Développement de l'enfant

« Mon enfant a peur des chiens »

« Mon enfant a peur des chiens »

Qu’on le croise en balade ou qu’il fasse partie de la famille, le chien fait peur à certains enfants. Une crainte bien naturelle, et souvent passagère. Mais qui peut aussi, lorsqu’elle est intense, devenir source de souffrance. Et si on cherchait à l’apprivoiser, sans renoncer à sa part utile : la prudence ?

Alix, 6 ans, se tient face à Peps. Une petite fille face à un grand chien et une petite victoire face à une grande peur. Il n’y a pas si longtemps, en effet, cette rencontre aurait été impossible. La première fois qu’Alix est venue chez Canimôme, elle avait si peur qu’elle hésitait à entrer. Aujourd’hui, pour sa quatrième séance de désensibilisation, elle a choisi de rencontrer Peps, un des chiens de l’association. Accrochée au sac-à-dos qui lui sert de bouclier, elle a même accepté que l’éducatrice détache la laisse…

Derrière le chien, l’inconnu

Selon une enquête réalisée auprès d’une centaine de familles par Véronique Neuvens, psychologue et vétérinaire de formation, dans le cadre de sa thèse de doctorat (UCL, 2014), la majorité des parents estime que leur enfant a peur des chiens. La plupart du temps, cette peur est modérée. Mais chez certains enfants – 17% selon l’enquête –, il s’agit d’une peur intense, qui génère de la souffrance.
D’où vient cette peur excessive, en langage technique la « cynophobie » ? Parfois d’un événement traumatisant dont l’enfant a été victime ou témoin, qu’il s’agisse d’une morsure ou du débordement d’enthousiasme d’un jeune chien qui, à hauteur d’enfant, peut être très effrayant. Il arrive aussi qu’un parent transmette sa propre peur à son enfant ou l’effraie à force de mises en garde.
Mais, bien souvent, la peur des chiens n’a pas de cause connue. « À peine un quart des enfants que nous recevons ont subi un événement identifiable comme étant à l’origine de leur peur intense des chiens », constate Bénédicte de Villers, qui a créé l’association Canimôme en 2005, après avoir surmonté sa propre peur suite à une morsure.
Lorsqu’elle n’est pas liée à un événement, la peur des chiens est généralement le reflet de la peur éminemment humaine de l’inconnu. C’est ce qu’explique Véronique Neuvens, dont l’enquête a d’ailleurs montré que la peur des chiens était davantage présente dans les familles qui n’en avaient pas… Une peur particulièrement fréquente chez les jeunes enfants parce qu’elle est très « concrète ». Dans sa thèse, la psychologue écrit en effet que « la peur des animaux se rencontre chez les enfants vers 7 ans (et avant cet âge aussi) tandis que la phobie sociale ou celle de situation (par exemple, parler en public) sont plus fréquentes chez les adolescents ».

Quand la peur crée le danger

Souvent mal comprise par l’entourage, qui peut avoir tendance à la minimiser (« Mais enfin, regarde comme il est gentil / petit / mimi… »), la peur du chien a la particularité d’être très handicapante, car les chiens sont partout ! Les enfants qui en ont une peur intense développent ce qu’on appelle des « stratégies d’évitement ». Ces stratégies peuvent les amener à se priver de bons moments (fêtes d’anniversaire, de famille, mouvements de jeunesse, balades au parc…) pour ne pas croiser de chien. Elles peuvent également les mettre en danger. Le coup classique ? L’enfant qui traverse brusquement la rue, sans regarder, après avoir aperçu un chien… Sans compter que face à un enfant effrayé qui se met à courir, à crier ou à le pousser, l’animal peut se sentir menacé et réagir agressivement.

Comprendre les peurs de l’enfant, comprendre les réactions du chien… et celles de son maître ou de sa maîtresse

« Souvent, c’est quand les stratégies d’évitement deviennent trop envahissantes ou trop compliquées à gérer que les parents prennent leur téléphone pour faire appel à nous », raconte Bénédicte de Villers. Canimôme propose (entre autres) aux enfants un dispositif de « désensibilisation » basé sur la rencontre progressive et ludique avec des chiens choisis et éduqués à cet effet. « Nous donnons aux enfants des outils pour apprendre à gérer leur stress et à lire les comportements de l’animal. En adoptant telle posture ou tel mouvement, qu’est-ce que je dis au chien ? Et comment est-ce que je peux interpréter ce qu’il me renvoie ? ».

« Casse ta boule de peur »

« Casse ta boule de peur », encourage Vanessa Ipsen, l’actuelle directrice de Canimôme. Debout au milieu d’un cerceau jaune, Alix tape des pieds sur le sol. Avant de souffler pour « cracher les morceaux de peur » et de se tenir bien droite. À chaque fois que l’angoisse monte, Vanessa rappelle ce rituel à la petite fille. Sans jamais la forcer.
« Lors de la première rencontre, il n’y a pas de chien, signale d’ailleurs Bénédicte de Villers. On va d’abord discuter et expliquer à l’enfant qu’on va jouer avec des contrats : ‘Voilà ce que je te propose. Est-ce que tu es d’accord ? Si tu n’es pas d’accord, pas de problème, on fait autre chose’ ». C’est ainsi qu’Alix, toujours équipée de son sac-bouclier, rapproche progressivement son cerceau du tapis où se trouvent Vanessa et Peps. Apprivoiser sa peur des chiens, c’est aussi prendre confiance en soi. Se débarrasser de l’excès de peur et acquérir la prudence.
Riche de sa double formation de psychologue et de vétérinaire, Véronique Neuvens propose pour sa part des animations scolaires à partir de la deuxième maternelle. Son programme éducatif d’activités chiens-enfants (Peace), basé sur l’empathie, la « théorie de l’esprit », a pour but de prévenir les accidents en aidant les enfants à décoder le comportement des chiens, à deviner leur état émotionnel et à anticiper leurs réactions. Face aux peurs intenses, cette spécialiste préconise de se tourner vers un·e psychologue pratiquant la thérapie cognitivo- comportementale.

Parents vs. Maîtres et maîtresses

Difficile de parler de la peur des chiens sans évoquer les confrontations parfois conflictuelles entre parents et maîtres ou maîtresses de chiens. Les premiers souhaitant que leurs enfants puissent profiter d’un espace de jeu sécurisé et sécurisant, les secondꞏes tenant à offrir à leur ami à quatre pattes la liberté nécessaire à son épanouissement. L’exemple typique, connu de tou·tes les citadin·es, c’est bien sûr le parc. Les esprits s’y échauffent parfois, créant pour les enfants un climat d’autant plus inquiétant…
« Il y a un travail de médiation à faire pour permettre à ces intérêts légitimes, mais différents, de se rencontrer, estime Bénédicte de Villers. Il y a beaucoup de malentendus. Établir des ponts entre ces deux visions peut être précieux pour les deux parties ». En toile de fond, c’est la question de l’organisation de l’espace public et de la cohabitation apaisée de ses usagers qui se pose ici. À l’heure où de plus en plus de personnes adoptent un chien, il s’agit d’un vrai défi pour demain !

EN PRATIQUE

De la peur à la prudence

La peur est une émotion normale qui a le mérite, lorsqu’on l’apprivoise, d’éveiller à la prudence. Car un chien reste un chien et 70% des victimes de morsures sont des enfants. Afin d’éviter les accidents, voici quelques conseils pratiques glanés auprès de nos interlocutrices.

  • Deux règles d’or :

► Un enfant ne doit jamais rester sans surveillance avec un chien. Contrairement à ce que l’on imagine souvent, la majorité des accidents sont le fait d’un chien connu de l’enfant.
► Avant de s’approcher d’un chien pour le caresser, l’enfant doit en demander l’autorisation à son parent, au maître ou à la maîtresse… et au chien lui-même, qui peut marquer son envie d’être laissé tranquille en détournant la tête, en reculant...

  • Des clés pour se comprendre : il est essentiel d’éduquer son chien, mais aussi d’apprendre aux enfants à respecter l’animal. Dans sa brochure L’enfant et le chien, de la sécurité à la complicité (à télécharger sur one.be), l’ONE donne de précieux conseils à souffler à tous les parents et enfants, des plus craintifs aux plus téméraires !
  • Un geste protecteur : croiser les bras. Proposé par Canimôme, ce geste permet d’avoir quelque chose entre son visage et le chien. Croiser les bras oblige aussi à ralentir le mouvement, à ne pas se jeter sur le chien. 

EN SAVOIR +

  • Outre les séances de désensibilisation, l’association Canimôme propose de nombreux services : animations scolaires, formations, médiation animale, stages et activités récréatives inclusives. Plus d’infos sur canimome.be
  • Pour en savoir plus sur les animations scolaires basées sur le programme Peace de Véronique Neuvens, rendez-vous sur la page Facebook « Minimomes maximomes ».