Développement de l'enfant

Dans les précédents numéros du Ligueur, on a beaucoup parlé des ados qui ne vont pas bien, entre santé mentale fortement touchée par les différentes crises et délinquance. Cette fois-ci, virage à 180°, on s’intéresse à la catégorie de celles et ceux pour qui tout roule. Un non-sujet ? Pas vraiment.
En France, un institut de sondage vient de réaliser une enquête auprès de 850 ados né·es en 2008. Le point central de cette enquête : le bien-être. Et un verdict qui devrait rassurer pas mal de parents d’ados, puisque 72% de ces 14-15 ans disent être satisfait·es de leur vie. Alors, oui, on pourrait lire ce chiffre en disant que trois ados sur dix ne vont pas bien. Mais les sept autres, doit-on pour autant les laisser de côté au prétexte que tout se passe plutôt bien à la maison, à l’école ou dans leurs relations aux autres ?
Se pencher sur cette question des ados pour qui c’est facile, c’est aussi évidemment s’intéresser à leurs parents. Des parents pour qui ces interrogations, des inquiétudes - parfois un peu irrationnelles - viennent pointer le bout de leur nez. C’est le cas de Ossama, papa de Younès, 15 ans. « Franchement, je trouve ça super louche que ça aille si bien. Younès a de bons résultats à l’école, il est bon en sport, il s’intéresse à la culture, il a des ami·es et même une petite copine. Sa chambre est plutôt bien rangée, il est serviable, si on lui dit de rentrer à 22h, il est là à 21h59. Même sur l’utilisation de son gsm, il n’y a trop rien à lui reprocher. En fait, je me dis que si un jour ça me pète au nez, ça va être un truc de dingue ». Qu’Ossama se rassure, on a a priori de bonnes nouvelles pour lui…
L’adolescence, c’est parfois aussi un long fleuve tranquille
« Ce papa doit être patient, c’est possible que ça vienne encore, s’amuse la psychologue Mireille Pauluis. Pour être plus sérieuse, il faut d’abord rappeler que l’adolescence, c’est une période où l’enfant devient grand, vit de nouvelles choses et surtout les vit avec un autre regard. Pour certain·es, sortir du milieu familial en claquant les portes, aller à l’encontre des règles établies, c’est un passage obligé. Mais pour d’autres, quitter le giron familial, ce n’est pas envisagé. Tout simplement par qu’ils ou elles y sont bien. Ce sont des ados qui ne sont pas étouffé·es, qui ont suffisamment de place pour s’exprimer. »
Suffisamment de place pour s’exprimer, voilà un autre élément de l’enquête évoquée au début de cet article. 80% des 850 ados interrogé·es affirment pouvoir parler librement avec leur parent. La communication serait ainsi la solution à tout problème adolescent ? Ce n’est qu’un des éléments en jeu pour Mireille Pauluis, qui précise que le plus important derrière tout cela, c’est qu’il y ait un cadre, des règles à respecter, comme pour les plus petits enfants.
Selon une récente étude, 7 ados sur 10 sont satisfait·es de leur vie et 8 sur 10 parlent librement à leurs parents
Noé, 20 ans, mèche rebelle et sourire constant aux lèvres, se retrouve assez bien dans cette idée. S’il confesse « quelques conneries vraiment minimes pour tenter d’épater les copains », il a toujours été ce qu’on appelle un ado facile. « J’avais des copains qui faisaient vraiment des trucs limite illégaux, qui se barraient plusieurs jours de chez leurs parents, qui brossaient des cours. Moi, rien de tout ça. Je sortais, oui, mais je rentrais à des heures raisonnables, je ne manquais pas l’école. Pourtant, ma situation familiale était pas si simple, puisque mes parents ont divorcé quand j’avais 14 ans. Ça aurait pu me faire vriller, mais mon père et ma mère ont toujours été à l’écoute, ils m’ont laissé des libertés, mais aussi recadré quand il le fallait. Je savais et je sais encore aujourd’hui que j’ai ce support, cette base en cas de problème, c’est hyper rassurant. C’est sans doute pour ça que je n’ai pas fait cette fameuse ‘crise d’adolescence’ comme ont fait certains potes ».
De l’importance du cadre
Quand il y a un certain équilibre, que les parents doivent maintenir en élargissant petit à petit le cadre en fonction de la maturité, du développement de leur enfant, on peut voir que ça se passe généralement bien. Qu’en est-il dans les cas différents ? « Ce qui est pénalisant pour un·e ado, c’est d’avoir trop ou pas du tout de contraintes, enchaîne Mireille Pauluis. Pour schématiser, quand un jeune va avoir trop d’interdits chez lui, soit il va aller chercher ailleurs sa liberté, soit il va rester dans le canapé ou dans son lit à ne rien faire, le risque est alors d’avoir un jeune qui devient très timoré, sans évolution. Comme un oiseau à qui on aurait coupé les ailes et qui ne peut pas s’envoler ».
À l’opposé, il y a les parents qui ont choisi de ne pas mettre de cadre. La porte ouverte à des situations très dangereuses, pour notre psychologue. « L’absence de cadre signifie l’absence de limites. Et quand il n’y pas de limites, on s’expose à des conséquences plus ou moins graves. Je reçois parfois en consultation des adultes qui me racontent leur adolescence sans cadre. Leur conclusion est généralement sans appel, ils me disent : ‘Je pense que mes parents ne tenaient pas à moi’. On en revient comme souvent à ce principe de sécurité de base, qui permet d’explorer le monde en confiance avec les parents comme soutien pour retomber sur ses pieds ».

Se raconter pour libérer
Avec Annabelle, maman de deux ados de 14 et 17 ans, on est loin de ces situations de trop ou pas assez de cadre. Dans sa maison, où elle vit avec son compagnon et père de ses deux filles, c’est calme. Trop calme ? « Je n’ai pas de réelle angoisse à propos de ça, je trouve ça quand même très cool d’avoir deux enfants aussi faciles à vivre, qui ne posent aucun problème dans un monde pourtant bien fou. Mais, quand je repense à ma propre adolescence, à ce que j’ai fait ou vécu, je me dis que peut-être elles passent à côté de certaines expériences. Mon inquiétude, si on peut l’appeler comme ça, c’est qu’elles ne soient pas suffisamment outillées pour vivre dans la société actuelle ».
Si l’adolescence des parents remonte déjà à quelques années, voire quelques décennies, que le monde a fort changé, il ne faut pas hésiter à la raconter, à se raconter. C’est en tout cas le conseil de Mireille Pauluis. « Dire qui on a été, parler de soi à travers des anecdotes, c’est dire à ses enfants ‘Moi aussi, j’ai eu 14-15-16-17 ans, dans un monde différent, O.K., mais où j’ai vécu des expériences, découvert des choses et fait des erreurs aussi’. Il n’est pas question de comparer le monde d’hier et celui d’aujourd’hui, mais d’ouvrir la porte à l’expérimentation. On dit à ses enfants que l’on trouve trop sages, trop faciles : ‘Allez, essayez, testez, sortez, vivez vos expériences. Vous allez peut-être avoir des mauvaises surprises, mais je suis là, j’en ai déjà eu aussi et je vais vous aider à passer le cap’. De la sorte, on construit ensemble un espace qui assure une sécurité psychique et physique suffisante pour les ados… et pour les parents ».
Tant côté parents qu’enfants, se faire confiance mutuellement, s’appuyer les un·es sur les autres, parler librement de (presque) tout, poser un cadre qui convienne à toutes les parties et se laisser la possibilité de l’élargir (ou le rétrécir si besoin)… seraient donc les ingrédients de base pour une adolescence pleine d’une certaine sérénité. Des préceptes résumés par l’ado de service de votre serviteur en un laconique et finalement assez juste : « Ben, normal, si vous êtes cool, on va pas faire les relou » (ndlr : « les lourds » pour celles et ceux dont le langage ado reste un mystère !) ».
POUR ALLER + LOIN
Le parent parfait, miroir déformant
Pour certaines ados, cette facilité n’est qu’une facilité de façade, souvent destinée à simplement satisfaire les parents. Dans de très nombreux cas, ces mêmes parents sont perçus comme parfaits par leurs enfants, qui tentent ainsi par la ruse de coller à la perfection parentale.
« Le parent parfait, c’est une catastrophe pour un enfant parce que cela entrave toute liberté, toute sécurité à se raconter. Si à la première bêtise, c’est une punition, si à la première cotation un peu moins bonne ou au premier bulletin qui n’est pas conforme aux attentes, il reçoit les foudres de Jupiter, on peut comprendre le besoin de se fondre dans ce moule de perfection.
Pour être à l’aise pour se raconter à ses parents, un enfant, un ado a besoin d’une figure d’attachement qui ne soit pas parfaite. Pour se construire sur de bonnes bases, il a besoin d’un adulte qui lui dit qu’il a le droit de se tromper, qu’il a le droit de faire des conneries. Alors on en parle pour qu’il y ait une prise de conscience et on répare s’il y a besoin de le faire. »
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