Société

« Maman, papa, c’est quoi un étranger ? »

La lutte contre le racisme et l’intolérance est à la traîne en Belgique. Et les enfants sont vite touchés et influencés par ce qu’ils entendent autour d’eux. Comment leur inculque-t-on les valeurs de tolérance et d’ouverture ? On fait le point.

« Il y a trop d’étrangers dans cette ville ! ». On n’en croit pas nos oreilles. D’où notre petite Louise sort-elle des idées pareilles ? Jamais on n’a exprimé en famille de telles remarques. On est abasourdis, un peu honteux aussi. C’est à la récré que Bertrand lui a dit que ceci et que cela. Puis une question : « Mais, au fond, c’est quoi un étranger, papa ? ». Un petit soulagement quand même, puis, tout de suite, des précautions à prendre en répondant à ses questions sans faire de gaffe.
C’est en effet l’occasion à saisir pour faire partager à sa fille une vision du monde, lui inculquer nos valeurs d’ouverture et de tolérance. Car en Belgique, la lutte contre le racisme et l’intolérance est à la traîne, selon un rapport du Conseil de l’Europe. Et les enfants peuvent, très tôt, intégrer des préjugés racistes.

Gare aux stéréotypes

Les tout petits ne sont pas encore influencés par les stéréotypes, racistes ou autres. Ils jouent naturellement et spontanément avec tous leurs camarades, sans faire de distinction. « À la maternelle, les enfants ne voient pas la différence de couleur de peau, par exemple. Souvent, la distinction vient des parents qui leur font remarquer qu’ils ont un petit copain noir », explique Didier Charlier, du Centre de l’égalité des chances. C’est une construction sociale qui vient après. Ce n’est que plus tard, vers 8-9 ans, que les enfants commencent à faire la différence entre ce que pensent les autres et ce qu'ils croient, eux.
« Maman, papa, c’est quoi un étranger ? ». C’est quand cette question se pose, que des incidents surviennent ou que les propos surgissent qu’il faut réagir. « Il faut commencer par faire attention à ses propres stéréotypes. On en a tous. Il faut veiller à ne pas les véhiculer soi-même afin de ne pas les renforcer chez ses enfants », conseille Didier Charlier.

Les réponses dans les questions

« 'C’est quoi un étranger ?' est la bonne question à poser », confirme Martine Nolis, philosophe qui s’est penchée sur la notion d’étranger dans les classes de Bruxelles. « À la question : 'Qui est étranger ?', les élèves d’origine maghrébine ont tous levé le doigt alors qu’ils sont Belges. Et les deux, trois enfants venus de l’Europe de l’Est (et pas encore naturalisés), plutôt blonds aux yeux bleus, n’ont pas bronché. Être étranger, c’est donc être différent physiquement, c’est être étrange… », a-t-elle observé. D’un autre côté, lorsqu’elle demande à un jeune garçon s’il y a beaucoup d’étrangers dans sa classe, le gamin répond : « Non, je connais tout le monde. »
La notion d’étranger prend ici un sens beaucoup plus large : on peut être étranger tout en étant du même groupe, parce qu’on a d’autres coutumes, qu’on réagit autrement… Mon voisin, né dans la même ville que moi et dont les aînés habitent depuis des générations le pays… peut être un étranger pour moi.
La question de l’étranger interroge aussi la notion de frontière. Quand on la traverse, les habitants de l’autre côté sont-ils nécessairement différents ? Une frontière, c’est une limite entre quoi et quoi, entre qui et qui ? N’est-elle pas là pour s’ouvrir aussi ?

Apprendre à cohabiter

Enfin, il est bon de reconnaître que vivre avec l’autre qui a une autre façon d’être, c’est difficile. Qu’il soit étranger, handicapé ou tout près de nous, mais avec une autre manière d’envisager l’organisation de sa vie. Reste qu’il est important d’apprendre à cohabiter pour que la vie soit, pour chacun, plus douce. S’il existe des différences entre Louise et tout ce qui peut lui paraître étranger, il y a aussi des terrains d’entente. Pour l’aider à apprivoiser, à se sentir plus proche de « l’étranger », ses parents peuvent l’encourager à trouver des valeurs communes entre elles et lui, des valeurs communes qui leur sont chères et qui deviendront alors… des normes.



S. G. et M. K.

En savoir +

Trucs et astuces pour l’ouvrir aux autres

  • On ne ment pas sur l’origine étymologique du mot « étranger » (du latin extraneus, « du dehors, extérieur; qui n'est pas de la famille, du pays, étranger »), ça ne sert à rien.
  • On explique que tout le monde peut être étranger pour un autre (dans un autre pays, une autre culture, une autre famille), mais que finalement, on est tous pareils, tous des hommes, mais avec des habitudes et un physique différent (peau, cheveux…) et tant mieux : si on était tous pareils, ce ne serait pas pratique pour se reconnaître (humour), ce serait bizarre et pas enrichissant (voudrait-il ou elle que tous ses petits copains/copines aient la même couleur de cheveux, les mêmes vêtements ?)
  • On a toujours à apprendre de quelqu’un qui n’a pas les mêmes habitudes que nous.

La sortie coup de pouce

À partir de 10 ans, les enfants peuvent visiter le Musée sur l’Holocauste et les droits de l’homme de la Kazerne Dossin à Malines. Ils y découvriront les horreurs de la déportation des juifs de Belgique et pourront débuter leur réflexion sur les mouvements de masse, aiguiser leur regard critique et s’initier aux enjeux des Droits de l’homme.

À lire

Dans Les identités meurtrières (Grasset, 1998), Amin Maalouf, rejette la notion même d’identité et d’appartenance à une nation, une religion… au profit de l’appartenance à l’humanité.

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