relation affective d’Elena est source de toute une série d’émotions, le fait que les parents ne la reconnaissent pas rend leur expression impossible, avec, à terme, des dégâts sur l’estime de soi. Le besoin de reconnaissance peut aussi être affecté.
En tant que parent, on a la responsabilité de cheminer face au coming out de son enfant. Si le parent a le droit de cheminer à son rythme, il a aussi le devoir de se mettre en mouvement et de ne pas se braquer ou rester dans une posture figée de déni. Il faut faire l’effort d’envisager le cheminement de l’enfant avant de se dire pansexuel. Faire aussi un effort d’introspection : qu’est-ce que la nouvelle produit en moi ? Le coming out d’un enfant peut déboucher sur des situations très différentes. Dans les cas les plus extrêmes, il peut y avoir de la violence, des micro-agressions, de l’invisibilisation ou de l’humiliation. »
*Prénoms d’emprunt
DEUX QUESTIONS À…
Isabelle Guébenne, psychologue au planning familial Le blé en herbe à Namur
Les questions de genre, d’identité, d’orientation sexuelle sont beaucoup plus présentes aujourd’hui qu’hier. Quel regard portez-vous en tant que professionnelle de planning familial ?
« Ce qui nous interpelle, c’est la multiplication des termes. Ça me fait penser à Je suis ce que je dis, une chanson du rappeur Doc Gynéco exemplative de notre époque. Avant, on se définissait par son origine, sa famille, sa classe sociale. Aujourd’hui, on est dans une époque égolâtre où le moi est souverain. Les ados sont pris dans cette tendance à l’hyper-singularité. Les réseaux sociaux tiennent une grande place dans le processus de construction identitaire et, depuis le covid, les jeunes y font aussi leur éducation, s’identifient aux influenceurs, influenceuses ou célébrités. »
En tant que parent, on peut se sentir perdu face au coming out de son enfant. Le fait qu’il ou elle se revendique pan, c’est comme si tout était possible ?
« Il y a d’office une phase où le parent doit encaisser la nouvelle, en parler autour de lui, prendre du recul. Une fois qu’il a digéré, il peut questionner le/la jeune pour savoir ce que ça représente pour lui, à son âge, d’être pansexuel·e et en quoi c’est important d’être reconnu·e comme tel·le. Le plus important, c’est de maintenir le dialogue et la relation en gardant sa place d’adulte et en réfléchissant à ce qui aide un enfant à grandir et se construire.
Et puis, c’est aussi un peu le jeu de l’adolescence que de bousculer. Le parent peut appréhender cette phase comme une période mouvante. Entre la 1re secondaire et la rhéto, c’est presque comme si le/la jeune passait d’une planète à une autre. L’orientation sexuelle n’est pas gravée dans le marbre, les choses peuvent évoluer. L’essentiel, c’est que le jeune sente que son parent reste là pour lui, qu’il peut aller lui parler, que son amour reste inconditionnel. Même si le jeune prend ses distances et a l’air d’être en rupture, il a toujours besoin de se sentir aimé. »
POUR ALLER + LOIN
La pansexualité, c’est quoi ?
On dit qu’une personne est pansexuelle quand elle est attirée sexuellement ou sentimentalement par une personne sans prendre en considération son genre.
OÙ TROUVER DE L'INFO ?
- La Rainbow house à Bruxelles.
- La fédération Prisme en Wallonie (anciennement arc-en-ciel Wallonie).
- monplanningfamilial.be, le site des centres de planning familial agréés en Wallonie et à Bruxelles.
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