Santé et bien-être

Le mal du siècle, les perturbateurs endocriniens ? Ils sont en tout cas sur toutes les lèvres. Dans les foyers jusqu’au sénat où les politiques réclament un plan d’action national, conscients que ces substances sont un problème de santé publique majeur. Mais au quotidien, puisqu’ils sont partout, comment vivre avec et savoir quels produits acheter ? On en discute avec Alfred Bernard, chercheur au FNRS, toxicologue et professeur à l’UCL.
Pour les personnes qui seraient parties longtemps et loin de notre civilisation, récapitulons. Qu’est-ce que les perturbateurs endocriniens ? Il s’agit de produits chimiques étrangers à notre organisme, qui adorent venir dérégler le fonctionnement de nos systèmes hormonaux. Rien de plus facile, donc, que de boycotter les produits qui en contiennent, pas vrai ? Hé non, car on en retrouve partout.
Pour simplifier, dès qu’il y a chimie, il y a perturbateurs endocriniens. Des dentifrices aux pesticides dans les fruits et légumes, en passant par les produits cosmétiques, jusqu’aux conservateurs alimentaires, ils sont partout. Mais alors, c’est la fin de l’espèce humaine ? Peut-être pas. Alfred Bernard, qui connaît ces produits chimiques sur le bout du vernis à ongles, nous donne quelques conseils bien pratiques.
Les perturbateurs endocriniens sont de plus en plus sous le feu des projecteurs, mais, au final, les familles sont peu informées, pourquoi ?
Alfred Bernard : « Un gros facteur de désinformation, c’est le marketing de la peur. On peut revenir sur un des perturbateurs ‘stars’ si l’on peut dire du moment : le parabène. Il fait partie des conservateurs ou plus précisément d’une famille de conservateurs, il est présent dans les produits cosmétiques industriels, mais aussi dans l’industrie agroalimentaire. Les consommateurs n’en veulent plus, à tel point qu’énormément de marques avancent le label ‘sans parabènes’. C’est devenu une valeur ajoutée. Mais si vous lisez attentivement la liste de certains produits, vous verrez que les industriels lui préfèrent le MIT (le méthylisothiazolinone) qui est un puissant allergogène. Il faut donc se méfier des instrumentalisations des industriels et toujours réinterroger le marketing. »
Mais, alors, comment s’y retrouver ? Quand je fais mes courses, quels réflexes dois-je adopter ?
A. B. : « Pas facile en effet, puisque l’OMS a établi une liste de 800 perturbateurs. Dont quelques dizaines sont avérés toxiques pour l’être humain. Concrètement, toutes ces substances, on les ingère, on les respire ou on les applique. Impossible de créer un annuaire, ni même de labelliser des produits ‘sans perturbateurs endocriniens’, sinon une immense partie de tout ce que l’on consomme le serait. Sans s’obstiner à tout vérifier, tout le temps, il est bon de maîtriser quelques bases… »
L’état fœtal, la petite enfance et la puberté sont les trois moments où l’exposition aux perturbateurs endocriniens est la plus forte
Pouvez-vous nous exposer rapidement les grandes familles de produits et les perturbateurs les plus à risques ?
A. B. : « Parmi les perturbateurs endocriniens avérés ou suspectés, je mettrais en garde les parents contre les filtres chimiques à UV qui sont utilisés dans les crèmes solaires, vernis à ongles et autres produits cosmétiques. On peut les reconnaître par des noms du type benzophénone ou oxybenzone. Le triclosan est un antibactérien largement répandu dans les savons, les dentifrices, les déodorants. On a parlé des parabènes largement médiatisés. Je répète que dans les produits ‘sans parabènes’, ceux-ci sont remplacés par des conservateurs potentiellement toxiques. Les alkylphénols sont présents dans plusieurs cosmétiques, attention donc aux noms composés à partir de nonoxynol, quaternium 15 et autres numéros. Très médiatisés également, les phtalates, présents là encore dans les vernis à ongles. À ne jamais ou très rarement mettre aux enfants. Enfin, les silicones sont également présents dans les produits cosmétiques. Leurs terminaisons sont facilement reconnaissables en -one ou -ane. »
Quelles sont les conséquences sur la santé ? Là encore, il se dit pas mal de choses fausses, j’imagine ?
A. B. : « Nous en reparlerons plus tard, mais l’impact de ces substances dépend avant tout de l’hygiène de vie des personnes qui y sont exposées et de leur système hormonal. Pourquoi ‘perturbateurs’ ? Parce que toute cette famille de produits dont nous venons de parler a des impacts sur l’axe sexuel, le métabolisme et le système neurologique. Attention, j’insiste sur un point très important : ils n’en sont jamais la cause unique, ils causent des pathologies. De nombreuses études épidémiologiques évoquent des malformations génitales chez les petits garçons, des troubles reproductifs chez les hommes, l’apparition de puberté précoce chez les petites filles, des cancers du sein, de la prostate ou des testicules. Je parlais de métabolisme, là, c’est au niveau de la thyroïde que ça va se jouer, avec des risques de diabète de type 2 et d’obésité. Et en matière neurologique, on parle de diminution intellectuelle et de pathologie du spectre autistique. Mais à l’heure qu’il est, impossible de savoir s’ils sont le principal facteur, ni quel est leur taux d’impact. Car pour le savoir, il faudrait se livrer à des expérimentations humaines. Voilà pourquoi il est important de bien s’informer et de ne pas croire en n’importe quoi. »
Partout on lit qu’il y a des publics à risques, lesquels ?
A. B. : « En effet, je pense qu’il est important de rappeler aux parents qui nous lisent qu’il existe trois moments de la vie pendant lesquels on est le plus exposé : à l’état fœtal et au moment de la petite enfance, j’invite donc les mamans enceintes et les jeunes parents qui nous lisent à bien faire attention aux biberons, aux lingettes, aux tétines et au lait de substitution, issu de vache ou de soja, bourré de phyto-estrogènes dont on associe la consommation à une maladie auto-immune touchant la thyroïde. Enfin, le troisième temps de la vie à risques se fait au moment de la puberté. Et là, c’est un peu plus compliqué pour les parents. »
Pourquoi cela ?
A. B. : « Les adolescents ont tendance à avoir un mode de vie - notamment alimentaire - malsain. Et les parents ont beau contrôler un maximum et imposer des règles strictes au niveau des conservateurs, par exemple, impossible de savoir ce que son ado ingurgite avec ses copains à l’extérieur de la maison. Et on ne peut pas les sensibiliser avec des projections sur le long terme du type ‘Mais pense à ta santé dans dix ans’, ça ne leur parle pas. Ils sont dans une pensée à court terme. Je pense qu’il faut essayer de les influencer autrement. La vie saine, ils s’en foutent. Mais ils sont très sensibilisés, aujourd’hui, par les questions liées à l’environnement, à l’anti-consommation, au rapport à la nature. Alors, pourquoi ne pas leur expliquer par cette porte d’entrée ? Ce serait formidable de leur dire que toute cette chimie que l’on retrouve autant dans leur assiette que dans les produits high tech, leurs vêtements - partout en un mot - nuit d’abord à la planète avant de leur nuire à eux. Et peut-être même que cette prise de réalité fera d’eux des êtres plus conscients que leurs parents. Et qu’ils deviendront plus forts qu’eux ! »
Cette vie malsaine dont vous parlez, c’est un facteur à risques ?
A. B. : « Et comment ! Il faut bien comprendre que les pathologies dont nous avons parlé sont multifactorielles. Les perturbateurs n’en sont qu’un facteur. Comme un effet qui s’ajoute à un autre effet, si vous voulez. Et c’est hélas trop souvent mal défini. Mais ce qui est sûr, c’est que plus le mode de vie est malsain, plus les associations de facteurs sont élevées. C’est donc une bonne nouvelle. Il suffit de privilégier une alimentation saine, c’est-à-dire de privilégier les aliments qui ne sont pas trop transformés, de faire du sport, de jeter ses paquets de cigarette, etc. En plus de ce que l’on a déjà dit, exit les conservateurs alimentaires, les colorants de synthèse, les cosmétiques, les emballages alimentaires, les fixateurs en tous genres. C’est toute une façon de vivre et de consommer qu’il faut repenser. En un mot, je dirais qu’il faut viser le plus naturel. Vous savez, au final, c’est notre mode de vie occidental qui est remis en question dans toute cette histoire. »
À ce propos, ça bouge beaucoup au niveau des mentalités, jusqu’au sénat où la prise de conscience, certes un peu tardive, voit le jour. Qu’en pensez-vous ?
A. B. : « Je suis partagé. C’est toujours une bonne chose de mobiliser le public et de l’inciter à s’informer, on parle d’un plan d’action d’envergure nationale. Toute cette prise de conscience de nos politiques est basée sur un rapport de l’OMS dans lequel il y a beaucoup d’incertitudes. Et on dirait que le seul levier d’action, c’est le principe de précaution. Je pense qu’il est plus facile de bannir des produits plutôt que de trouver des alternatives. Il existe tellement de perturbateurs endocriniens, qu’il est tout bonnement inenvisageable de les retirer du commerce. On a besoin de chimie. On est loin, très loin, d’un retour en arrière. C’est infaisable. À l’heure qu’il est, je trouve ça plus constructif de dire aux lecteurs de privilégier le mode de vie le plus sain possible, plutôt que de s’engouffrer dans des solutions bis ou des instrumentalisations absurdes. »
EN SAVOIR +
- Nature Attitude propose plein d’alternatives aux produits bourrés de pesticides. Par exemple, comment fabriquer ses produits ménagers.
- Santé environnement propose une mise à jour sur toute l’actualité des perturbateurs endocriniens.
- Ecoconso propose un dossier très complet sur le sujet et un guide très complet pour les consommateurs soucieux.