Société

« Rencontrer des gens de tous horizons est très gai »

Pierre Marion, bénévole pour les cours de Français Langue Étrangère à la Ligue des familles

Pierre Marion est bénévole à la Ligue des familles où il anime des cours de Français Langue Étrangère (FLE) depuis trois ans. Un engagement qui lui permet de rencontrer des gens venus d’ailleurs, tout en leur offrant la possibilité de découvrir notre langue et notre culture.

Les cours de FLE dispensés par la Ligue des familles à Bruxelles se donnent dans le grand auditorium de l’association, au même étage que… la rédaction du Ligueur. Tous les mercredis matin, nous voyons donc Pierre Marion monter les escaliers d’un pas alerte jusqu’au deuxième étage. Arrivé de son village de Nethen, l’homme arbore un sourire constant. On ne s’étonne donc pas d’entendre régulièrement des éclats de rire jaillir dans nos couloirs. Ou encore une chanson de Stromae. Car ces cours de FLE sont aussi des moments de vie, comme nous avons pu le constater en nous joignant quelques instants au groupe d’apprenant·es.

Pas prof !

Ces cours se passent dans la bonne humeur, il y a beaucoup d’interactions entre les participant·es et l’animateur saisit la moindre opportunité pour glisser une information, par exemple sur des expressions typiques en français.
« C’est très dense, explique d’emblée Pierre Marion, ces cours demandent beaucoup d’énergie et de concentration parce qu’il faut essayer de stimuler chacun, sachant qu’ils sont tou·tes à des niveaux très différents de connaissance du français. Je suis toujours épaté par l’énergie de ces personnes. Apprendre quelque chose de nouveau, c’est compliqué. Et elles s’investissent beaucoup. Elles sont ici depuis le mois de septembre, elles s’accrochent. C’est super de voir toutes les interactions qu’il peut y avoir entre elles et comment elles osent poser les questions. Des questions pour lesquelles je dois parfois faire des recherches. »
Instituteur primaire avant d’être directeur d’écoles pendant vingt-cinq ans, Pierre Marion a exercé son métier en province, puis à Bruxelles, dans des écoles aux publics très variés, notamment avec des familles issues de l’immigration. « Là où j’étais, ces parents avaient de l’énergie à revendre et de la volonté, ils s’investissaient dans les conseils de participation. Il y a des enjeux importants pour eux, des enjeux d’intégration avec l’envie de s’investir dans la vie scolaire de leurs enfants, de trouver une place en Belgique », se souvient-il.
Il y a trois ans, jeune pensionné, il lit une annonce sur le site du Ligueur pour le recrutement de volontaires pour des formations en FLE. « J’avais une certaine expérience des familles migrantes. Leur apprendre le français, je me suis dit que c’est quelque chose que je pouvais faire. Avec Estelle Dubost, la coordinatrice, on a construit des référents communs qui permettent de structurer davantage les cours, avec des contenus de grammaire, de conjugaison, de vocabulaire, etc. ».

« Mon rôle est d’aider ces gens dans un aspect de leur intégration en Belgique »

Mais Pierre Marion insiste sur un point : « Il n’est pas indispensable d’être enseignant pour donner des cours de FLE. Il faut bien sûr avoir une certaine fibre pédagogique, mais sans être scolaire, tout en ayant le goût d’animer. On s’amuse aussi ici. Il faut guider le groupe entre plaisir et apprentissages. Nous sommes actuellement quatre formateurs et formatrices, une cinquième qui travaille de façon individuelle par internet. Une possibilité qui a été importante en période de confinement. Les apprenant·es étaient assidu·es, malgré des conditions matérielles parfois compliquées. Certain·es suivaient le cours uniquement en audio avec leur GSM ! ».

Un forum mondial

Le groupe est surtout constitué de primo-arrivants, des personnes arrivées en Belgique récemment, et leur parcours de vie doit être pris en compte dans la démarche. « Nous avons eu toute une réflexion pour être à la fois accueillants et tolérants, précise Pierre Marion, tout en veillant à la stabilité et à l’assiduité du groupe. Ces personnes ont des réalités de vie compliquées, avec des problèmes familiaux, de logement, financiers, etc. Elles ont tantôt du travail, tantôt pas, peuvent venir ou pas. Elles sont de milieux sociaux très différents. Nous devons aussi nous adapter aux nouvelles arrivées, comme les Ukrainien·nes. Les Sud-américains ont une langue plus proche du français, sont plus avancés et sont là depuis plus longtemps pour la plupart. Ce qui est beau à voir, c’est la solidarité qui se fait jour entre eux ».
La grande majorité des apprenants vient d’Amérique latine, mais également d’Europe (République tchèque, Pologne, Espagne, Roumanie, Pays-Bas), d’Asie (Arménie et Afghanistan), du Moyen-Orient (Syrie) et d’Afrique (Maroc, Angola, Sierra Leone).

Élargir son horizon

Le FLE est d’abord un cours, pas une prise en charge sociale, insiste Pierre Marion. « Je ne cherche pas à établir un contact en dehors des cours. Je pense que mon rôle est d’aider ces gens dans un aspect – linguistique - de leur intégration en Belgique, je ne veux pas être assistant social, ni avocat, ni juriste. Si des questions de ce type viennent, je préfère les envoyer vers des personnes plus compétentes. Spontanément, je ne vais pas les amener à exprimer leurs parcours de vie et leurs difficultés, je ne vais pas susciter les confidences, mais si elles ont besoin d’en parler, je suis à leur écoute. Il y a cependant de vrais échanges, un partage de connaissances et d’expériences. Je trouve très gaie la rencontre avec des personnes venues de tous horizons. Cela élargit mon propre horizon. Et puis, il y a le plaisir de venir ici, c’est aussi gai que d’aller boire un verre avec un copain ! ».

Un souvenir ému

Ces moments de plaisir partagé sont souvent un mélange d’émotion et d’humour, comme lorsqu’un homme d’un certain âge, parlant espagnol, à qui Pierre Marion demandait : « Quel jour sommes-nous ? », lui avait répondu, après une légère hésitation : « Freddy Mercury ! ». Quiproquo dû au recours à des moyens mnémotechniques.
Autre anecdote : « Pendant deux ans, une Colombienne a suivi les cours. Un jour, cette ancienne élève est réapparue, accompagnée de sa mère arrivée entretemps chez nous. Elle a fait passer auprès des participant·es son enthousiasme pour le cours au point d’y emmener sa maman ».
Ou encore ce souvenir d’une Pakistanaise. « Voile sur les cheveux, habits traditionnels, femme au foyer avec de jeunes enfants, mari tenant un Night&Day, elle participait assidûment aux séances de FLE. C’était pour elle un moment de liberté, d’ouverture au monde, de réelle connivence avec d’autres personnes d’origines et de cultures si différentes. Son épanouissement et son plaisir étaient communicatifs. Elle faisait bien plus qu’apprendre le français, elle s’émancipait. J’en garde un souvenir ému. »

EN SAVOIR +

AGORA FLE, c’est quoi ?

C’est en 1984 que la Ligue des familles a mis sur pied des cours d’alphabétisation à La Louvière. En 2016, le mouvement a réaffirmé son engagement pour une société d’accueil et d’ouverture, particulièrement en faveur des personnes venues d’ailleurs. Cela s’est concrétisé par des ateliers intitulés AGORA FLE (Français Langue Étrangère), qui se sont développés depuis à Liège, Maurage, Mons et Bruxelles. Pour les personnes arrivées récemment en Belgique, ces cours de français sont une occasion de rencontrer d’autres adultes et parents.
Plus d’infos : liguedesfamilles.be

L'INITIATIVE

Vélo Solidaire

L’AGORA FLE, ce sont également des partenariats avec diverses associations. C’est ainsi que CyCLO, Pro Velo et les Ateliers de la Rue Voot, dans le cadre du programme « vélo solidaire », proposent la mise à disposition d’un vélo de seconde main pendant un an, la possibilité de le racheter au prix de 25€ en fin de leasing, des formations de conduite et entretien du vélo ainsi que des balades en groupe menées par la Ligue des familles. Les participant·es reçoivent une formation « Vélo trafic » pour être plus à l’aise dans la circulation, ainsi qu’une formation à l’entretien du vélo. Concrètement, seize vélos d’occasion sont actuellement mis en conformité, y compris pour un apprenant handicapé.
Parmi d’autres partenariats, signalons celui avec Coopération par l’Éducation et la Culture (rencontres en 2020 et 2021 avec des élèves du secondaire autour du projet Exil : Parcours de Femmes), certaines activités de cohésion sociale comme une rencontre avec un collectif d’artistes, la participation à divers ateliers, spectacles, séances de jam lors du Festival Trans-en-Danse, mais aussi des ateliers participatifs entre des apprenant·es et les seniors du home Les heures douces du CPAS d’Ixelles.