Loisirs et culture

« Mori » et « Norbert » de Marie Colot aux éditions Cotcotcot

Lire, ça m’dit avec deux albums signés Marie Colot, Mori, illustré par Noémie Marsily, et Norbert, illustré par Arianna Simoncini (Cotcotcot)

Ce samedi, notre chronique « Lire, ça m’dit » propose deux albums signés Marie Colot, Mori, roman graphique illustré par Noémie Marsily, et pour des plus jeunes, Norbert, illustré par Arianna Simoncini. Tous deux publiés aux éditions CotCotCot.

Au rythme auquel Marie Colot publie, il y aurait de quoi remplir la bibliothèque familiale avec ses livres. Outre ces deux nouveautés cotcotcotières, l’autrice belge sort également un nouvel album chez Hélium, L’Immense Petite Maison, illustrée par Anaïs Brunet que nous présenterons dans le Ligueur d’octobre.

Mori

Pour l’heure, arrêtons-nous sur ces deux titres publiés par la maison belge Cotcotcot. Mori d’abord, beau volume aux accents japonais. On pourrait croire que le titre est le prénom de l’héroïne. Il n’en est rien. En japonais, le terme mori désigne la forêt. Cet écrin de vies menacé partout sur la planète est au cœur de ce roman publié dans la collection Les randonnées graphiques. Avec, figure tutélaire du récit, Akira Miyawaki, botaniste reconnu internationalement pour sa technique de revégétalisation des villes. Plutôt qu’exposer sa méthode de manière didactique, Marie Colot a opté pour ce qu’elle écrit le mieux : de la fiction. Elle nous raconte la vie de Mikiko, jeune orpheline dont le père est décédé dans un séisme et dont la mère travaille tard le soir. Dans la ville de Tokyo, qui ressemble à une forêt de béton, la petite fille mène une existence solitaire et affronte des peurs nées d’une enfance déjà passablement chahutée par l’existence. Le récit nous immerge dans des ambiances nipponnes, fait allusion à des aliments typiques, décrit certaines traditions comme celles du sanctuaire shintō... Le texte est semé de termes japonais qui rythment les dialogues et accentuent l’impression de dépaysement. Un lexique en précise les significations à la fin de l'ouvrage. Alors que Mikiko s’enhardit hors de l’appartement en l’absence de sa mère, elle découvre un terrain vague où un vieillard, à la manière de L’homme qui plantait des arbres de Jean Giono, place inlassablement des rameaux dans le sol. Au milieu de la jungle de béton, le vieil homme qui n’est autre qu’Akira Miyawaki, lui propose de devenir son assistante. Le scientifique lui explique sa volonté de recréer une forêt urbaine primitive, composée uniquement d’essences locales et avec un minimum d'intervention humaine. Et ça marche: la verdure mordille l’espace gris. Au fil des pages, le livre s’orne lui aussi de plantes présentées dans les planches de Noémie Marsily, accompagnées de leur idéogramme. Mais Mori est aussi un roman d’apprentissage. Le botaniste a un invité surprise, son neveu Kakuzō, aussi passionné que lui par les arbres. Au début, Mikiko et Kakuzō se toisent pour se rapprocher au fur et à mesure. Leur amour se renforce de leur passion commune, même si l’une et l’autre vont tracer une voie propre, elle dans le dessin, lui à l’université. Et la vie qu’ils ont magnifiée au contact de Miyawaki, ils vont la placer au cœur de leurs projets communs. Leurs émotions se reflètent dans un texte au cordeau qui dialogue subtilement avec les aquarelles pleines de fraîcheur, soyeuses à souhait, de Noémie Marsily qui a eu l’intelligence de ne plagier ni le style des mangas, ni celui des estampes nippones. Certains détails des dessins sont soulignés de traits fins à l’encre de Chine. Akira Miyawaki, décédé en 2021, a multiplié ses micro-forêts dans Tokyo, sur le territoire japonais et bien au-delà. Il a aussi inspiré d’autres botanistes et architectes paysagistes qui végétalisent de plus en plus de villes de par le monde. Mori est à la fois un hommage à cet homme d’exception, une immersion dans une culture originale et un plaidoyer pour cette terre qui est notre maison commune et dont nous dépendons (dès 12 ans).

Livre jeunesse Mori

Norbert

C’est à une toute autre aventure, tant narrative que visuelle, que nous invite Norbert. Destiné à des plus jeunes, ce récit commence par une phrase simple qui est déjà tout un programme : « Norbert habitait dans une tête. » Sans point d’exclamation. Comme une évidence. Il y côtoie des tas d’idées qui attendent de devenir des histoires dans un joyeux capharnaüm. Si le décor est assez domestique, les personnages ont une touche surréaliste. Ce Norbert, mi-animal, mi-végétal, a tout des attitudes d’un humain. Surtout il manifeste sa mauvaise humeur à l’égard d’une interlocutrice invisible qu’il tutoie. Il exige qu’elle lui permette de s’évader de sa tête pour lui offrir les aventures les plus incroyables, comme elle l’a déjà fait auparavant pour tant d’autres personnages. Pratiquant l’autodérision, Marie Colot métaphorise le processus créatif dans une étrange allégorie. Elle nous invite à découvrir ce qui lui passe par le cerveau quand elle se coltine à un charivari d’idées, voire à la page blanche. Elle propose une aventure intérieure surprenante, aux accents philosophiques mais sans se prendre au sérieux. Arianna Simoncini joue le jeu en entrant dans la tête de l’autrice et en matérialisant à sa façon les cheminements aléatoires de sa pensée dans des illustrations aux crayons de couleur et au graphite, retravaillées à la palette graphique. Une fois sorti de cette tête où il était confiné, Norbert peut enfin vivre son aventure et chacun de nous peut tenter d’imaginer ce qui va arriver à cette figure inhabituelle. À moins que Marie Colot ne s’en charge dans un proche avenir… (à partir de 5 ans)

Livre jeunesse Norbert