Loisirs et culture

Prix Versele 2023 : les enfants ont choisi leurs livres préférés…

Parmi les vingt-cinq livres sélectionnés en 2022 pour le prix Bernard Versele de la Ligue des familles, 39 024 enfants ont choisi lauréats et labels. Quasi 2 000 de plus que l’an dernier !

Les livres primés cette année appartiennent à la production éditoriale à cheval sur 2020-2021. Ceux d’il y a deux ans car, entretemps, tout un processus de sélections, d’analyses, de rencontres, de confrontations de points de vue a eu lieu, mobilisant de nombreux adultes.
La parole ensuite aux enfants, ceux et celles pour qui le prix Bernard Versele a été imaginé. Ils et elles ont lu et élu leurs livres préférés accompagnés par des adultes volontaires soit dans leur école, soit en bibliothèque, soit en famille. Voici ci-dessous le résultat de leurs votes communiqués par internet ou par voie postale, répartis en cinq catégories, les fameuses Chouettes.

1 CHOUETTE (DÈS 3 ANS)

​​​​​​​Et si ?, de Chris Haugton (Thierry Magnier)

Chris Haughton a déjà eu les honneurs du prix Versele en 2016 en réalisant un fameux doublé gagnant avec Un peu perdu en 1 chouette et Chut, on a un plan en 2 chouettes. Avec cette histoire charmante sur l'interdit et la transgression, où une maman singe met en garde ses trois rejetons contre la présence de tigres, Chris Haughton reprend les ingrédients qui ont fait le succès de ses albums précédents : couleurs audacieuses et flashy (ici à dominante rouge - couleur de l'interdit, comme dans Oh non, Georges !) ; typographie très graphique, mêlant minuscules et majuscules de manière subtile ; construction au rythme cadencé grâce à un jeu de répétitions, avec possibilité pour l'enfant d'anticiper de manière jouissive le récit, tout en ménageant néanmoins un effet de surprise. Et, bien sûr, la chute qui ouvre sur un possible recommencement et qui constitue une des marques de fabrique de l'auteur.
Ces répétitions procurent un véritable plaisir lors d'une lecture à haute voix et le vocabulaire, qui n'est pas strictement identique d'une séquence à l'autre, semble parfaitement choisi pour conserver le rythme musical des phrases. Impossible de résister au charme de ces petits singes malicieux, aux postures et aux expressions si justes.
Quant au surgissement des tigres, cachés (à peine !) dans les buissons, il place l'enfant dans la position du lecteur omniscient, ravi d’en savoir plus que les protagonistes.
Un album ciselé, parfaitement maîtrisé, dans lequel rien n'est laissé au hasard et qui pourtant semble naturel et coulant de source.

 Label : Un loup sort dans la nuit, de Clémentine Mélois et Rudy Spierssert (L’École des Loisirs)

Voici un livre au dispositif narratif amusant et inattendu. Au cœur du récit, un animal emblématique du bestiaire de la littérature jeunesse : un loup ! Dès la couverture, est mis en avant le contraste entre deux couleurs, le rouge et le bleu des fonds, contraste repris entre les pages de gauche et de droite. Sur ces fonds aux couleurs franches, se détachent des décors et des personnages en silhouettes noires comme un jeu d’ombres chinoises et quelques touches blanches.
L’histoire convie et détourne des figures classiques de la littérature enfantine comme un loup, un ogre, un château, des dinosaures… De double-pages en double-pages, les textes se répondent, se contredisent, s’opposent, virent par moments en un doux délire qui s’explique à la fin d’une manière surprenante et astucieuse.
Une histoire courte, drôle et imaginative, à lire idéalement à deux voix, qui montre que les lecteurs et lectrices ont appris à apprivoiser cette peur du loup dont les albums pour la jeunesse usent et abusent parfois.

2 CHOUETTES (DÈS 5 ANS)

Tigre, de Jan Jutte (Les éditions des éléphants)

Les vieilles dames dans les livres pour enfants, c’est plutôt fréquent, mais les vieilles dames qui ne soient pas des grands-mères, c’est plutôt rare. Et des vieilles dames qui se lient d’amitié avec un tigre, c’est exceptionnel. Voilà ce qui arrive à Joséphine après une promenade hivernale dans la forêt proche de chez elle. Elle adopte le félin, l’amène chez elle et, après une première frayeur, parvient à ce que tout son quartier l’accepte.
Au départ de cette rencontre invraisemblable, l’auteur-illustrateur hollandais Jan Jutte imagine une jolie fable. Le bonheur semble parfait jusqu’au jour où Tigre déprime et en perd couleurs et rayures. Malgré une profonde tristesse, Joséphine prend la décision de reconduire Tigre dans sa jungle natale, ce qui nous vaut des pages exotiques hautes en couleurs.
Chaque étape de ce récit aux personnages attachants est marquée par une étude graphique et chromatique de toute beauté, avec des illustrations douces et lumineuses qui s’étendent à fond perdu sur des pages tout en verticalité. Le texte simple et court, parsemé de quelques dialogues, se promène en bas de page.
Un très bel album sur les notions de liberté et de respect de chacun.

 Label : Porculus, d’Arnold Lobel (L’École des Loisirs/coll. Mouche)

L’Américain Arnold Lobel a toujours eu le souci d’offrir des histoires pour apprenti·es lecteurs et lectrices. Ce maître en littérature jeunesse a amené nombre de débutant·es vers la lecture avec son personnage d’Hulul ou des titres comme Oncle éléphant, Le magicien des couleurs, album emblématique des années ’80, ou encore ce Porculus, édité pour la première fois en 1969, traduit en de nombreuses langues, plusieurs fois réédités depuis.
Son approche animalière est d'une qualité exceptionnelle : accessible, poétique, profonde. Ses phrases simples - sujet, verbe, complément - sont faciles à déchiffrer. Dans la mise en page, il amène beaucoup d’air pour faciliter la lecture. Trois, quatre mots par lignes, des petits blocs bien lisibles, qui permettent d’appréhender visuellement les phrases.
Le récit est celui de Porculus, cochon heureux qui se roule de bonheur dans la boue de sa ferme jusqu’au jour où la fermière est prise d’une frénésie de propreté. Le porcidé est le premier à en faire les frais et fugue. Effaré, il découvre l’urbanisation galopante et la société de consommation.
En quelques vignettes vintage et de courtes phrases efficaces, Arnold Lobel confronte le monde animal et l’univers humain en une jolie fable.

3 CHOUETTES (DÈS 7 ANS)

(321), de Mari Kanstad Johnsen (Cambourakis)

Dans la veine des grands albums scandinaves, voici (321) de la Norvégienne Mari Kanstad Johnsen. Son trait audacieux surgit dès la première page dans une profusion de détails, un trait apparemment déjeté, des perspectives inattendues, des personnages aux formes élastiques, des couleurs originales, du rythme. Un style ultra moderne pour aborder le consumérisme, le rapport à l’argent, les rivalités, le sens donné au travail, les vacances.
Tout cela ne serait rien sans deux personnages hors normes : Anna, gamine finaude, qui sait ce qu’elle veut et négocie à merveille avec sa grand-mère – béret breton et ongles vernis – qui ne se laisse pas démonter par les suppliques de sa petite-fille. Elle lui fait confiance mais se montre intraitable quant au respect de leur contrat. Surtout, elle reste zen malgré les risques pris lorsqu’elle lui confie les clés des cinq maisons voisines pour s’occuper des plantes et des animaux contre rétribution. On sent poindre la catastrophe, mais la finale restera bon enfant, et même jubilatoire.
Parler d’argent dans un album jeunesse est bienvenu, surtout lorsque les tractations financières ne débouchent pas sur une conclusion du genre « Tout travail mérite salaire ». De même, si les chiffres sont omniprésents, cette profusion ne transforme pas pour autant l’album en un outil pour apprendre à compter car (321) n’a pas plus de visées pédagogiques que de préoccupations moralisatrices.

 Label : Cachée ou pas j’arrive !, de Lolita Séchan et Camille Jourdy (Actes Sud BD)

Bartok invite Nouk pour une partie de cache-cache : en explorant le jardin et les alentours, la chatte va rencontrer pleins d’animaux. Pendant ce temps, les joueurs et joueuses bien caché·es profitent du temps qui passe pour observer le monde. Lolita Séchan revient avec Bartok Biloba, la petite taupe. Quand celle-ci se met à compter jusqu’à sept, son amie Nouk s’empresse de se cacher. Une première aventure en sept pages, suivie d’une autre quand Bartok se met à sa recherche. Nouk revisite les mêmes lieux, est confrontée aux mêmes personnages avec un décalage qui apporte la touche humoristique.
Dans ses aquarelles aux couleurs tendres, Camille Jourdy intègre des dessins hyper discrets et d’autres historiettes, une double narration minimaliste en heureux contrepoint au jeu de cache-cache. Jusqu’à l’apparition d’un loup et une nouvelle déclinaison de la comptine Loup y es-tu ? Le format à l’américaine, inhabituel en BD, convient à merveille à ce petit album bien plaisant.

4 CHOUETTES (DÈS 9 ANS)

Résidence Beau Séjour, de Gilles Bachelet (Seuil Jeunesse)

Un jour, les enfants s’entichent de licornes, un autre, de grolovious à poils doux, auxquels succèderont les pandas, en tête du classement des animaux super choupinous. Ainsi en va-t-il des modes. Mais que deviennent les personnages détrônés ? Gilles Bachelet a imaginé une maison de repos pour vedettes oubliées ou une sorte de super-colonie de vacances : la Résidence Beau Séjour.
Dans un décor bien chargé et bourré de références, Poufy la licorne et ses camarades s’adonnent à l’aqua poney, au pole dance ou à la pâtisserie. Mais la façade rose bonbon de la Résidence Beau Séjour cache bien des mystères. Divers indices mettent la puce à l’oreille du lecteur, de la lectrice, selon son âge : la première double page, long couloir moquetté façon Shining, sous-sol interdit, miradors et barbelés sur le mur d’enceinte, caméras de surveillance, civières poussées par d’inquiétants infirmiers en arrière-plan, créature de Frankenstein à la télévision, sans oublier des disparitions inexpliquées.
Avec son brio habituel, Gilles Bachelet provoque ici le télescopage de son univers de parodies et marshmallow avec celui de savants fous pour une enquête inédite. Plus que jamais, dans cet album foisonnant, il s’en est donné à cœur joie : jeux de mots, clins d’œil visuels, références à la littérature de jeunesse – y compris à ses propres albums –, au cinéma, à l’actualité, etc. Autodérision, comique de situation, satire sociale… il fait feu de tout bois pour nous faire rire.

  Label : Boucles de pierre, de Clémentine Beauvais et Max Ducos (Sarbacane)

Après avoir lu cet album, on ne traverse plus les parcs de la même façon. Jour après jour, l’héroïne passe par un parc pour ravitailler un oncle malade, cloué au lit. Elle croise des statues d’angelots, satyres, naïades… Tout un peuple apparemment immuable, sauf que leurs cheveux de pierre poussent.
Nourrie de réalisme magique, cette histoire allie nature et merveilleux en un récit sobre et fluide, parsemé d’humour et illustré de dessins poétiques : verts intenses sur fonds de ciel bleu, jeux de reflets et transparences de l’eau, ocre chaud de la pierre, lettrines ouvragées comme les grilles du parc, mises en page évoquant Giverny ou jardins à la française s’allient à la fluidité du récit…
Si le merveilleux s’y glisse avec délicatesse, sans effet spectaculaire, la pirouette finale nous propose une explication on ne peut plus rationnelle.

5 CHOUETTES (DÈS 11 ANS)

Les gardiennes du grenier, d’Oriane Lassus (Biscoto éditions)

Prépubliée sous forme de feuilleton dans le journal Biscoto, cette BD de cinquante-deux pages est donc construite par épisodes avec une relance régulière du suspens.
Les gardiennes du grenier, dont les cases varient par les formes, l’emplacement et le style graphique, met en scène des chauves-souris. Au moment de partir pour hiberner, Plecota a un accident. Elle se retrouve au milieu d’une famille de musaraignes qui la soignent. Puis elle est adoptée par des humains, lesquels sont menacés d’expropriation. Plecota fait appel à ses amis Riri et Mino pour les aider.
Une aventure comme la vie, avec des amitiés, des séparations, des retrouvailles, des rêves, des combats, des solidarités inattendues, etc. Aux lignes courbes ou pointues, aux camaïeux de gris et de noir du monde des chiroptères, succèdent les formes généralement rondes et claires du monde des hommes. Les dialogues sont vibrants et amusants, renforcés par le jeu graphique des phylactères. Un « En savoir plus » sans rupture avec le style de la BD clôture cet album qui allie protection de la nature et découverte d’un monde ailé méconnu.

 Label : Mission mammouth, de Xavier-Laurent Petit et Amandine Delaunay (L’École des Loisirs/coll. Neuf)

Troisième tome de la formidable série « Histoires naturelles » qui en compte cinq à ce jour, Mission mammouth nous amène aux confins de la Russie profonde dans un univers de glace et de neige. Voici le récit d’Amouksa, 117 ans. Son père, déçu de ne pas avoir eu de garçon, a changé son prénom et l’a initiée à la chasse aux rennes et à la pêche aux saumons. Elle raconte sa vie à une arrière-arrière-arrière-petite-fille dont elle oublie constamment le prénom. Comique de répétition à la clé ! Par contre, elle n’a rien oublié de l’extraordinaire découverte d’un mammouth, qu’elle a faite, enfant, en 1901, lors d’une expédition de chasse avec son père. Une découverte symbolisée par trois objets magiques : un talisman de cuir, une pochette de vieilles photos et une robe de princesse. Informé, un savant allemand, Eugen Pfizenmayer, les rejoint et noue avec la gamine une belle complicité.
Ce roman, fondé sur un fait historique, est un subtil mélange d’aventure scientifique, de récit initiatique, de témoignage féministe. Il s’enrichit de multiples thématiques : la connaissance des peuples traditionnels sibériens, le choc culturel lorsque le trappeur et sa fille se retrouvent à la cour du Tsar à Saint-Pétersbourg (première rencontre avec une ville, une baignoire, du pain !), la tradition patriarcale opposée à l’émancipation féminine, l’opposition entre connaissance scientifique et savoir ancestral ou croyances traditionnelles…

EN SAVOIR +

Le prix Versele, tout un processus

Plusieurs centaines de volontaires s'impliquent dans le prix Bernard Versele. Les enfants ont à se positionner sur vingt-cinq livres proposés à la suite d'un long processus.
D’abord une quinzaine de lecteurs et lectrices du comité de prospection ont épluché la quasi-totalité de la production éditoriale de juin 2020 à juin 2021. Ensuite, 250 à 300 volontaires réparti·es dans 17 comités de lectures régionaux ont lu les 80 livres présélectionnés et envoyé leurs délégué·es à la grande journée de vote pour lister les vingt-cinq titres de la sélection définitive.
Pour encourager les enfants à émettre leurs choix, des volontaires vont présenter, notamment dans des classes, les titres sélectionnés. De nombreux enseignant·es et bibliothécaires sont aussi partie prenante de cette action de médiation culturelle. Les parents sont également invités à se joindre à l’aventure.

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