Santé et bien-être

« On sort de là, on est perdu. La seule chose qu’on sait, c’est que c’est grave »

« On sort de là, on est perdu. La seule chose qu’on sait, c’est que c’est grave »

Solange, Valérie, Romain ont en commun d’avoir un enfant porteur d’une maladie rare ou orpheline. Parce qu’elles sont rares, leurs maladies ont été difficiles à diagnostiquer. Ce parcours fait d’errance et d’incertitude appelle un soutien psychologique qui fait encore souvent défaut.

Décembre 2017, Solange et Kevin ont rendez-vous avec la neurologue. Après onze mois d’attente, les tests génétiques ont parlé. Lou, 2 ans, est atteinte d’ataxie-télangiectasie. Un terme alambiqué pour expliquer les pertes d’équilibre et toutes ces choses qui ne tournent pas rond depuis sa naissance. C’est une des ataxies les plus graves. Enfin un nom auquel se raccrocher. Mais il sonne creux. La médecin n’en dira pas plus. Solange ose une question. Est-ce que sa fille pourra travailler un jour ? Peut-être, répond la toubib évasive. L’entretien s’arrête là.

Un diagnostic lâché comme une bombe

Solange ne dort plus. Elle a besoin de savoir. D’entrer en contact avec des gens. Espagne, Israël, États-Unis, Pays-Bas. Elle sillonne le web à l’affût de la moindre information. De fil en aiguille, elle prend la mesure. Non, sa fille ne travaillera pas. La maladie est rare. En Belgique, les enfants atteints d’ataxie se comptent sur les doigts d’une paire de mains. La maladie est aussi neurodégénérative. Tôt ou tard, Lou sera en chaise roulante, ne pourra plus parler ni manger seule. Son espérance de vie ne dépassera pas les 25 ans.
Cinq ans plus tard, Solange n’a rien oublié. Le diagnostic a été lâché comme une bombe, sans aucune forme d’encadrement. « On sort de là, on est perdu. La seule chose qu’on sait, c’est que c’est grave. On n’a reçu aucun conseil, aucune proposition de soutien psychologique », regrette la maman.
Valérie se retrouve dans le témoignage de Solange. Quand la neurologue lui annonce que son fils est atteint de neurofibromatose, c’est le choc. La médecin met plus de formes. Elle lui conseille de ne pas chercher sur internet. L’entretien se clôture sans plus d’informations ou proposition de soutien. À peine rentrée, elle se met en recherche d’une association de patient·es. Valérie veut savoir comment son fils va évoluer. Se projeter. Rencontrer d’autres parents.

L’odyssée diagnostique

Novembre 2015, Romain et Ludivine sont penchés au-dessus de leur petit garçon pour le premier bain. Tout à leur bonheur, ils planent. La pédiatre, elle, trouve Aurélien fort grand, s’étonne de la taille de ses pieds, de ses mains. Elle n’ose en dire davantage. Une semaine plus tard, elle recontacte Ludivine pour un second rendez-vous. Aurélien a onze jours quand la médecin fait part de ses suspicions. Le nouveau-né présente des signes d’une maladie rare des tissus conjonctifs. Un rendez-vous est pris à l’Huderf (hôpital des enfants Reine Fabiola) pour le lundi. Il faut patienter un week-end. Deux jours à errer sur les moteurs de recherche pour creuser une piste trop vague.

Quand une maladie arrive dans une famille, c’est un cataclysme avec des effets en cascade

Le généticien confirme, il s’agit probablement du syndrome de Marfan. Reste à entreprendre l’analyse génétique. Le centre expert sollicité émet des doutes. Ludivine et Romain sont en parfaite santé. Tout comme leurs deux filles aînées. Il faut parlementer pour obtenir ce qui peut être remboursé : une analyse sur un gène qui n’est pas directement lié au syndrome de Marfan. Romain et Ludivine acceptent.

Apprendre à vivre avec

Il faut attendre. Encore. Les parents entament une deuxième plongée en apnée. Les tests reviennent négatifs : le gène testé ne présente aucune anomalie. L’air revient pour Romain. Son petit garçon va bien. Ludivine n’y croit pas. Elle sent que quelque chose ne va pas. Le couple retourne chez la pédiatre. Elle ausculte le cœur d’Aurélien. Il va très mal. Départ en trombe pour l’Huderf.
Le généticien est furieux. Il ne laisse plus le choix au labo. Peu importe les remboursements, il faut procéder immédiatement à une nouvelle analyse du gène associé au syndrome de Marfan. Aurélien doit être pris en charge sur le champ. Les parents repartent pour une troisième apnée.
Aurélien a 11 mois quand le diagnostic définitif tombe. Il est atteint d’une forme néonatale du syndrome de Marfan. C’est une forme rare très grave d’une maladie rare incurable. Son espérance de vie statistique est de seize mois. Onze mois d’errance pour apprendre qu’il reste statistiquement cinq mois de vie à son enfant. Insoutenable. Le généticien en a conscience. Il conseille à Romain et Ludivine de prendre soin de leurs autres enfants et de leur couple. Explique que quand une maladie arrive dans une famille, c’est un cataclysme avec des effets en cascade. Leur parle de consulter une psychologue. Il a quelqu’un à leur conseiller. Il se tient à leur disposition lorsqu’ils seront prêt·es.
L’apnée est terminée. Il va falloir apprendre à vivre avec ce diagnostic. Les rôles s’inversent. Le fait de savoir libère Ludivine, elle s’investit dans le soin. Pour Romain, c’est l’inverse : il ne dort plus et se plonge dans la science. Il cherche un sens. Ludivine et Romain comprennent que ce ne sera pas tenable. Que ce soutien psy qu’ils n’envisageaient pas, il faut s’en saisir. La psychologue conseillée par le généticien les aide. À comprendre. À accepter. À avancer. À traverser cette épreuve ensemble. Ils la voient d’abord toutes les semaines. Puis tous les mois. Puis à chaque fois que le besoin s’en fait sentir.
Aujourd’hui, Aurélien a 7 ans. Il multiplie les opérations et passe beaucoup de temps à l’hôpital, mais il va aussi bien que possible. Romain trouve tout aussi normal de consulter les spécialistes pour son fils que la psy pour aider la famille. « Ce soutien psychologique, on a eu la chance que ce généticien nous le propose. Mais je me rends compte en parlant avec d’autres parents que c’est loin d’être le cas pour toutes les familles ».
Vendredi dernier, une maman a fondu en larmes en écoutant Romain évoquer à quel point ce soutien avait été important. Ému par la réaction de cette maman, il se promet d’en parler davantage. L’après-midi même, il reçoit notre appel à témoignage. Pour elle, il nous dira oui.

DEUX QUESTIONS À…

Isabelle Lambotte et Claire Van Pevenage, psychologues au service de psychologie du secteur infanto-juvénile de l’Huderf

Pensez-vous que la présence d’un·e psychologue soit souhaitable au moment de l’annonce du diagnostic ?
« On a beaucoup réfléchi à cette question. Nous pensons qu’il ne faut pas systématiser la présence des psychologues au moment de l’annonce. Les parents consultent pour un problème de santé. À ce moment-là, ils attentent un diagnostic. L’annonce est potentiellement traumatique. Le parent doit faire le deuil de l’enfant sain, d’une vie normale. C’est tout un processus qui s’enclenche. Certains parents estiment fondamental d’avoir un suivi psy dès ce moment, d’autres ne le souhaitent pas. C’est à respecter.
Par contre, nous sommes convaincues de l’importance de la ‘prise en charge biopsychosociale’ par le médecin lui-même. C’est aussi notre rôle de les former à le faire. De les mettre en situation, de les outiller pour qu’ils puissent accompagner au mieux les enfants et leurs familles, accueillir leurs émotions. De faire en sorte qu’ils soient à la fois des soignants experts et humains.
L’annonce d’une maladie génère des émotions fortes qui peuvent être de nature très différente d’un parent à l’autre. Tristesse, désespoir, déni, colère, rejet… Le médecin doit respecter le fonctionnement de chacun·e et maintenir le lien. En fonction de ce qu’il perçoit, il proposera un autre rendez-vous, orientera vers une association de patientꞏes, vers une psychologue... »

Quel rôle jouez-vous auprès des familles qui font appel à vous ?
« Les résultats des analyses génétiques peuvent mettre plusieurs mois à arriver. Vivre avec l’incertitude du diagnostic, ne pouvoir se raccrocher à rien de concret, c’est parfois très compliqué. On peut les accompagner dans ce parcours.
Quand le diagnostic tombe, on est là aussi pour les écouter, les aider à mettre des mots sur ce qu’ils vivent et ressentent. On peut aussi aider les parents à trouver une formulation pour l’annoncer à leur famille proche.
Nous sommes très attentives à l’enfant malade, qu’il ne soit pas laissé à côté. Lui aussi à droit à l’information tout en étant protégé de paroles trop destructrices. Certains enfants sont demandeurs d’informations alors que d’autres ne veulent rien savoir. Il nous arrive de rencontrer les parents seuls pour les aider à formuler une annonce à la portée de leur enfant.
Ce qui peut aider certains parents, c’est de pouvoir rencontrer des personnes qui ont un vécu similaire, on est là aussi pour servir de trait d’union entre les familles et les associations de patientꞏes. »