Développement de l'enfant

Mon ado fume, que dois-je faire ?

Les jeunes sont particulièrement vulnérables face à la cigarette. Devant cet état de fait, de nombreux parents - qu’ils soient non-fumeurs, ex-fumeurs ou fumeurs - ne savent pas toujours comment réagir. Le Ligueur aborde la question avec Cédric Migard, chargé de projet au service prévention tabac du Fonds des affections respiratoires (Fares), une association qui se consacre notamment à la prévention et à la gestion du tabagisme.

L’industrie du tabac l’a compris depuis longtemps, « les adolescents d’aujourd’hui sont les consommateurs réguliers potentiels de demain » (Philip Morris, 1981). À ce propos, les derniers chiffres de Sciensano - l’institut de santé publique belge - vont dans le même sens : en 2018, un peu moins d’un·e jeune belge sur six entre 15 et 24 ans déclare fumer.

En moyenne, le ou la jeune fume sa première cigarette en entier à 16 ans et six mois et en fait une habitude quotidienne vers 18 ans et trois mois. Au total, près de 90% des fumeurs et fumeuses - tous âges confondus - ont commencé à fumer régulièrement avant d’atteindre l’âge de 22 ans.

À l’heure où l’on connaît tous les méfaits du tabagisme, quelles sont les raisons principales qui poussent l’ado à commencer à fumer ?
Cédric Migard :
« Les facteurs pouvant entraîner un individu vers la consommation d’un produit sont multiples et difficiles à identifier dans la synergie, la relation qui se tisse entre la personne et son environnement au sens large. Tout contexte pour un·e adolescent·e - l’école, la famille, les amis, le groupe, la société, etc. - peut jouer un rôle de protection contre les assuétudes ou, au contraire, induire une forme de pression augmentant les risques quant à une consommation ou un comportement dérivant vers une dépendance. L’influence des pairs, le rôle du tabac comme ‘porte d’entrée’ dans un groupe sont, par exemple, très souvent mis en avant par les ados. En lien avec ceci, l’autre élément déterminant est à rechercher du côté des ressources propres à la personne, ses compétences psychosociales, c’est-à-dire ses capacités à répondre de façon équilibrée, harmonieuse et constructive aux exigences du monde extérieur. L’Organisation Mondiale de la Santé en a listé dix : savoir résoudre les problèmes, savoir prendre des décisions, avoir une pensée critique, avoir une pensée créatrice, savoir communiquer efficacement, être habile dans les relations interpersonnelles, avoir conscience de soi, avoir de l'empathie pour les autres, savoir gérer son stress, savoir gérer ses émotions. Le développement de ces ressources est reconnu comme un facteur de protection par rapport aux assuétudes. A contrario, un déficit au niveau des compétences psychosociales laisse l’ado davantage fragilisé·e par rapport aux consommations, car celles-ci peuvent apparaître comme une réponse efficace aux difficultés rencontrées. Par exemple, le tabagisme est fréquemment vécu par les jeunes, en milieu scolaire notamment, comme un sas de décompression par rapport au stress, et ce même s’il crée objectivement un stress physiologique puisqu’il augmente le rythme cardiaque ainsi que la pression artérielle. »

Un·e adolescent·e peut-il/elle devenir dépendant·e au tabac aussi vite qu’un·e adulte ?
C. M. : « Bien sûr. J’ajouterais même que, de manière générale, plus la consommation de tabac commence jeune, plus l’arrêt de la cigarette deviendra difficile. Si on a vingt ans de tabagisme derrière soi et qu’on a commencé à 14 ans, on a énormément de souvenirs liés au tabac qui nous rendent encore plus dépendants psychologiquement. »

Comment réagir en tant que parents face au constat que son enfant fume ?
C. M. : « Plusieurs pistes sont à explorer. D’abord, il importe que le parent parte des représentations du jeune lui-même par rapport au produit. Il peut engager une discussion, mais dans une dynamique d’échanges et certainement pas comme un policier. L’idée n’est pas d’être dans la stigmatisation ou la diabolisation, mais dans la compréhension. Le parent doit veiller à laisser une place pour que son jeune parle des inconvénients du produit, mais aussi de ses avantages.
Ensuite, s’il souhaite informer son ado sur les dangers du tabac, le parent peut appliquer la méthode ‘DFD’ : demander-fournir-demander. Plutôt que d’imposer à son jeune de lire une brochure sur le tabac, le parent la lui proposera. Si le jeune accepte, il la lira avec plus d’intérêt. Le parent fournit l’information puis revient vers son ado pour lui demander ce qu’il en a pensé. L’idée est de privilégier le processus dynamique d’échange égalitaire. L’adulte doit absolument éviter de laisser croire au jeune qu’il détient la vérité, sortir du champ strictement moral ou sanitaire. Le parent doit aussi faire un travail sur lui et laisser un espace pour le dialogue plutôt que de simplement dire à son ado : ‘C’est dangereux, tu dois arrêter de voir tes potes qui fument’.
Une troisième piste consiste à ce que le parent reconnaisse et accepte l’ambivalence du fumeur ou de la fumeuse. Celle-ci se traduit par le ‘Oui, mais’ : ‘Oui, je sais que le tabac est mauvais pour la santé, mais cela me déstresse’. Un fumeur ou une fumeuse qui tient ce genre de discours est déjà dans une démarche d’arrêt. Son ambivalence peut aussi prendre la forme de ’Je fume, j’arrête, je refume’, mais cela n’est pas pour autant négatif. C’est un processus, le mouvement a été amorcé, ce n’est pas un échec. Le parent doit donc rester dans une logique positive par rapport à l’ambivalence de son ado fumeur.
Enfin, le parent peut aborder avec son ado la question de la manipulation de l’industrie du tabac. C’est toujours intéressant d’aborder l’aspect manipulatoire avec les jeunes, d’autant plus que certains d’entre eux sont dans la consommation d’un produit pour être antisystème. En leur montrant que le tabac les rend esclaves et prisonniers d’une industrie, les jeunes réalisent qu’en fumant, ils sont dans le système, ce qui les gêne. »

Quid du parent fumeur qui souhaite que son ado arrête, le syndrome du « Fais ce que je dis, pas ce que je fais ». Comment peut-il réagir ?
C. M. : 
« Cela touche à la question de la légitimité. Elle nous revient dans les deux sens : ‘Je suis fumeur/fumeuse donc je ne suis pas légitime’ ou ‘Je ne suis pas fumeur/fumeuse donc je ne suis pas légitime’. À partir du moment où on est dans un espace de dialogue, qu’on ne considère pas qu’on a le savoir et qu’on est dans une démarche constructive, on sera toujours légitime. À l’inverse, si on prétend détenir le savoir, qu’on soit fumeur.se ou non-fumeur.se, l’autre pourra toujours nous reprocher d’être illégitime. »

 

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