Vie pratique

En 2019, la commune de Woluwe-Saint-Pierre s’est retrouvée au centre d’une polémique que notre monde formaté aux réseaux sociaux aime à faire mousser. À l’origine, une simple modification apportée aux formulaires d’inscription dans les crèches. Retour, à froid, sur un faux débat et une vraie question de société.
Prologue
« Tout est parti d’une rencontre, il y a deux mois, dans le cadre d’une réunion autour de l’accueil à la crèche ». Caroline Lhoir, échevine de la Petite Enfance à Woluwe-Saint-Pierre, se souvient de ce moment où deux papas l’abordent pour évoquer leur situation. Au détour de la conversation, ils partagent leur malaise face aux documents qui ne collent pas à leur situation. « Ils se retrouvaient face à des cases ‘papa’ et ‘maman’ à remplir. Ils ont aussi évoqué les courriers reçus, des documents génériques avec les habituels ‘Madame, monsieur’. J’étais confrontée à une réalité à laquelle, me semblait-il, il fallait répondre ».
Damien, un des papas, se rappelle aussi très bien de cette rencontre. « En fait, nous étions présents pour un autre motif. Mon compagnon et moi devons bientôt adopter un enfant. Toutes les formalités sont réglées depuis septembre. Et, maintenant, nous attendons. La différence avec un accueil en crèche qui suit une grossesse, c’est que nous n’avons aucune idée du moment où nous adopterons un enfant. Cela dépend des possibilités que nous transmettra l’ONE. Nous voulions donc, avant tout, des informations en tant que parents adoptants et pas en tant que future famille homoparentale. C’est au fil de la discussion qu’est venue cette question de formulaire ».
Chapitre 1 - Réseaux sociaux et médias, le cocktail polémique
Damien et son compagnon ne sont pas du genre pancarte et slogans criés dans les rues. « Je préfère la discrétion, confesse Damien, ce problème de formulaire, ce n’est pas que ça nous choquait. Disons que nous trouvions cela décevant. Décevant de voir les choses évoluer aussi lentement dans notre société ».
Caroline Lhoir a donc voulu répondre à cette déception et, en réaction, changer les formulaires d’inscription à la crèche. Elle communique sa décision par Facebook sous le post : « Lifting de notre formulaire d’inscription en crèches francophones à Woluwe pour que toutes les familles s'y reconnaissent ». En clair, dans les documents, les mentions « mère » et « père » sont remplacées par « parent 1 » et « parent 2 »
À partir de là, tout s’emballe. Des critiques ont fusé sur le bien-fondé de la démarche. Sur les termes de « parent 1 » et de « parent 2 » notamment. « Le sujet est très sensible, d’une actualité criante qui va au-delà des frontières, j’ai même été contactée par le Times de Londres sur la polémique. J’avoue avoir été étonnée par l’ampleur des réactions ». Damien a aussi été dépassé par les événements : « Cela prenait une drôle de tournure. Sur le site RTLinfo, on pouvait lire : ‘Victoire d’un couple gay’. On ne voyait pas du tout les choses ainsi ».
Avec le recul, Caroline Lhoir a pris conscience qu’elle n’avait pas mesuré le potentiel émotif du dossier lors de sa communication sur Facebook. Pourtant, peu avant, en France, début février, une décision allant dans le même sens avait pourtant suscité une controverse identique. Là, ce sont les formulaires scolaires qui étaient concernés. Parmi les reproches formulés, « Le déni de la réalité père-mère » ou « La hiérarchisation des parents par un chiffre », voire « La déshumanisation de la sphère familiale ».
Chapitre 2 - Après la tempête, retrouver un cap
À Woluwe, l’initiative de l’échevine a provoqué un certain malaise, même au sein de la majorité. « Mais on a rebondi, estime Caroline Lhoir. Il a été décidé de poursuivre l’objectif. C’est-à-dire de coller à la diversité des familles d’aujourd’hui. D’éviter les discriminations lors de simples démarches administratives. Mais pour ça, on va élargir le spectre, examiner l’ensemble des documents envoyés aux parents, identifier ceux qui posent problème. Voir quels sont les libellés les plus adéquats. Bref, on va appréhender l’ensemble d’une façon plus aboutie ».
Au-delà des conflits ponctuels, il s’agit en effet de prendre de la hauteur. Ainsi, Damien apporte son témoignage. « Mon compagnon et moi sommes enseignants dans des écoles différentes. Nous sommes confrontés en permanence à cette diversité familiale. Celle-ci doit rentrer dans les mœurs. Et cela va au-delà du débat sur l’homoparentalité. Lors de l’exposition médiatique de ces dernières semaines, une de nos amies, mère célibataire, nous partageait aussi son malaise face aux documents officiels qu’elle devait remplir, parce qu’elle ne s’y retrouvait pas ».
Chapitre 3 - Prendre de la hauteur, ça ouvre les perspectives
Coller aux nouvelles réalités familiales est l’objectif à atteindre. À la ville de Liège, par exemple, Danielle Adriaenssens défend l’appellation « parent 1 » et « parent 2 ». Elle est DPO (Data Protection Officer). À ce titre, elle est chargée de la bonne application du Règlement général sur la protection des données, le fameux RGPD qui constitue le texte de référence en matière de protection des données à caractère personnel dans l’Union européenne.
« C’est neutre et objectif, cela ne blesse personne et, surtout, c’est une adaptation à une réalité actuelle. C’est aussi plus conforme au RGPD entré en vigueur l’année dernière. À travers cette terminologie, on se limite à l’essentiel : le nom de la personne qui est responsable de l’enfant sans discrimination, sans jugement. Finalement, n’est-ce pas notre mission ? Rendre le meilleur service possible, en restant au-dessus des débats qui pourraient venir ‘polluer’ notre relation avec les citoyens ». Cette phrase résonne comme l’expression du bon sens.
La polémique va aussi se nicher là où on lui donne l’occasion de s’exprimer, car un tour d’horizon permet bien vite de s’apercevoir que l’adaptation des formulaires administratifs est bien entamée. À Bruxelles-Ville, par exemple, il existe déjà des procédures d’inscription aux crèches qui dépassent le cadre de Papa / Maman.
« On peut choisir le terme de papa ou maman mais aussi oncle, tante, grand-père, tuteur et même juge, explique Arnaud Pinxteren, échevin de la Petite Enfance. Cela permet d’être plus proche de la réalité et précis quant à l’identification de la personne de référence. C’est une avancée, mais il y a encore des progrès à faire. Ce travail est en cours, il était d’ailleurs encore à l’ordre du jour du conseil communal de ce 18 mars ». Là aussi, le constat est clair : « Il faut envisager les différentes réalités familiales et pouvoir les refléter dans les procédures. L’administration doit s’adapter ».
Plus piquant, à Woluwe même, des parents sont déjà confrontés à cette réalité sans que cela n’ait suscité de contestation. « C’est le cas de ‘Apschool’, explique Caroline Lhoir, il s’agit d’une plateforme de gestion et de paiement scolaires utilisée notamment à l’école communale du Chant d’Oiseau. Là, le mot responsable est utilisé plutôt que celui de parent ».
Chapitre 4 - Et à la fin de l’histoire, tout s’arrange
Pour amorcer la fin de notre récit, on ajoutera que même l’appellation controversée de « parent 1 » et « parent 2 » fait son chemin. Des communes l’adoptent peu à peu, elle est même consacrée dans une nouvelle loi qui va entrer en application ce 1er avril dans le cadre d’une uniformisation administrative.
« Les modèles d’acte de l’état civil seront effectivement uniformisés le 31 mars, nous précise-t-on au Service Public Fédéral Justice. Les actes de naissance, par exemple, reprendront les mentions ‘mère/parent 1’ et ‘père/coparente/parent 2’. En principe, les actes belges mentionneront donc la mère et le père ou la coparente. Les mentions ‘parent 1’ et ‘parent 2’ sont prévues pour les cas où il y a deux parents de même sexe qui ne sont pas mère et coparente : il s’agit des cas d’adoption par des parents de même sexe. »
Le législateur s’adapte donc, peu à peu et de façon générale, aux différentes réalités familiales. Quant à la polémique de Woluwe, ses principaux acteurs se veulent positifs. Caroline Lhoir est satisfaite de voir que le sujet a été abordé, débattu, pris en compte. Damien, de son côté, a aussi de quoi se réjouir : « Outre le débat constructif engagé, nous avons été contactés par deux crèches qui nous ont proposé leur aide dans notre recherche d’un lieu d’accueil pour l’enfant que nous allons adopter ». Le meilleur des mondes ? Pas encore. Mais on s’en rapproche.
POUR ALLER + LOIN
5 balises
- Tout ce qui touche à la parentalité et à la diversité des familles est sensible, même lorsqu’il ne s’agit que d’un simple formulaire. Il s’agit donc d’aborder toute décision administrative concernant cette thématique avec pédagogie et accompagnement.
- Il est important de prendre de la hauteur avant de fixer une mesure. S’inquiéter de ce qui existe déjà, s’assurer de répondre aux besoins de tous les types de familles, s’inscrire dans un cadre général et constructif qui permet d’éviter tout débat stérile.
- Dans le cas des dispositions communales, nous avons identifié un vrai besoin de partage d’expériences et de bonnes pratiques. Certains échevins contactés sont même demandeurs de « lignes de conduite » en la matière.
- L’objectif des communes doit rester l’efficacité du service rendu au citoyen associé à une (plus que jamais) incontournable protection des données à caractères personnels. Dans ce contexte, la prise en compte de la diversité familiale est un élément clé parce que celle-ci touche directement à la vie privée.
- La Ligue des familles insiste sur un point. Ce type de mesure doit permettre aux pères et mères de vivre leur parentalité dans la sérénité, il ne doit en aucun cas contribuer (même malgré lui) à favoriser la stigmatisation ou nourrir des jugements de valeurs nocifs à la pluralité des modes de vie. Les quatre premiers points esquissent le cadre propice idéal.
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