Développement de l'enfant

Pas toujours tendre, l’ambiance dans les cours de récré. Des enfants émettent parfois des paroles violentes sans forcément s’en rendre compte. Parmi elles, des propos racistes. Une réalité qui appelle prévention et réaction.
Les premières expressions racistes surviennent dès le début du parcours scolaire. C’est l’une des conclusions d’une étude sur les Afrodescendants menée par la Fondation Roi Baudouin en 2017. « Ce racisme s’exprime via des blagues, des insultes et des remarques associant la couleur de la peau ». Le Ligueur a récolté des témoignages qui vont dans ce sens et concernent plusieurs nationalités étrangères. Les propos peuvent émaner des élèves entre eux, mais aussi des professeur·e·s ou des parents. Les jeunes ont rarement conscience qu’ils font du mal à leurs copains. En revanche, ils ont tendance à reproduire le schéma des adultes.
On l’appelle père Fouettard
Noam a 4 ans et demi. Il est en 2e maternelle dans une école du Brabant wallon. Son meilleur copain, Rafi, est noir. En décembre dernier, les deux amis jouaient souvent à saint Nicolas. Noam disait à sa maman « Rafi, c'est toujours père Fouettard, parce qu’il est foncé comme père Fouettard ». Plus tard dans l’année, Noam redit : « On appelle tout le temps Rafi père Fouettard ! ».
Aurélie, maman de Noam, est très dérangée par cette histoire. « C'est naïf et ça ne semble pas bien méchant. Mais je ne crois pas qu'on puisse sortir d'un racisme structurel si, déjà, à 4 ans, les enfants nomment père Fouettard leur petit copain parce qu’il est noir. Assimiler une personne à une autre juste pour sa couleur, ce n'est pas gentil et ça peut blesser, même inconsciemment ».
Oui, cela blesse. Et plus qu’on ne l’imagine. Marie est la maman d’Imany, qui a 6 ans et demi et qui se voit aussi frappé du sobriquet de père Fouettard. « Je sens un accroissement des propos racistes aux alentours de la Saint-Nicolas. Durant cette période, mon fils a des comportements de détresse ».
Carlos Crespos, président du MRAX – le mouvement contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie en Belgique – a reçu une plainte sur le sujet. Elle concernait un professeur. « Dans une classe de 6e primaire, à la Saint-Nicolas, l’enseignant a attribué à une petite fille le rôle de père Fouettard car elle était noire. Après, les enfants de sa classe continuaient de la nommer ainsi. Le racisme entre élèves avait été enclenché par un adulte ».
J’aimerais avoir les cheveux beiges
Des plaintes liées au racisme à l’école, il y en a. Carlos Crespos précise néanmoins que la majorité d’entre elles touchent avant tout des parents ou des professeurs à l’égard d’élèves plutôt que des élèves entre eux.
Sarah vient du Moyen Orient. Elle s’est mariée avec un Belge. Ensemble, ils ont eu Cédric, aujourd’hui en 2e maternelle dans une école bruxelloise. « Mon fils me ressemble physiquement. Il a de magnifiques cheveux noirs, très foncés. Un jour, il me parle de l’anniversaire de son copain et me dit ‘Je ne suis pas invité. Son papa ne veut pas d’enfants avec des cheveux noirs à la maison’. Mon fils semblait trouver cela normal. Pourtant, aujourd’hui, il souhaite ‘les cheveux de papa, de couleur beige’, car mon mari est blond ».
Imany aussi subit des moqueries : « Un jour, on a comparé ses cheveux aux tentacules d’une araignée. On lui a dit qu’il avait des tresses, qu’il était coiffé comme une fille, et que les autres ne voulaient pas jouer avec lui ».
Je veux ressembler à un enfant blanc
Aude est la maman de Roxane, 7 ans, qui va dans une école namuroise. « Au sein de l’institution, il y a deux enfants d’origine chinoise. Ils sont toujours seuls. Ma fille aimerait jouer avec eux, mais ses amis lui disent de ne pas le faire, car ‘ils ne sont pas comme nous, ils sont méchants’. Ils ne sont jamais invités aux anniversaires. Roxane ne sait pas quoi faire. Le problème, c’est qu’à cet âge-là, les enfants sont sensibles au regard des autres et ne veulent pas jouer avec les enfants rejetés ».
Le racisme à l’école est bel et bien présent. Il survient dans la cour de récréation, dans les classes ou à la sortie des cours. Si les enfants ne réalisent pas toujours la portée de leurs paroles, ces dernières ont un réel impact psychologique. Anne Wetsi Mpoma est chargée de projet et de plaidoyer à l’asbl Bamko qui lutte contre le racisme. « Ces expressions nuisent à la construction identitaire de l’enfant. L’enfant ne se sent pas à sa place. Il reçoit le message selon lequel le modèle, la norme, celui à qui il devrait ressembler (mais auquel il ne ressemble pas), c’est l’enfant blanc. Il se sent exclu, il en vient à poser des questions comme ‘Maman, si je me lave, ma couleur de peau va-t-elle partir ?’ ».
Le rôle de l’école
Pour combattre et prévenir le racisme, Carlos Crespos rappelle l’importance de l’école. « C’est une micro société. Le racisme présuppose une supériorité et une incompatibilité de certains individus par rapport à d’autres, et passe par des clichés et des stéréotypes qui sont notamment transmis en son sein. L’école doit les déconstruire ». Actuellement, les établissements scolaires peuvent organiser des animations spécifiques en faisant appel à des opérateurs extérieurs, comme le MRAX ou l’asbl Jeune Et Citoyen (JEC).
Cette dernière a créé une activité de prévention au racisme qui a beaucoup de succès. Elle s’intitule « la fusée ». « Tout commence par une mise en scène, explique Fatima Amkouy, secrétaire générale de l’association. La terre va exploser et il n’y a plus aucune ressource. Les élèves doivent créer une humanité ailleurs. Seules deux fusées peuvent embarquer douze personnes, il faut alors choisir quels métiers privilégier. Souvent, ils sélectionnent ceux liés aux besoins primordiaux : médecin, professeur·e, etc. Ensuite, on leur donne une série de photos avec des profils divers et on demande d’attribuer une profession aux personnes qu’ils voient. Ils ont une liste de quarante métiers. Lors de la troisième étape, on leur dit que finalement, seuls neuf humains vont pouvoir décoller, et pas vingt-quatre comme prévu initialement. Les élèves doivent faire une ultime sélection des métiers et personnes qu’ils avaient choisis. C’est à ce moment-là que surviennent les propos d’exclusion comme, par exemple, ‘On ne va pas prendre un Noir, car il ne peut pas être médecin’. Plus on les pousse dans le tri, plus ils ont des paroles qu’ils ne soupçonneraient jamais avoir. Cette activité vise à mettre en évidence leurs schémas mentaux, à comprendre pourquoi ils ont de tels propos et comment les changer ».
Concrétiser des promesses politiques
Fatima Amkouy pointe la nécessité d’un changement systémique au sein des écoles. « C’est facile d’amener une réflexion dans les petits espaces comme les classes, mais c’est beaucoup plus compliqué au niveau global. Le danger, c’est qu’après une animation comme ‘la fusée’, la volonté est là pour résoudre les problèmes, mais si la direction ne fait rien, tout est oublié l’année suivante ».
D’où l’importance d’une réponse politique. À ce sujet, la ministre de l’Enseignement Caroline Désir s’est récemment engagée à intégrer dans les nouveaux référentiels du tronc commun une place spécifique liée aux questions de racisme, de discrimination et de stéréotype, ainsi que sur l’histoire du Congo, sa colonisation et son indépendance. Des engagements bien nécessaires au vu des récits partagés ici.
Alix Dehin
En pratique
Que faire en tant que parent ?
Parallèlement à l’école, le parent a un rôle à jouer. Il se retrouve parfois démuni quand il réalise que son enfant est acteur, victime ou témoin de propos racistes. Fatima Amkouy, secrétaire générale de l’asbl JEC, organise des conférences sur le sujet. Elle nous éclaire.
« Si le parent apprend que son fils ou sa fille attribue des propos racistes à l’égard de ses copains, il ne doit pas se fâcher ou punir son enfant. Ce dernier n’a peut-être pas conscience de ses propos. Il doit s’asseoir avec lui et l’interroger : ‘Qu’as-tu voulu dire à ton ami ? Sais-tu ce que sont des propos racistes ? Qu’est-ce que cela signifie ? Qu’est-ce que cela implique comme attitude ?’. Il convient de comprendre ce qu’il se passe dans la tête de l’enfant pour le sensibiliser.
Si le parent constate que son enfant est victime de paroles racistes qui viennent d’autres enfants, il ne doit pas arriver en trombe à l’école et se fâcher sur ces derniers. Il doit s’assurer que son enfant a bien compris en quoi ça l’a touché, pourquoi, et analyser la situation. Si celle-ci est complexe, il peut s’adresser à la direction ou aux profs, mais certainement pas aux enfants.
Si, en revanche, les propos viennent de parents d’enfants, comme dans le cas de Cédric, nous sommes dans un cadre d’adulte à adulte et dans la sphère privée. J’inviterais le parent à rencontrer l’autre parent et dialoguer. Le parent ne peut pas nier la situation, ne peut pas dire à son enfant : ‘Ne t’inquiète pas, tu seras invité à un autre anniversaire’. Il doit interagir avec l’autre adulte dans une démarche d’apaisement et de résolution de conflit. Je ne préconise pas d’aller porter plainte, mais, si c’est répétitif, il convient de s’en référer aux instances extérieures à l’école, comme le MRAX ou Unia.
Enfin, si l’enfant est témoin de racisme, le parent doit immédiatement en informer l’école. À nouveau, ne pas minimiser. Le parent a le devoir de questionner l’institution scolaire sur les outils mis en place pour assurer un cadre non-discriminatoire. »