Crèche et école

Il y a près d’un an, La couleur des nuages paraissait aux éditions Academia. Un livre de plus sur le harcèlement scolaire ? Oui, mais si le Ligueur vous en parle, c’est pour saluer la démarche de co-écriture et le cadre dans lequel cet outil s’inscrit.
Le rendez-vous est fixé un mardi matin à l’Athénée royal Nestor Outer de Virton. Le soleil inonde la salle de réunion dans laquelle Éric Billion, proviseur de l’établissement, a invité quatre élèves qui ont co-écrit le livre avec lui. L’instigateur du projet en rappelle les grandes lignes. « J’ai écrit une histoire de harcèlement scolaire à l’issue tragique et invité tous les élèves de 1re et 2e secondaire à imaginer une autre fin. Ils ont participé à deux animations du centre PMS pour mieux cerner le phénomène et nourrir leur imaginaire ».
Les textes de Lily Rose, Clémence, Elif et Sacha sont sélectionnés parmi les deux cents écrits. Fierté chez les ados. Ils et elles se sentent surtout mieux équipé·es pour faire face au harcèlement. « Avant, je ne me sentais pas concernée, j’en parlais pas et basta, entame Elif. Aujourd’hui, je vois mieux comment réagir. Il y avait une photo qui circulait, j’ai expliqué à mes amies que le simple fait de la relayer, c’était déjà participer au harcèlement ». Sacha, lui, a enrichi son point de vue. « Je comprends ce que c’est, je sais ce que ça implique et ce que ça peut causer sur le mental de la victime ».
Des prises de conscience dont se réjouit Éric Billion. « Notre objectif était de conscientiser les jeunes au fait que tout le monde peut faire partie du mécanisme de harcèlement, que ce soit en tant que cible, témoin ou auteur ». La pause de midi touche à sa fin. Le proviseur prend le relais pour expliquer la manière dont l’école prend en charge le harcèlement au-delà du livre.
Multiplier les acteurs et les outils
Éric Billion n’est pas dupe. Trente ans qu’il fréquente des établissements scolaires en qualité de professeur de français, directeur puis proviseur. Les problèmes relationnels entre élèves, il connaît. Il en a même fait son cœur de métier. « Je ne crois pas aux remèdes miracles, ça se saurait. Le livre a le mérite d’exister, il permet de prévenir, mais pas de lutter. Se contenter d’un livre ou d’une conférence, c’est juste se donner bonne conscience. Un projet comme celui-là n’a de sens que s’il s’inscrit dans une politique plus large de lutte contre le harcèlement ».
Le proviseur ne souhaite pas être perçu comme « Monsieur harcèlement » au sein de l’école. Il préfère multiplier les portes d’entrée pour faciliter aux élèves l’accès à une personne ressource de leur choix. Les éducateurs et éducatrices sont de précieux et précieuses allié·es, chaque membre de l’équipe est référent·e pour une année en particulier, ce qui induit une relation forte avec les élèves.

« Notre objectif était de conscientiser les jeunes au fait que tout le monde peut faire partie du mécanisme de harcèlement, que ce soit en tant que cible, témoin ou auteur »
L’école peut aussi compter sur l’appui du centre PMS situé juste à côté, et plus particulièrement sur Céline Golinvaux, assistante sociale. Elle est à l’initiative d’une boîte à soucis, reçoit les élèves sur demande, organise des animations dans les classes et fait un point hebdomadaire avec le proviseur. Troisième corde à l’arc de l’Athénée, les élèves relais. Ils et elles sont une vingtaine d’élèves de 5e et 6e à avoir candidaté pour jouer ce rôle. Le proviseur n’est pas pleinement satisfait, peu d’élèves font la démarche d’aller vers ces relais pour le moment. L’école fait aussi appel à la police pour des animations de prévention sur les réseaux sociaux et les risques de dérives.
Éric Billion touche du bois, il n’a jamais été confronté à un cas de harcèlement grave. Jusqu’à présent, ses interventions ont suffi à résoudre les problèmes. Sa méthode ? À la fois simple et complexe. Simple, parce qu’elle fait appel au bon sens et à l’intelligence humaine. Complexe, parce qu’elle résulte d’un engagement important, où prendre son tems s’impose. Pour se saisir de chaque cas, pour continuer à se former sur le sujet.
Une méthode qui panache les approches
Voyons de plus près la recette élaborée par le proviseur qui pioche dans différentes approches parmi lesquelles la méthode de préoccupation partagée Pikas, l’approche de Palo Alto et le jeu de l’idiot proposé par le psychiatre français Philippe Aïm. « La force de Pikas, c’est vraiment cette entrée en matière sous le prisme de la préoccupation qui change complètement la donne. On ne victimise pas la cible, on incrimine pas l’auteur, on se préoccupe des uns et des autres. Quand l’élève dispose de suffisamment de ressources, on peut aussi travailler la répartie comme le suggère l’approche de Palo Alto qui sort la victime de cette posture. J’aime beaucoup ce que Philippe Aïm appelle le jeu de l’idiot qui consiste à montrer activement qu’on n’est pas touché par la parole de l’autre ».
Un exemple concret pour illustrer cette dernière approche ? Un élève s’en prend à un autre en lui disant qu’il est moche et que ses habits ne ressemblent à rien. La cible lui répond qu’elle a le droit de le penser. Le fait que la victime ne lutte pas pour s’affranchir fait perdre à l’auteur le pouvoir qu’il a sur la cible, cette forme d’indifférence coupe court à la possibilité d’installer un rapport de force. Sans rapport de force, il n’y a pas de « spectacle » de harcèlement ni de spectateur ou spectatrice pour le regarder. CQFD.
Une intervention en plusieurs étapes
Après avoir passé en revue les inspirations et les moyens, Éric Billion entre dans le vif de l’intervention. Il nous raconte sans se la raconter comment il s’y prend. Première étape : rencontrer et écouter la victime pour comprendre les origines et la nature du harcèlement, les parties prenantes, leur profil, leurs ressources. Dans le cas d’un·e élève isolé·e, Éric Billion a déjà fait appel aux élèves relais pour constituer un duo. Un moyen de rompre l’isolement du premier et de nourrir le sentiment d’utilité du second. Une fois sa version entendue, le proviseur détaille la suite des opérations. « J’explique à la cible que je compte rencontrer le ou les auteurs et je lui demande son autorisation en précisant que je ne suis pas dans un mode punitif ».
Deuxième étape : l’entretien avec l’auteur·e. « Cela me permet d’en savoir plus sur son parcours scolaire, de cerner sa personnalité et sa motivation à harceler pour saisir sur quelle corde tirer pour que son comportement change ». La plupart du temps, l’élève ne sait pas qu’il ou elle est convoqué·e pour un cas de harcèlement dont il ou elle est l’auteur·e présumé·e. L’accueil qui lui est réservé et l’attitude du proviseur le mettent en confiance. « J’essaye d’éviter de prendre mon bureau comme un tribunal et d’être dans le reproche. Ma posture est vraiment celle de la préoccupation ».
À la fin de l’entretien, le proviseur devient plus explicite. « Je clôture en exprimant ma préoccupation pour l’élève cible qui a exprimé une souffrance et je conclus ainsi : ‘À présent que tu as connaissance de cette souffrance, tu as une responsabilité. Si quelque chose se reproduit, ce sera fait en connaissance de cause et là, il y aura sanction’ ».
Quand les conditions sont bonnes, Éric Billion propose une médiation pour permettre un échange en direct entre les parties. Quand l’auteur récidive, le proviseur joue la carte de la cohérence et recourt aux sanctions à sa disposition présentées à l’auteur·e en fin d’entretien. Retenue, exclusion temporaire ou définitive, dépôt de plainte, toute sanction s’accompagne d’un travail de réflexion du ou de la « récidiviste ».
Éric Billion nous avait prévenus, il n’y a pas de recette miracle. Juste une formule pensée et ajustée au fil des situations vécues. Nous terminons le reportage en frappant à la porte du centre PMS avec une question à Céline Golinvaux : qu’est-ce qui fait que les cas de harcèlement ne s’enveniment pas et se règlent à l’Athénée ?
« L’équipe est très attentive au bien-être des élèves et repère rapidement ceux qui ne vont pas bien. Le travail de prévention (animations, livre, élèves relais, boîte à soucis) porte aussi ses fruits. Ce qui fait la différence, c’est surtout le fait d’accepter d’y consacrer du temps et la posture de préoccupation qui fait ses preuves avec les élèves, car elle ne berce ni dans la victimisation ni dans la sanction. »
Un exemple qui a le mérite de démystifier la lutte contre le harcèlement scolaire. Mais qui démontre aussi l’importance d’une prise en charge rapide par une personne ressource formée. De quoi rassurer certaines écoles et en refroidir d’autres…
À LIRE
Les livres conseillés par Éric Billion
- Face au harcèlement scolaire. La méthode pour désamorcer les agressions, Philippe Aïm (Marabout).
- Le harcèlement à l’école, mythes et réalités, Benoît Galand (Retz).
- Le harcèlement scolaire – Guide pour les parents, Bruno Humbeeck (Odile Jacob).
- En finir avec le harcèlement scolaire, Emmanuelle Piquet (Librio).
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