Loisirs et culture

Faut-il vous présenter le Wolf, cette fabuleuse maison de littérature jeunesse à deux traces de pattes de la Grand-Place de la capitale ? Poussez les portes de la tanière, et vous voilà dans un livre jeunesse géant, où chaque parcelle est comme une nouvelle page que l’on dévore.
Oh, le bonheur de se rendre au Wolf, un lieu que l’on connaît si bien. On y a vu grandir les enfants. On y a assisté à des tours de table d’auteur·es de haute volée. On a suivi des animations. On y a rencontré nos homologues parents, amoureux des livres et d’histoires à transmettre.
Aussi, quand ce spécial littérature jeunesse s’est édifié, il nous a semblé évident d’ouvrir nos colonnes à la très engagée Muriel Limbosch, habitée par les images, par les mots, par les histoires qui l’entourent. Le Wolf, c’est son reflet. Un lieu dédié à une certaine littérature jeunesse. Exigeante. Surtout pas élitiste. Il est important pour Muriel Limbosch de rompre avec l’image sacrée du monde de l’édition pour enfants.
Aussi, est-on extrêmement surpris (et amusé), alors qu’on lui explique que l’idée est de parler du lien qu’entretiennent les parents avec les histoires pour enfants, qu’elle nous réponde de but en blanc, tout en maintenant un certain sérieux : « Ah, les parents… je déteste les parents… enfin ceux qui pensent à la place de leurs enfants» ». Oh ?
Ne pas instrumentaliser la littérature jeunesse
Mais encore ? « Tous les enfants aiment les histoires. Sans cadre. Sans leçon de morale. Un·e bon·ne auteur·e les amène à une réflexion. Je n’aime pas citer de noms, mais vu qu’elle est notre marraine, parlons de Kitty Crowther, par exemple. Elle s’adresse aux enfants comme s’ils étaient des adultes. Sans jamais leur lâcher la main pour autant. Ne croyons surtout pas que les enfants n’ont rien à nous apprendre. Par exemple, au contact des classes qui viennent ici, des petit·es et grand·es que je rencontre, j’apprends tout le temps. Tous les jours. C’est pour ça que je n’aime pas les parents qui pensent à la place de leurs enfants. Je trouve que, trop souvent, ils ont une image très calculée de tout ce petit univers. Ils le sacralisent ».
Nous autres, parents, serions donc trop en attente d’histoires calibrées ? Mais, au fond, ce serait quoi alors, une bonne histoire ? Muriel Limbosch n’hésite pas une seconde, elle répond du tac au tac que c’est toujours personnel.
« Un livre doit véhiculer une émotion. Comme dans une histoire d’amour, il y a quelque chose de personnel qui nous touche quelque part à ce moment-là. Que cela plaise aux parents ou non. Mon grand combat, il est là. Il consiste à ne pas instrumentaliser la littérature jeunesse. On ne doit rien lui demander. Les auteur·es racontent des histoires, plongent les enfants dans la littérature. Ils et elles ne font pas un manuel. »
Notre hôte se méfie des livres trop calculés. C’est d’ailleurs ce qui la guide son choix dans la sélection qu’elle propose dans sa librairie ou quand elle raconte des histoires aux enfants. Selon elle, tout est faisable. On peut s’attaquer à de grands sujets complexes, tant que l’on ne sent pas les recettes, ni des auteur·es, ni des maisons d’édition.
Un exemple ? Un livre dont le Ligueur vous a parlé dans la chronique littérature jeunesse et à l’occasion d’un dossier sur les familles sans abri dans le numéro 22 de 2021. Bastien, ours de la nuit (Versant Sud Jeunesse) de Ludovic Flamant et Sara Gréselle est un ouvrage sur l’errance, incarnée par un ours qui symbolise le sans-abrisme. Un ouvrage brillant, sur lequel peu d’éditeurs ou d’éditrices auraient parié vu la dureté du propos, bien que n’entravant jamais la poésie du récit. À l’image de cette fin ouverte, où l’on ne sait pas si l’ours dort ou s’il est mort.
C’est justement tout ce qu’aime Muriel Limbosch : laisser la possibilité d’interpréter le propos. Ne pas prendre les petit·es lecteurs et lectrices pour des imbéciles ou des êtres à protéger de la rudesse du monde, coûte que coûte. Une question de sensibilité à respecter. Bon, d’autres remarques à l’endroit des parents ?

Laisser la possibilité d’interpréter le propos, ne pas prendre les petit·es lecteurs et lectrices pour des imbéciles ou des êtres à protéger de la rudesse du monde
Laissez-les choisir les livres qui leur plaisent
Autre observation de notre grande amoureuse des histoires, la fâcheuse tendance des adultes à imposer le livre de leur choix aux enfants. Peut-être parce qu’il est difficile d’admettre pour un parent que son rejeton n’a pas les mêmes goûts que lui. Muriel Limbosch, elle-même maman de trois enfants, devenus grands aujourd’hui, se souvient de certaines histoires qu’elle n’aimait pas particulièrement lire à ses enfants, mais qui résonnaient en eux.
La libraire propose un exercice intéressant. « Demandez-vous quel livre vous avez lu petit 100 fois, 200 fois, 500 fois et en quoi il résonne aujourd’hui. Il sommeille, là, il est enfoui. C’est aussi là où les adultes me gênent. Qu’ils laissent choisir. Qu’ils ne s’arrêtent pas à des critères trop circonscrits. ‘Pas assez de couleur’. ‘Pas assez de textes’. Comme s’il fallait beaucoup de mots. je préfère toujours m’adresser directement aux enfants. Et puis, heureusement que l’on n’aime pas tous les mêmes livres. Heureusement que les enfants n’acceptent pas d’emblée les histoires que leurs parents aiment ».
Et sur la question des histoires que les parents n’aiment pas lire à leurs enfants, alors ? L’auteur de ces lignes, par exemple, victime collatérale du dogme Claude Ponti, ne supporte pas de lire à voix haute les inventions verbales du célèbre auteur. Muriel Limbosch comprend, mais, dit-elle, une histoire, c’est un partage qui se fait dans les deux sens. Et il arrive que ce soit l’enfant qui nous amène à aimer un auteur qui ne nous attirait pas au départ. Tout peut être fantastique si les récits sont amenés de manière enthousiasmante. Et, parfois, la transmission, l’échange autour d’un ouvrage, d’un genre littéraire permet de se comprendre au-delà des mots.
Le rôle du parent là-dedans ? Il est on ne peut plus simple : proposer des tonnes de livres et d’auteurs et autrices différent·es aux enfants et ados qui les entourent et rester ouvert à ce qui les intéresse. Sans imposer. Sans contrecarrer.
« Je tiens à préciser une chose encore : n’arrêtez pas de raconter des histoires une fois que vos enfants savent lire et écrire. Continuez à le faire le plus longtemps possible. Jusqu’à la fin des primaires et au-delà. Il ne faut pas cesser ce mécanisme de la lecture. Vous pouvez même rendre les plus grands actifs avec les petits frères et sœurs. Parce que pour eux, quelle fierté ».
Continuer à maintenir le goût de la narration. Voilà un conseil que l’on devrait donner à tout âge. Mais, au fait, qu’est ce qui a changé en douze ans de Wolf ?
Le combat de David contre Goliath
Avec les différents publics qu’elle voit passer, des lecteurs et lectrices aisé·es et conscientisé·es qui ont le réflexe librairie, à une clientèle plus précaire du centre de Bruxelles, le Wolf est un parfait observatoire des parentalités. Beaucoup de changements en douze ans ? Sur bien des aspects, oui. Les papas participent de plus en plus aux activités et s’impliquent dans la lecture à leurs enfants. Hélas, Muriel Limbosch constate un déficit de lecture dans les classes, qui a tendance à s’accroître avec les années.
« Je ne comprends pas pourquoi on n’apprend pas à lire à partir des livres, des histoires plutôt que dans des manuels. Le livre jeunesse devrait pouvoir jouer ce levier. On est dans autre chose. Dans le fait d’écouter un récit, le comprendre et le résumer. Quel outil fabuleux, un outil d’ouverture et d’apprentissage. »
Outil fabuleux, mais menacé, non ? Quel est l’avenir de l’édition jeunesse face à la crise. Muriel Limbosch ne cache pas ses inquiétudes. « Nous sommes dans un combat de David contre Goliath. Le livre jeunesse ne se porte pas si mal, malgré les écrans mais je crains que les grosses machines s’en sortent mieux que les autres. Même si mon espoir réside dans les petites structures qui arrivent contre vents et marées à se forger une place. Je pense à des structures comme la formidable maison d’édition bruxelloise CotCotCot qui tiennent le coup ».
Dans cette bataille, l’enjeu est de taille, rappelle la cheffe de meute. Si toutes les petites structures meurent, nos enfants finiront tous par lire les mêmes histoires. Un vrai formatage. De vrais algorithmes, déplore-t-elle. La solution pour ne pas en arriver là ? Se ruer dans les librairies indépendantes. Si elles ont connu des jours heureux pendant la pandémie, les chiffres de certaines sont en berne depuis le mois de janvier.
De même, il est important de soutenir les petits éditeurs. D’avoir le moins possible recours aux plateformes marchandes bien connues.
Finalement, en nous heurtant un peu, mais avec beaucoup de sympathie et de reconnaissance portée aux familles, Muriel Limbosh nous apprend une chose importante. Dans la façon d’acquérir un livre, comme dans sa lecture, tout dans la littérature jeunesse doit être affaire de plaisir partagé et d’envie de grandir ensemble.
À DÉCOUVRIR
Les coups de cœur absolus de Muriel Limbosch
- Les Vermeilles de Camille Jourdy (Actes Sud BD)
- La visite de Petite Mort de Kitty Crowther (Pastel)
- Je te tiens de Benoît Jacques (Benoît Jacques Books)
- Les dernier Géants de François Place (Casterman)
- Rumeur de Thomas Lavachery (l’École des loisirs)