Vie pratique

Qu’elles se passent loin de la maison ou pas, les vacances sont une belle occasion pour les enfants de regarder autrement le monde, de créer, d’ouvrir les portes de leur imaginaire. Un simple petit carnet suffit déjà : pour garder une « trace » de ce qu’ils et elles voient, vivent ou ressentent. Voilà une affaire d’attitude qui ne se limite pas à la période estivale. Nous en parlons avec deux convaincues, fortes chacune de leur expérience.
Geneviève Casterman est autrice-illustratrice de livres jeunesse. Elle anime des ateliers pour enfants et enseigne à des futur·es illustrateurs et illustratrices. Son ouvrage 100(0) moments de dessin (paru chez Esperluète en 2014) abonde en idées créatives – insolites, cocasses, poétiques – qui ne réclament pas grand-chose pour se concrétiser, juste un peu d’audace peut-être.
Isabelle Chavepeyer est, pour sa part, psychologue clinicienne et formatrice au Fraje (formation et recherche - accueil du jeune enfant). Au fil du temps, cette passionnée d’art et de culture a élaboré des formations basées sur la rencontre entre l’art, les jeunes enfants et les adultes qui les accompagnent.
Au cœur de nos échanges avec l’une et l’autre, il y a cette petite impulsion à donner aux enfants pour qu’ils déploient leur créativité. Pour le plaisir, toujours.

Mise sur pause
Le fil rouge du présent dossier branche nos deux interlocutrices. Le verbe « profiter » plaît à Isabelle Chavepeyer. « Il invite à ralentir, à vivre pleinement les choses, en conscience. Il évoque la détente, le plaisir ». C’est parce qu’elle est « prof depuis 1980 » que Geneviève Casterman assimile, quant à elle, les vacances d’été à un temps où on change ses habitudes, un temps de renouveau. « Quelque chose se termine et, avant un recommencement, il y a ce sas des vacances. Il y a une vacance, une disponibilité, propice à plus de fantaisie ». Place aussi à « un retour aux sources » pour celle qui aime « les jeux du hasard, les coïncidences, les choses dérisoires, les petits riens, l’art du peu, l’air de rien ». Voilà le cadre posé.
En territoire connu (à la maison, par exemple) ou en terre inconnue (dans un nouveau pays(age)…), faire une pause, « ça permet de prendre le temps de regarder, dit Geneviève Casterman. Presque un moment de méditation. On regarde avec des yeux neufs. On essaie de voir ce qu’on n’a pas encore vu ou ce qu’on n’a pas l’habitude de voir ».
« On ouvre son champ sensoriel, renchérit Isabelle Chavepeyer. On peut ainsi se fixer des petits objectifs, comme s’attacher aux jeux d’ombre et de lumière, ou vérifier si ce qu’on voit le matin est pareil à ce qu’on voit le soir ». La psychologue-formatrice apprécie les promenades sonores, à entamer une feuille quadrillée en main : « On ne se parle pas beaucoup, on écoute surtout. Chaque fois qu’on entend un son, on le note dans un carré. On peut ensuite jouer avec les mots notés ». Explorer avec tous ses sens en éveil, ça permet de se relier à ses émotions, de se connecter à son imaginaire aussi.
Traces de vacances, mais pas que
Les souvenirs de vacances, ça compte ! Et qui dit souvenirs dit traces… « L’enfant fait des expériences, vit des aventures. Dessiner lui permet de laisser une trace – d’un instant, d’un lieu, d’une émotion… », plaide Geneviève Casterman. Pour les recueillir, rien de tel que des petits carnets, à avoir à portée de main – « J’en suis fan ».
Parents et enfants, vous pouvez vous installer avec feuilles et crayons de couleur face à un paysage choisi et vous amuser à le représenter à votre façon. Ce n’est peut-être pas très original, mais cela peut être très chouette.
Les enfants peuvent aussi s’inspirer de l’infinité de propositions que renferme 100(0) moments de dessin. Quelques exemples ? Chausser les lunettes du grand-père et dessiner ce qu’on voit. Dessiner son reflet dans une flaque ou une cuillère. Dessiner avec du marc de café ou des pâtes alimentaires, voire avec l’objet qu’on veut représenter. Dessiner avec les deux mains à la fois. Dessiner à deux, l’un·e commence, l’autre poursuit. Dessiner sur du papier journal, sur une photo de famille ou dans le sable.

Les souvenirs de vacances, ça compte ! Et qui dit souvenirs dit traces…
L’autrice-illustratrice nous parle ici davantage d’une « attitude » que les enfants peuvent adopter – en toutes circonstances, donc – que d’activités clés en main. Spécificité des pistes qu’elle donne : elles nourrissent l’esprit d’enfance. Dessiner, pour Geneviève Casterman, c’est « expérimenter, user de spontanéité, se soustraire à toute injonction d’adulte, faire les choses avec joie, de façon ludique, sans se prendre la tête et sans une attente de résultat. Même si le résultat est visible, puisque le dessin est une trace d’expérience ». Pas besoin de « savoir » dessiner pour s’amuser, il faut parfois juste oser, se lancer, essayer.
Il y a de la matière pour tous les âges. « Moyennant une médiation du parent, non interventionniste, mais que je qualifierais de bienveillante et surtout de ludique ».
À VIVRE
Une promenade au musée d’art
Se balader dans un musée d’art, c’est aussi ouvrir les portes de son imaginaire. Il est rare qu’on accède seul à la culture. Celle-ci est d’abord une affaire de transmission et de partage.
On entre dans un musée d’art avec un enfant comme on l’emmène faire une promenade dans la nature, suggère Isabelle Chavepeyer. « L’essentiel, ce n’est pas l’activité musée en tant que telle, c’est l’activité de l’enfant dans cet espace, le temps de la visite : ce qui l’accroche, ce qui anime son ‘petit moteur’ pour aller à la découverte de son environnement, les interactions qu’il est possible de partager avec lui ».
Ce que les familles y vivent dépend, bien entendu, de l’âge des enfants. « Lors de leurs toutes premières visites, ce ne sont pas spécialement les œuvres exposées qui intéressent les moins de 3 ans, mais bien l’espace qu’ils explorent avec tout leur corps, précise la psychologue. Les 3-6 ans, particulièrement sensibles à la narration, aiment raconter des histoires à partir d’une œuvre : ‘On disait que…’. Les 6-9 ans apprécient, pour leur part, de comprendre les choses sur un mode plus logique (‘Ça se peut vraiment ?’, ‘Qu’est-ce que ça veut dire ?’, ‘À quoi ça sert ?’...) ». Un but peut être donné à la promenade au musée : « On peut se dire : ‘Tiens, aujourd’hui, on va voir un seul tableau ou une seule sculpture’ ou ‘On va voir les très grands tableaux ou les toutes petites œuvres’ », illustre encore Isabelle Chavepeyer.
Laquelle insiste : « C’est surtout d’interactions et de jeu dont l’enfant a besoin, plus que d’accroître ses connaissances. Jouer, c’est transformer les choses et, par là, les maintenir vivantes. Et ça, ça nourrit l’imaginaire ! Concernant les interactions parents-enfants, une observation générale : on se rend compte des dangers des écrans pour les enfants, mais, malheureusement, on parle beaucoup moins du danger des écrans que les adultes utilisent et qui les rendent moins disponibles aux enfants ».
L’enfant garde-t-il une trace de sa visite au musée ? Prolonge-t-il ce moment, et si oui, comment ? « Une création, c’est ce que l’enfant a envie de communiquer de son monde intérieur vers l’extérieur. Il exprime quelque chose, et il peut le faire de plein de façons : par la voix, par un dessin, par un modelage, par de la miche popote… Cette création ne doit pas restée figée, elle continue de se transformer. Elle est importante, cette idée de chemin, de processus. L’enfant est en plein dans l’exploration ».
UN PAS + LOIN
Pour titiller l’imaginaire
- Concrètement, 100(0) moments de dessin de Geneviève Casterman (Esperluète) se constitue de deux parties. La première comprend dix listes de cent propositions chacune : « Dessiner quoi ? », « Dessiner avec quoi ? », « Dessiner où ? », « Dessiner quand ? », « Dessiner ensemble », « Dessiner comment ? », « Dessiner sur quoi ? », « Dessiner pour… », « Dessiner… et puis ? » et « Ne pas dessiner » (cette dernière liste est inattendue, certes, mais prometteuse : imaginer les conversations des oiseaux, habiter sous la table, adopter un arbre…). À l’enfant de combiner des propositions de deux ou plusieurs listes. À essayer sans modération. La seconde partie se veut un fabuleux « marabout bout de ficelle… » d’images (d’artistes et d’enfants) qui sont autant de sources d’inspiration elles aussi.
La suite, construite sur le même principe, est en cours. Titrée 100(0) objets. Faits, jeux et gestes (toujours chez Esperluète), elle se concentrera sur les créations en 3 D. Sortie prévue en 2024. - Isabelle Chavepeyer est, avec Charlotte Fallon, l’auteure du manifeste Musées d’art. Amis des tout-petits, édité en 2013 par le Fraje. Un court texte très précieux pour tout adulte qui veut emmener un jeune enfant en promenade au musée, « une sortie ‘inutilitaire’ mais très utile » !
- Le sac ludique Marmaille&Co (museozoom.be/sac-ludique-marmaille) est à disposition dans quelque soixante musées partenaires pour dynamiser votre visite familiale. Profitez-en !

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