Vie pratique

Lancée en 2016 par l’entreprise chinoise ByteDance, le réseau social TikTok permet de créer, d’échanger et de regarder des vidéos. Alors qu’il est interdit au moins de 13 ans, il fait un tabac auprès des préadolescents. Plusieurs parents se montrent interpellés et préoccupés par ce succès qui peut paraître incompréhensible. On en parle avec Michaël Roulant, animateur de Webetic, un projet mené par Child Focus et la Ligue des familles pour sensibiliser les parents à l’usage d’internet par leurs enfants.
Sophie est la maman des jumeaux Aloïs et Sören, qui fêteront leurs 12 ans en février. Ces deux petits Liégeois ont téléchargé TikTok durant le premier confinement et n’en démordent plus depuis lors : ils publient au moins une vidéo par jour.
Sophie a du mal à comprendre pourquoi ce réseau social a autant d’audience. « Un jour, mon fils s’est filmé en gros plan et il disait simplement ‘Un filtre, pas de filtre’, juste ça, rien de plus, et il a eu 260 000 vues ! Je ne comprends pas, ce n’est pas drôle, ça ne sert à rien et pourtant les enfants cliquent et aiment ».
Le son de cloche n’est pas différent chez Andréïna. Elle a aussi du mal à saisir pourquoi sa fille de 9 ans et demi aime passer son temps sur TikTok. « Je trouve cette appli un peu ridicule. Je la vois faire la même danse que ses copines sur une certaine musique. À un moment donné, on a même dû se fâcher, car elle commençait à adopter une gestuelle pour parler que nous trouvions insensée ».
En réalité, « la plateforme répond à tous les codes qui plaisent aux 8-13 ans, explique Michaël Roulant. D’abord, c’est drôle. Ensuite, le concept est simple : une vidéo courte (d’une minute maximum), rythmée, à laquelle on ajoute facilement des effets spéciaux ou de la musique. Enfin, l’appli a surtout été conçue pour faire du playback, imiter des stars et, si le compte est public, toucher une large communauté. Les préados sont en recherche de reconnaissance, de notoriété. TikTok le permet. Ils ont l’impression d’être des stars ».
La course aux likes
Si de nombreux parents veillent à protéger l’image de leurs enfants en exigeant d’eux qu’ils aient un compte privé, la pression est forte pour le rendre public. « Ma fille est la seule parmi ses copines à avoir un compte privé, explique Andréïna. Mais du coup, TikTok ne lui permet pas de faire des vidéos avec ses amies. Pour cela, il faut un compte public. Cela l’ennuie beaucoup ». De leur côté, Aloïs et Sören ont fini par rendre leur compte public pour avoir plus de followers. « C’est le système du ‘Tu me likes, je te like et je t’amène plein de gens qui me suivent’ », précise Sophie.
« Contrairement à Facebook, quand on crée un profil TikTok, il est public par défaut, rappelle Michaël Roulant. Il faut donc jouer avec les paramètres de confidentialité pour le rendre privé. Si l’enfant persiste à vouloir un compte public, l’idée n’est pas de lui interdire, mais d’enclencher un dialogue. Le parent doit se montrer disponible et compétent pour aider le jeune. Il peut le sensibiliser et l’orienter de sorte que ce dernier ne poste pas de contenu susceptible de le mettre en danger. Il existe des vidéos à buzz tout à fait inoffensives. Celle d’un petit chat, par exemple, aura énormément de succès. Le parent peut l’aiguiller dans ce sens. »
Le challenge de « l’avant-après »
TikTok fonctionne aussi par challenges : les jeunes s’envoient des défis à réaliser tout en étant filmés. « Pour l’instant, le gros défi des copines de Guillaume, c’est le challenge de l’avant-après, raconte Leslie, la maman de ce garçon de 13 ans. Sur fond sonore, elles se montrent d’abord au naturel, avec un shorty, un top, sont assises sur un tabouret en écartant les jambes et, d’un coup, quand elles resserrent les jambes, on les retrouve bien sapées, ultra maquillées, faux cils, minijupes, prêtes à sortir. C’est interpellant, ce n’est pas du tout de leur âge ! ».
Selon Michaël Roulant, ce challenge renvoie à deux effets pervers de l’application : le côté narcissique et l’hypersexualisation de certain·e·s jeunes. « Pour faire une vidéo, l’enfant doit toujours être en mode selfie. Il se regarde et attend qu’on le regarde. Ce n’est pas très grave en soi, mais le parent doit lui faire prendre conscience qu’à un moment donné, quand on est uniquement centré sur soi, on ne regarde plus ce qu’il y a à côté. Le deuxième effet pervers, l’hypersexualisation, s’explique par le playback. Les enfants imitent les danses, les gestes, la tenue des stars qu’ils voient en clips. Mais ce n’est pas du tout la même chose de faire une chorégraphie de Chantal Goya ou d’Aya Nakamura ! Pour lui ressembler, les préadolescentes peuvent prendre des attitudes et des positions suggestives sans s’en rendre compte. Aux parents, je conseille à nouveau la discussion plutôt que l’interdiction. Avec Webetic, nous avons l’habitude de dire aux enfants : ‘Comporte-toi sur internet comme tu te comportes devant ta grand-mère. Ne fais pas des vidéos sur ta webcam si tu n’oserais pas le faire devant ta grand-mère’ ».
Un cas de pédopornographie, c’est un cas de trop
Enfin, la question qui taraude tous les parents, c’est celle des personnes mal intentionnées. Comment ne pas frustrer son enfant en l’empêchant d’être sur un réseau social tout en le protégeant des personnes malveillantes ? Sans minimiser le problème, Michaël Roulant se veut rassurant.
« Soyons clair, le phénomène existe. Mais il existe sur tous les réseaux sociaux et il existait déjà avant internet sous une autre forme. Sur TikTok, le problème est qu’on a des profils avec des jeunes enfants. Le prédateur sexuel a gratuitement à sa disposition du matériel. Si le risque est difficile à quantifier, le phénomène reste marginal par rapport au nombre d’utilisateurs Tiktok (ndlr : plus d’un milliard). Mais un cas de pédopornographie, c’est un cas de trop, on ne peut le banaliser. En tant que parent, je conseille donc de paramétrer le compte et de fixer des règles : ‘Tu peux être sur TikTok, mais tu me montres toutes les vidéos que tu fais avant de les poster’. »
Ne pas s’inquiéter, mais s’intéresser
Sylvie, maman d’Ysaline, 12 ans, n’est pas inquiète par TikTok. Elle gère le téléphone de sa fille via une application dédiée et suit ainsi toute son activité. Elle serait donc avertie en cas de souci. Par ailleurs, « nous discutons beaucoup. Si quelque chose la dérange, elle m’en parle. Si justement elle ne me racontait plus rien, là je m’inquiéterais ! ».
L’attitude de cette maman est recommandée par notre expert : « Il ne faut pas s’inquiéter de TikTok, il faut s’y intéresser. Essayez l’application avec vos enfants, demandez-leur de vous montrer comment cela se passe et posez-leur des questions, du type : Qui peut voir ta vidéo ? Comment on fait des commentaires ? Tout le monde peut voir la vidéo ou seulement tes amis ? Sais-tu comment on fait pour qu’il n’y ait que tes amis qui la voient ? Sais-tu comment on paramètre le compte pour qu’il soit privé ? L’idée derrière, c’est que le parent reste leur personne référente en cas de souci. De manière générale, les jeunes ont des bons comportements sur les réseaux sociaux. Le parent peut être rassuré, peut faire confiance à son enfant, celui-ci ne se mettra pas volontairement en danger ».
EN PRATIQUE
Un problème ? Faites le 116 000
Child Focus a mis en place un service spécifique pour les situations problématiques de mineurs sur internet. Si un jeune envoie une photo suggestive à un destinataire qui le poste sur des plateformes en ligne, Child Focus a des accords avec les grands du web pour signaler et supprimer ces publications. Cela vaut pour le sexting (le fait d'envoyer ou de recevoir électroniquement des textes ou des photographies sexuellement explicites par smartphone), le cyberharcèlement, la pédopornographie, ou même le piratage de compte. Si vous êtes témoins de ce genre de difficultés, n’hésitez pas à appeler le 116 000. Plus on agit vite, plus on limite l’impact.
EN SAVOIR +
Des ressources précieuses pour les parents
Pour bien préparer et accompagner son enfant face aux subtilités d’internet et des réseaux sociaux, le point de départ pour le parent est de bien connaître son sujet. Pour cela, il est toujours bon de se référer au travail et à l’expertise de Webetic.
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