Vie pratique

Existe-t-il un moyen de lutter contre cet ogre numérique qui dévore tout sur son passage ? Les parents doivent-ils se plier à cette nouvelle donne sans moufeter ? Nos enfants sont-ils condamnés à végéter le visage bleui par les leds fades des différents écrans ? Plus important encore, la fissure numérique de ce petit globe fragile sur lequel on vit est-elle inéluctable ? Mais non, tant qu’il y a des bonnes initiatives, et justement, on en a à revendre, il y a de l’espoir.
Pour les besoins de ce dossier, nous toquons à la porte de Tony de Vuyst, directeur général de PointCulture, partenaire de Média Animation et de la Semaine Numérique, où cette idée de soigner les fractures numériques revient à chaque édition. Paradoxalement, il nous explique que ce qui l’inquiète, ce sont les problèmes de santé liés à la surconnexion, qui ont explosé ces derniers mois. Il nous cite d’ailleurs quelques chiffres préoccupants : 70 % des internautes reconnaissent qu’ils ne peuvent pas se passer d’internet, seulement 23% des jeunes parviennent à se déconnecter quelques heures dans la journée. Tous ces indices sont en augmentation de sept points par rapport à 2019.
Réguler une consommation excessive, permettre à ses enfants de le faire, c’est une façon de lutter contre les mauvais usages. Et, donc, une façon de réguler les fractures numériques, comme nous le verrons dans les pages suivantes.
Réguler le numérique… par le numérique
► Trop de réseaux sociaux ? Il existe tout un tas d’outils qui permettent de mieux gérer sa navigation (du yype Your time on Facebook, par exemple, chaque plateforme - Instagram, TikTok, Twitter, etc.) - possède son propre outil de gestion. Le Ligueur met souvent en garde contre ce type de solution, mais Tony de Vuyst trouve l’enjeu passionnant. Même s’il est bien conscient que le numérique qui soigne le numérique, c’est une solution pleine de paradoxes. Ici, il s’agit d’autogestion plus que de solution technique. Mais un parent peut montrer à son enfant ses statistiques en lui expliquant pourquoi sa consommation sur les réseaux sociaux est préoccupante. Souvent, des chiffres sont plus parlants que des mots.
► Décroche de ton smartphone. L’analphabétisme numérique ne consiste pas seulement à ne pas savoir se servir d’un smartphone, mais aussi à mal s’en servir. On ne donne pas un GSM à son enfant sans lui transmettre un mode d’emploi, qui passe par une limite. En cela, les applications FLIPD ou Moment (sur le store pour les accros aux pommes), sont pour Tony de Vuyst une bonne piste. Deux outils qui mesurent le temps passé et ont pour objectif d’encourager tout utilisateur, toute utilisatrice à se déconnecter. Il est même possible de créer des alertes pour réguler sa consommation ou celle d’un tiers. Bien, à condition de ne pas s’en servir pour pister son enfant.
► Mailovores. Accros aux mails ? Pas vous ? Pourtant Tony de Vuyst nous apprend qu’on lit, en moyenne, 77 fois nos emails par jour. Nous, vos ados, vos étudiant·e·s. Pour ces derniers, justement, il faut à chaque fois une minute pour se reconcentrer sur son travail en cours. Soit, à force de répéter les opérations, plus d’une heure trente perdue par jour. Connexion virtuelle contre reconnexion au réel ? Il semble intéressant d’exposer ce chiffre à nos accros aux écrans pour corriger le tir. On le trouve éminemment parlant.
Sortir de l’analphabétisme numérique
► Les ateliers de parents. Mis à l’honneur lors d’initiatives comme celle de la Semaine du Numérique, les ateliers de parents se multiplient sur divers thèmes : se mettre à niveau tant en ce qui concerne les usages sur les réseaux sociaux que sur des territoires peu maîtrisés par certains parents, comme les jeux vidéo, les jeux en réseau, etc. On peut épingler ceux à l’attention des familles de Média Animation, mais aussi l’initiative commune à la Ligue des familles et Child Focus, Webetic. Une séance pour apprendre en famille à gérer les usages du web au quotidien. Au programme : infos pratiques, trucs et astuces, conseils de prévention, exemples concrets, vidéos éducatives avec des mises en situation et tuto pour une navigation plus apaisée.
► L’informatique au féminin. Aux parents troublés par les observations d’Isabelle Collet dans les pages précédentes à propos des inégalités de genre face au monde virtuel, voici un précieux outil. Le portail Interface 3, vaste et complet projet européen, est tout bonnement incroyable. Il propose non seulement des remises à niveau pour les filles et pour les garçons. Mais aussi des cours de mécanique de bécane (oui, on parle d’ordinateurs), des séances d’information, d’orientation, des formations thématiques… On ne peut que vous conseiller de pousser les portes de cette incroyable ressource qui va faire naître bien des vocations. Ou, tout du moins, rassurer dans les choix. Aux mamans qui nous lisent, ce site vous concerne également pour votre recherche d’emploi. Interface 3 forme chaque année 120 femmes dans les métiers liés à l’informatique. De quoi coller un gros pansement sur la brèche numérique, non ?
► Les bibliothèques au cœur de l’inclusion numérique. C’est au moment de boucler cet article qu’une bibliothécaire avec qui on discute de ce dossier nous rappelle une évidence. Tant par leur rayonnement auprès de publics variés, dont beaucoup d’enfants issus de milieux populaires, que par leur présence sur l’ensemble du territoire, les bibliothèques et les médiathèques jouent un rôle essentiel dans la quête vertueuse de l’inclusion numérique. Leur rôle va plus loin qu’un simple accès à un matériel informatique. Cette mise à disposition est suivie - hors crise - de vrais conseils, d’accompagnement et même de formations thématiques en fonction des publics et des demandes. D’ailleurs, une fois la coronacrise résorbée, ce serait formidable que, dans les communes, les parents se portent volontaires pour organiser des petits modules de remise à niveau. On vous l’a dit : c’est d’abord la solidarité qui va résorber les fractures.
► Collecte et redistribution d’appareils numériques. Superbe initiative encore une fois chapeautée par la Fondation Roi Baudouin. Les équipes de Solidaris, de la Croix-Rouge de Belgique et d’aSmartWorld ont joint leur force pour permettre aux familles de s’équiper. Comment ? En faisant appel à la solidarité collective. L’idée : rassembler smartphones, tablettes, ordis, puis les reconditionner et les distribuer aux personnes dans le besoin. L’idée ne s’arrête pas là puisque le collectif s’assure que chaque bénéficiaire puisse être formé aux bons usages de ce drôle de monde numérique. Toutes les infos sur connectedsmiles.be
Et les ambitions politiques en faveur des familles ?
Enfin, notion chère à Christine Mahy du Réseau wallon de lutte contre la pauvreté (RWLP) : multiplier les initiatives citoyennes en faveur de l’inclusion numérique, très bien. Laisser le champ aux initiatives privées, pourquoi pas. Mais l’État ? Quelles initiatives mènent les politiques pour recoller les deux parties du globe ? La Ligue des familles et le Gezinsbond, main dans la main, ont interpellé les autorités il y a quelques années, appelant à mieux guider les ménages dans les sphères numériques, à rendre les applications en ligne plus accessibles, gommer les barrières et, surtout, à ne pas discriminer toute personne moins habile devant un clavier.
Très récemment, la « Proposition pour un plan national e-inclusion horizon 2020 » en Belgique définit les lignes directrices de cette fameuse inclusion numérique comme processus menant les citoyen·ne·s à maîtriser les technologies numériques en vue « d’une participation effective et autonome aux divers domaines de la vie sociale ». Derrière ces belles attentions, beaucoup de mots, mais peu d’actes (voir encadré).
Mais au fait, quel serait le graal de cette technologie ? On a fait un tour de table et on est tombé sur un consensus : que les familles parviennent à se servir des outils numériques pour atteindre leurs propres objectifs et acquérir le pouvoir d’agir individuel et collectif. Pour rappel, parents, vous avez la possibilité d’agir par l’école pour équiper chaque famille non ou mal équipée. Constituez des groupes, organisez-vous entre vous et n’oubliez pas, à chaque action, de bien interpeller les pouvoirs communaux. Chaque intervenant insiste, c’est collectivement que l’on résorbera ces inégalités aux enjeux si importants.
ZOOM
La Fédération Wallonie-Bruxelles relève les manches
Un peu de positivisme. La FWB, consciente de la gravité de la situation, a mis en place une initiative, tant à l’égard des parents, des enseignant·e·s que des fournisseurs de matériel ou d’accès : mesoutilsnumeriques.be. Objectif ? Soutenir la numérisation des apprentissages. Pour cela, deux leviers : d’abord centraliser l'ensemble des informations relatives à l'équipement numérique des écoles et des élèves et leur famille, puis remédier aux besoins de ceux-ci. L’info ne semble pas ou peu circuler, puisqu’aucun·e intervenant·e n’en avait entendu parler. Saluons ce premier pas. Et n’hésitez pas à vous rendre sur le site, il y a un onglet parents, spécialement fait pour vous.