Loisirs et culture

Petite foire aux tout-cartons

Dans le Ligueur de cette semaine, dont le dossier présente la sélection du prix Bernard Versele 2025, une page était consacrée aux livres pour les plus petits. Notre chronique « Lire, ça m’dit » revient sur quelques tout-cartons qui n’y avaient pas trouvé place.

On le sait, les enfants en bas âge aiment manipuler, triturer, sucer. Outre les livres en tissus, les albums tout-carton répondent à ces tendances infantiles. Solides, ils tiennent bien en mains. Autre caractéristique du genre : les angles en carton sont souvent arrondis pour ne pas blesser les petits doigts ! Mais le côté pratique de l’objet ne suffit pas pour susciter une vraie appétence pour la lecture même si les petits ne « lisent » pas encore « pour de vrai ». Les éditeurs veillent à offrir une vraie proposition narrative, à la fois à travers un texte porté par la voix du parent et une initiation certes basique mais essentiel à la lecture d’images. Car le goût de la lecture naît d’une familiarisation avec l’objet-livre, souvent dans la complicité d’un moment privilégié avec le parent.

Tes parents, ils sont comment ?

Tes parents, ils sont comment ?, de Bénédicte Rivière et Marguerite Courtieu (Casterman) est un exemple de livre robuste, facilement manipulable par les tout-petits, et qui se présente comme un miroir tendu à l’enfant. En effet, il y est question, à travers trente scénettes, du caractère de parents animaux que l’on ne manquera pas de comparer avec sourire à celui des parents humains : les surprotecteurs, les clowns, les attentifs, les nourriciers… Des caractéristiques qui peuvent se combiner bien sûr : on n’est jamais tout à fait l’un ou tout à fait l’autre. Alors, tes parents, ils sont poules, ouistitis, fourmis ou lucioles ? (dès 2 ans).

Tes parents, ils sont comment ?

Simone

Léo Righini-Fleur aime jouer et proposer des contenus ludiques. Dans Simone, première collaboration avec Albin Michel Jeunesse, il emmène Simone… en voiture, puis en train, en tractopelle, en pirogue, en soucoupe-volante, etc. Onze véhicules en tout, présentés en rimes, car Léo Righini-Fleur est aussi graphiste de la revue gratuite de poésie pour enfants Gustave Junior. Simone est aussi un livre à trou : il est construit autour d’une découpe en demi-cercle centrale permettant à la voyageuse et à son chat de changer de décor à chaque page, jusqu’à la surprise finale (à partir de 1 an).

Simone

Petites merveilles

Ce tout-carton à découpes se présente comme un poème où les mots sont légèrement joyeux et les images joyeusement légères. Petites merveilles d’Agnès Domergue et Clémence Pollet (HongFei) est un livre d’éveil qui vient à la suite de Petits mondes paru préalablement. Chaque peinture au pochoir en fait naître une nouvelle quand on tourne la page et que l’on découvre la suite du texte. Sur les pas de l’ourson de la couverture, on apprend à « HABITER… un monde si précieux, SE PRESSER… un jus d’orange… en prenant son temps, ATTENDRE… la magie d’un arc-en-ciel, S’AMUSER… à compter l’âge des coccinelles, RÊVER…du sable chaud… et du chant de la mer, VIVRE… en s’émerveillant chaque jour. » La surprise naît aussi des liens inattendus entre les images. Au bout du compte, se dessine une petite philosophie de vie qui invite à s’émerveiller d’un rien (à partir de 1 an).

Petites merveilles

On s’habille, petit nombril !

L’imagination des ingénieurs papier, comme on les appelle, est sans limites. Ce tout-carton, tout en hauteur, s’ouvre de bas en haut sur des pages de tailles différentes qui recouvrent progressivement et astucieusement un bébé, vêtement par vêtement. Dans On s’habille, petit nombril ! (Albin Michel Jeunesse), Lucie Brunellière a opté pour un texte ritournelle dont les onomatopées sonnent de manière amusante aux petites oreilles. Elle combine illustrations et graphisme simples et joyeux, avec un pantone. De quoi encourager bébé à s’habiller de manière ludique. Dans la même veine, elle a publié Bonne nuit, petit nombril ! (à partir de 9 mois).

On s’habille, petit nombril !

Crocus et le caca

Il fallait l’oser, elle l’a fait : titrer l’un des ses tout petits tout-cartons (120X120 mm)  Crocus et le caca (éditions 4048). Sophie Guerrive a imaginé un personnage on ne peut plus simple, sorte de ver ou de limace vert tendre, aux expressions malicieuses. Dans chacun de ses livres, l’illustratrice part d’une situation très familière : Crocus aime le bruit, Crocus et les monstres, Crocus est puni, Crocus à l’école, Crocus et les légumes… On notera que chaque volume a sa couleur pastel, ce qui donne à la série un côté assez chic. Sophie Guerrive développe chaque thème avec un tel sens de la réalité que l’enfant, comme ses parents, ne manqueront pas de s’y retrouver et de sourire, voire de rire, du déroulement de l’histoire et de sa conclusion, souvent due à l’intervention impromptue de la maman, tout en bleu clair elle. Ainsi, dans Crocus et le caca, le petit ver est tout fier des formes données à ses productions et se désole de les voir finir au fond des toilettes. Dans Crocus aime le bruit, il s’ingénie à produire toute sorte de sons qui envahissent la maison au point d’exaspérer sa maman qui pousse les hauts cris, créant encore… plus de bruits ! Désopilant ! (à partir de 9 mois).

Crocus et le caca

Je ne suis pas une petite grenouille

Auteur-illustrateur belge et gardien d’enfants, Jean Maubille excelle à se mettre à la hauteur des tout-petits dans ses histoires. Avec Je ne suis pas une petite grenouille (Pastel), il joue du contre-pied, ce qui marche à tous les coups avec les jeunes auditeurs et auditrices à qui on raconte ces histoires qui disent une chose et montrent le contraire. Le narrateur, que l’on imagine être un parent, s’adresse à un chat en le traitant d’un autre nom d’animal, tantôt cochon, tantôt lapin, ou grenouille, ou canari. Le petit héros s’empresse de corriger le tir en jouant des couleurs – de simples aplats - et d’un détail significatif. Une double fin nous prend à revers, une fois avec humour, une autre fois avec tendresse, marques de fabrique de l’artiste (de 0 à 3 ans).

Je ne suis pas une petite grenouille

moi moi moi !

Que serait un bébé, le soir, sans son doudou ? Privez-le de sa peluche fétiche et c’est le drame. Rares sont d’ailleurs les enfants qui, comme l’enfant de cet album, n’en ont qu’un. Mais que pensent les doudous au moment où tombe le jour ? C’est à eux qu’Herbéra donne la parole dans moi moi moi ! (éditions MeMo). La nuit tombe, ils entrouvrent leurs yeux de peluches et chacun y va de son argument pour séduire l’enfant prêt à aller au lit. Mignon, gentil ou rigolo, l’argument séduction est mis en avant. Surtout chacun a sa propre personnalité bien croquée par l’illustratrice Ghislaine Herbera. Au final, qui sera le chouchou ? (dès 1 an)

moi moi moi !

Et après ?

Katsumi Komagata, artiste japonais né en 1953 et disparu en mai 2024, a créé une série de trois petits livres pour bébés : Et après ?Bon et Pon Pan, publiés à titre posthume aux éditions Les Grandes Personnes. On y retrouve sa patte de designer de formation, soucieux de sensibiliser les tout-petits aux formes simples et aux symboles graphiques. Une approche qu’il a imaginée à la naissance de sa fille quand il a commencé son travail d’auteur de livres pour enfants et bébés. Dans Et après ?, il offre un bestiaire au graphisme simplifié à l’extrême et aux aplats de couleurs vives qui se révèle de page en page. Derrière la ritournelle « Un rond ! Et après ? Un ours ! Et après ? Des petits poissons ! Et après ? », se dévoile un processus narratif quasi hypnotique. Quelques trous révèlent, une fois la page tournée, des formes inattendues. Ou comment deux oiseaux deviennent quatre poissons qui deviennent un serpent et ainsi de suite. L’apparente simplicité et la pureté des formes et des couleurs de ces trois ouvrages stimulent le développement cognitif de l’enfant, voire celui de l’adulte. Avec ses livres d’une élégance graphique rare à lire à voix haute et à manipuler avec bébé, Katsumi Komagata a révolutionné la littérature petite enfance par son ingéniosité et continue à éveiller notre regard (dès la naissance).

Et après ?

Quand vient la nuit

Ce bel objet cartonné avec une couverture reliée douce au toucher et une impression pantone illuminera la nuit de votre enfant quand tombera le soir. Rien d’obscur dans Quand vient la nuit, de Laura Ancona (Albin Michel Jeunesse), mais une féérie colorée, un feu d’artifice au charme vintage. Personnifiée, la nuit tombe littéralement et se faufile un peu partout tandis qu’un doudou suit sa piste. Des lutins se chargent d’enfiler son pyjama au soleil et de l’endormir tandis que la lune prend son bain avant de sortir sous les yeux éblouis d’une faune souriante. Car tout est sourire dans cet album, y compris les paysages anthropomorphisés. Les animaux marins se glissent aussi sous les draps de la mer. Les lutins, eux, préparent les rêves des uns et des autres avant de profiter eux aussi d’un repos bien mérité, comme l’enfant à qui on lira cette histoire. Tout y est tourbillonnant, désuet, tendre. C’est bourré de détails au point qu’une seule lecture ne suffit pas à les épingler tous. Si les illustrations sont foisonnantes, le texte se déroule, lui, en toute simplicité, dans la bande blanche en bas de pages (de 1 à 3 ans).

Quand vient la nuit

Aboie, Georges !

Pour terminer ce petit tour d’horizon, voici deux rééditions en cartonné de livres parus en album en première édition. L’un et l’autre sont devenus des classiques qui ont enchanté des générations de lecteurs et lectrices à tel point que des adultes en gardent encore aujourd’hui la nostalgie. En les rééditant dans ce format tout-carton, L’école des loisirs leur donne une nouvelle vie. Tous deux sont basés sur un récit-promenade, l’un axé sur un humour ravageur, l’autre sur une tendre complicité. Sorti pour la première fois en 2000, prix Bernard Versele 2002, Aboie, Georges !, de l'Américain Jules Feiffer (Pastel) se base sur un fil narratif ultra simple. Une chienne demande à son chiot d’aboyer. Celui-ci miaule, cancane, grogne comme un cochon, meugle… au grand désespoir de la mère dont les expressions graduellement désespérées vous font mourir de rire. Direction le vétérinaire. Nous ne sommes pas au bout de nos étonnements. D’une rare efficacité, graphique comme narrative, Aboie, Georges ! nous place astucieusement dans cette situation où l’adulte attend tel comportement de son enfant, sans succès. La chute finale y fait d’ailleurs écho, toujours sur le registre du sourire. Tout est parfait dans cet album : l’enfant, complice, va être amené à anticiper les situations grâce au côté progressif du récit, les émotions sont évoquées sans être citées à travers le dessin, les onomatopées des cris des animaux dynamisent l’histoire, surtout à l’oral, les pages unies de couleur pastel mauve, jaune, rose, bleu, vert qui donnent du relief aux scènes, la richesse du vocabulaire et surtout la progression dans l’absurde, même si cet absurde nous en apprend beaucoup sur nous-mêmes (tous âges).

Aboie, Georges !

Bonne nuit, Gorille

Prix Bernard Versele 1 chouette en 1997, Bonne nuit, Gorille, de Peggy Rathmann (L’école des loisirs) est paru initialement sous le titre Bonne nuit, petit Gorille en 1994. Le récit-promenade se déroule dans un zoo, à la tombée de la nuit. Le gardien fait une dernière ronde tout en souhaitant "bonne nuit" aux animaux. Un petit gorille facétieux lui subtilise son trousseau de clés à son insu et le suit en ouvrant chaque cage sans que le gardien s'en aperçoive. L'éléphant, le lion, l’hyène, la girafe, le tatou les suivent à la queue-leu-leu jusque dans la chambre du gardien où dort déjà madame. Alors que monsieur s’endort illico sans s’être rendu compte de rien, celle-ci se réveille, entre calmement en scène et continue l'histoire qui repart pour un tour. L’effet comique est renforcé par l’index sur la bouche adressé par le petit gorille au lecteur, complice de la farce. Les illustrations au pastel, hautes en couleurs, portent presque intégralement l'histoire. Le texte se compose en effet des seules "bonne nuit" glissées dans des bulles. L’enfant se plaît aussi à découvrir des petits détails comme une souris qui suit le gorille avec une banane (et prononce le dernier "bonne nuit" tout discret), un ballon décroché à la première double-page qui apparaît dans les pages suivantes jusqu'à n'être qu'un point, la peluche Babar de l’éléphant, etc. Un album à (re)découvrir absolument !

Bonne nuit, Gorille

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