Loisirs et culture

Olivia Auclair, comme de l’eau de roche

Olivia Auclair, comme de l’eau de roche

Chanteuse, comédienne, clown, conteuse, accompagnatrice de deuil… Olivia Auclair en a, des cordes à son arc. Ce qui n’entrave en rien une trajectoire cohérente et une sincère transparence. Le fil conducteur ? Une humanité débordante, hyper communicative. Il était plus que temps de tirer son parcours… au clair.

Il nous a fallu deux ans pour la rencontrer, cette grande comédienne dans tous les sens du terme. En 2020, une interview est convenue. Mais une certaine crise sanitaire passe par là. Pas le choix, on repousse. Olivia Auclair ne lâchera pas. Elle appelle, toujours patiemment. Elle relance, multiplie les portes d’entrée. On lui en parle, un peu confus au moment de la rencontrer, on la félicite pour sa ténacité qu’elle analyse.
« Ça me semble important pour moi de parler de mes projets aux parents. Parce que j’en rencontre beaucoup et que je sais que certains de mes spectacles, de mes chansons peuvent être le début d’échanges constructifs ». Voyons pourquoi et marchons sur les traces de son passé.

« Il faut y aller ? Vas-y »

L’histoire commence dans les environs de Hoeilaart. Avec cette dualité que relatent souvent les artistes : la petite fille rêve de théâtre, mais ses parents lui assènent que ce n’est pas un vrai métier. C’est à 10 ans, lorsqu’elle joue le rôle principal d’une pièce, incarnant un matou qui se gratte la patte et fait pleuvoir, que le parcours d’Olivia devient évident. C’est à la scène qu’elle doit consacrer sa vie.
Diction, déclamation au conservatoire, puis étude du mouvement à la renommée école Lassaad à Bruxelles, Olivia a peur. Les obstacles sont nombreux. Et comme elle se le répétera tout au long de son cheminement, comme si elle était son propre coach : « Ce n’est pas pour toi ? Il faut y aller ? Vas-y ». Comme un défi à relever en permanence. C’est d’ailleurs toute une série de bravades de ce genre qui la mène à la chanson.
À l’époque, avec un seule-en-scène dans les tiroirs, Olivia ne se destine pas à une carrière musicale. Elle propose un texte à un prof de chant. Puis une chanson. Puis une autre. Puis un tour de chant. Tout se produit un peu par accident, sans calcul, sans stratégie. « Bonne expérience qui va ouvrir d’autres portes », commente-t-elle rapidement.
Les portes ? Celles des Rencontres d’Astaffort, en France, le centre de chansons porté par l’association Voix du Sud et fondé par… Francis Cabrel lui-même. « Oui, ça peut paraître surprenant, mais ça a été un véritable magma créatif, rembobine Olivia. Nous avons composé 45 chansons en dix jours. Puis, on a présenté une sélection sur la scène d'Astaffort. Un vrai défi ».
Galvanisée par la fin des Rencontres, Olivia apprend qu’il se joue prochainement une autre édition, une version jeune public. Réaction ? « J’en suis. ‘Il faut y aller ? Vas-y’. Quelques mois après, on présente donc de nouvelles chansons. Nous sommes une quinzaine d’artistes de différents horizons. Coup de bol, la fille de Francis Cabrel est présente dans la salle et elle adore. Son papa aussi. Emballé, Francis vient nous voir : ‘On va le produire, ce spectacle’. Très vite, une tournée se monte : L'Enfant porte, d'après un conte de Yannick Jaulin sur la lutte contre l'illettrisme. Mais, petit problème, sur scène, il y a une bande son, pas de musicien·nes. Certains festivals refusent de nous programmer. Francis Cabrel trouve une solution : ‘Je vais les accompagner, moi’. La tournée dure trois ans ». Après cette aventure ? Olivia Auclair n’a pas chanté son dernier mot.

Chanson gourmande pour enfant

À la scène, aux interactions avec le jeune public, Olivia Auclair y a goûté et en est mordue. D’où naissent des séries de spectacles. Différentes gourmandises. Comprenez par-là des volontés d’expérimenter et de proposer des inventions scéniques.
Ainsi, avec Madame Jeannotte, personnage inspiré d’une de ses profs en humanités, Olivia Auclair fait hurler des gros mots aux enfants… devant leurs parents. Dans un autre spectacle, T’en fais une tête, l’ode est au rire plus qu’à la bouderie. Enfin, Buzz,un amour de bourdon est un imbroglio amoureux où les genres d’insectes se mélangent et finissent par trouver l’amour, avec un petit clin d'oeil à Cyrano de Bergerac.

« Plus que d’un spectacle sur la mort, on insiste sur le fait qu’il s’agit avant tout d’un hymne à la vie »

À chaque personnage qu’elle énonce, la comédienne ne peut s’empêcher d’incarner tout le petit monde qui l’habite. Le tout se fait sous l’égide des Babeluttes, en duo avec Nicholas Yates qui compose et triture différents samples et autres boucles musicales (loop pour les averti·es) en direct, devant les yeux ébahis des petit·es.
Chaque spectacle fait l’objet d’un album. Il existe même des clips sur le site qu’on vous conseille vivement de visionner avec vos enfants. Puis, arrive un nouveau show, qui tourne et qui est l’objet de ce portrait : De l’autre côté, un spectacle-album consacré à la mort. Oui, il est possible de toucher et même de faire rire les enfants avec des chansons et une pièce sur ce sujet.

Auclair avec la mort

Alors que notre portraitisée du jour n’est pas avare de mots et d’anecdotes, elle préfère ne pas trop en dire sur les inspirations autour de sa pièce. Ce que l’on comprend tout de suite, c’est le rapport frontal qu’entretient l’autrice à la mort. D’histoires fondées sur des signes, des anomalies, des hasards autour du sujet, elle n’en manque pas. De faits ahurissants, non plus. Le texte existe depuis dix ans. Mais Olivia Auclair ne savait pas quoi en faire. Parler de la Grande Faucheuse, O.K. Dédramatiser l’inéluctable, pas de problème. Mais il faut le faire avec tendresse.
Après des années de maturation, le spectacle est prêt, le lancement prévu le 17 mars 2020… Mais… mais… mais… mars 2020 ne vous est pas étranger, pas vrai ? Confinement oblige, il faudra encore attendre deux ans pour remonter sur scène.
« Avec la double actualité anxiogène, covid et guerre en Ukraine, plus que d’un spectacle sur la mort, on insiste sur le fait qu’il s’agit avant tout d’un hymne à la vie. On essaie de distiller des pistes précieuses pour aborder le sujet. Il se passe plein de choses. Des propos qui se sont débloqués, des familles qui viennent nous voir plusieurs fois parce qu’elles estiment que les chansons les aident. On est très alimenté par des propos parfois singuliers que l’on entend : ‘Maman n’a pas voulu que je vienne à l’enterrement de grand-maman parce que j’avais pleuré la première fois et qu’elle ne voulait pas que je le refasse’. »
On ne peut pas dire qu’Olivia Auclair cultive un rapport décomplexé à la mort. En revanche, il est très doux. Une empathie qu’elle a développée pendant le confinement, où elle fait bénévolement de l’accompagnement de deuil dans la forêt. Une fondation à Fleurus a acheté une parcelle de onze hectares et propose de ritualiser la mort en versant les cendres des défunt·es au pied d’un arbre. Des moments beaux et douloureux, chargés émotionnellement. Comme une piqûre de rappel pour pouvoir toujours aborder le contenu du spectacle avec justesse ?
« Les enfants me demandent toujours si la personne dont je parle dans la pièce, c’est ma maman. Je réponds 'oui' tout de suite. Je ne laisse planer aucun doute. Je trouve ça plus évident d'être franche. Et là, c’est comme si ça amenait quelque chose en plus, ça me rend légitime. Sur le chemin du deuil, on ne pense pas aux mort·es. On pense aux souvenirs. On a peur que ça nous traumatise, que ça traumatise nos enfants. Je me suis inspirée de beaucoup de mots d’enfants. De beaucoup d’ouvrages, de psys, d’auteurs, d’autrices. »
Mais ce qu’elle retient de tous ces échanges, c’est le jour où un enfant lui dit : « Pour moi, la vie, c’est comme un jeu de l’oie. Case départ, tu arrives sur Terre. Puis tu passes par les cases câlin, dispute, galère et, à la fin, t’as gagné le jeu ». Un procédé qu’elle réutilise sur scène où la petite fille mise en scène souffle dans des ballons de baudruche qui illustrent colère, tristesse, jalousie… Elle souffle toutes ces émotions, et à force de le faire, la vie reprend dessus. Ainsi, elle apprend à admettre la mort de sa maman après avoir évacué encore et encore. » Une manière plus facile d'accepter ?
« Ce qui est difficile, c’est l’absence de mots ou de discussions autour du sujet. Je pense qu’il faut se dire que c’est moins dramatique qu’on l’imagine, nous, adultes. Les enfants savent ce que c’est. On ne doit pas les protéger de ça. Pourtant ils voient des animaux morts, des insectes, des feuilles mortes même. Ils peuvent aussi avoir un copain ou une copine orphelin·e. Oui, c’est douloureux, mais on avance. Avec le temps, les choses s’atténuent. On va vers du velours. »

À VOIR

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