Vie pratique

Vivre son deuil

Des parents qui ont perdu un enfant partagent leur vécu de deuil et les ressources sur lesquelles tou·tes ont pu compter dans cette épreuve

Ils s’appellent Marie, Jérôme, Sophie et Christian. Ils et elles ont perdu un enfant et partagent leur vécu de deuil et les ressources sur lesquelles tou·tes ont pu compter dans cette épreuve.

La mort nous incite à trouver les mots justes. Pour le titre de cet article consacré au deuil, nous avons choisi le verbe « vivre » aux antipodes de l’expression « faire son deuil ». On fait la vaisselle, on fait des courses, mais on ne fait pas un deuil. Certain·es disent qu’au contraire, c’est le deuil qui nous fait.
Depuis 2021, les congés de deuil pour un enfant sont de dix jours, contre trois auparavant. Un congé qui laisse tout juste le temps de prendre en charge l’administratif. Pour le reste, charge au parent de tirer son plan. Une réalité qui en dit long sur la place accordée à la mort dans notre société. Une injonction à tourner la page et à se remettre vite qui transpire également dans les classifications de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui emploie le terme de « trouble de deuil prolongé » pour qualifier une situation où la personne endeuillée pense chaque jour au défunt, à la défunte et désire encore le, la revoir douze mois après le décès.
« Chez nous, le ministre de la Santé publique voudrait prioriser la prévention et la thérapie brève. Sur le principe, la notion d’efficacité est une bonne chose, mais le deuil n’est en rien quelque chose d’efficace. C’est un processus de transformation qui demande un temps qui n’est pas prévisible. Il est très délicat de décréter une durée de deuil à partir de laquelle ce serait pathologique. Chaque chemin est personnel et jalonné de hauts et de bas », explique Dorothée Baveye, psychologue aux Espaces PAD.
Sandra Hastir, psychologue à l’Association des Soins Palliatifs en province de Namur, utilise l’image d’un chemin à parcourir pour qualifier le deuil. Elle détaille ce processus dans le livre Faire le deuil de son enfant édité par l’asbl Couples et Familles. « Avancer sur le chemin du deuil implique d’accepter la perte et de faire place à l’absent, de réussir à le faire vivre dans le quotidien d’une manière différente ». Elle précise que ce chemin est personnel, c’est ce qui explique que les membres d’une même famille peuvent avancer à des rythmes différents et d’une manière qui est propre à chacun·e. 

► LE DEUIL PÉRINATAL

Marie et Jérôme, parents de Louise, 4 ans, Rose, Lucile, 2 ans, et d’une autre petite fille à naître en avril

Marie a subi une interruption médicale de grossesse (IMG) à trente-deux semaines en mars 2022. « Le deuil périnatal, c’est le deuil d’un futur, mais pas d’un passé, déclare avec justesse Marie. Le plus dur, c’est l’incertitude. C’est devoir penser à ses funérailles alors que je la sentais bouger en moi ».
Pour créer des souvenirs de cette petite vie qui n’a pas pu être, Marie et Jérôme ont fait appel à l’association Au-delà des nuages qui propose des séances photo. L’une d’elles a trouvé bonne place dans la chambre de leur fille aînée, Louise. Du haut de ses 18 mois, Louise a compris qu’elle avait une petite sœur Rose qui était morte à la naissance. Sur les conseils d’une psychologue spécialisée en deuil périnatal, le couple trouve des livres pour mettre des mots qu’il partage avec la famille et l’école.
À ce stade de la grossesse, Rose peut être reconnue officiellement à la commune et a droit à des funérailles. Marie et Jérôme optent pour l’incinération et récupèrent l’urne. La parcelle des étoiles réservée aux enfants dans le cimetière de leur village ne les inspire pas. Marie et Jérôme ont envie d’un endroit vivant où l’on peut passer ou s’installer. Le bout de jardin devant leur maison communique avec le RAVeL. Le lieu est tout trouvé. Ils y enterrent l’urne, plantent un cerisier du Japon qui fleurit à la date anniversaire du décès de Rose et installent un banc qu’ils appellent « le banc de Rose ». « C’est là que notre grande a appris à rouler à vélo, on s’y promène, comme ça, on partage des choses avec elle et nos familles peuvent aussi s’y recueillir librement », se réjouit Jérôme.
Pendant son congé, Marie est la plupart du temps dehors. Les mains dans la terre, elle se vide la tête. Quand elle n’est pas au jardin, Marie lit ou écoute des épisodes d’Au Revoir Podcast. De son côté, Jérôme doit reprendre plus vite son travail. « Chaque jour était un peu moins difficile que la veille. Au début, ça occupait toute la place. Puis, ça reste dans le champ de vision, mais, au fur et à mesure, on commence à voir d’autres choses autour ». Marie et Jérôme participent aussi à quelques rencontres du GAPE (groupe d’aide aux parents endeuillés) de la Citadelle à Liège.
« Il ne faut pas avoir peur de parler de l’enfant disparu aux parents, d’oser le nommer. Ce n’est pas tabou. Ne pas avoir peur non plus du choix des mots justes, notre fille n’est pas disparue, elle est morte. Oser ouvrir la porte à la discussion avec des questions ouvertes qui permettent à la personne d’enchaîner ou non sur le deuil », conclut Marie.

Leurs ressources

  • Au Revoir Podcast (Ausha)
  • L’association Au-delà des nuages (audeladesnuages.be)
  • L’association Petite Émilie (petiteemilie.org)
  • Ma petite plume : vivre et surmonter l’interruption médicale de grossesse de Julie de Troy Lecante (Michalon) et Parents orphelins de Sophie Nanteuil (Hachette Pratique)
  • Pour les enfants : Petite sœur envolée de Marie Le Bihan et Korrig’Anne (Publishroom), Léa n’est pas là et Oscar et Léonard d’Anne-Isabelle et David Ariyel, Tu vivras dans nos cœurs pour toujours de Britta Teckentrup (Larousse)

► LA MALADIE

Sophie, maman de Viane, Antoine et Alice décédée en août 2014

Alice a 9 mois quand elle tombe malade. Pendant trois mois, Sophie, sa maman, vit à ses côtés aux soins intensifs de l’hôpital ou à la maison des parents, toute proche de l’hôpital des enfants. Trois mois qui comptent pour Sophie. Nonante jours qui lui permettent d’apprivoiser la maladie. « C’était comme un sas dans lequel je pouvais encore grignoter tout ce que je pouvais d’elle ». Cette période lui apprend à prendre une minute à la fois, à accepter les choses comme elles sont. « Il y a tellement de choses sur lesquelles je n’avais pas de prise, mais accepter ce qui venait, ça, je pouvais ».
Sur ce chemin de l’acceptation, l’écriture et le carnet créatif deviennent de précieux alliés. « Ce qui me tenait, c’était le carnet créatif que je remplissais pour elle ». Partir d’une page blanche, choisir une couleur d’un pastel ou d’un marqueur et créer. Créer sans réfléchir, sans recherche esthétique. Laisser surgir, guidée par la créativité, et couper court avec le mental, voilà alors son mantra. Et quand les questions reviennent au galop, Sophie a mis au point une stratégie mentale. « J’ai obligé mon cerveau à ne plus se poser des questions sans réponse ».
Pendant la maladie, Sophie écrit aussi chaque jour. Trace précieuse. Elle replonge dans ses écrits neuf mois après le décès d’Alice. « J’ai repris tous mes carnets et tapé à l’ordinateur une compilation ». Sophie écrit pendant neuf mois et partage son récit avec ses proches début 2016. « Je voulais leur dire que j’étais vivante, que j’avais réussi à survivre à la mort de ma fille et qu’un jour, quand j’en serais capable, je sortirai de ma grotte ».
L’écriture est thérapeutique et enclenche le chemin du deuil. « Je suis retournée à l’intérieur de moi-même pour retrouver l’essence de qui je suis et c’est ce qui m’a permis de me redresser. Pour moi, le deuil, c’est d’accepter la réalité de la mort de ma fille. C’est un processus de transformation d’une vie entière, une métamorphose nécessaire pour pouvoir continuer à vivre ».
Alice n’est plus là, mais ça n’empêche pas Sophie de dialoguer en permanence avec elle. « C’est un dialogue très intérieur ». Une plume, une couleur, une odeur, tout ramène Sophie à Alice. Tout comme l’écriture du livre a été un moyen pour elle d’être avec sa fille, de se réapproprier leur histoire pour mieux l’accepter.
« Ces dix ans ont été très importants dans ma prise de parole avec le livre. Il m’a vraiment fallu dix ans pour parler de tout ça. Ce livre, je ne l’ai pas écrit par besoin, mais avec le souhait qu’il puisse aider d’autre personnes qui vivent la maladie ou le deuil, qu’elles puissent se sentir moins seules que je ne l’ai été. »
Au moment où Alice est décédée, Les Arbres du Souvenir n’existaient pas encore. Lieu de mémoire et de recueillement situé du côté de Fleurus, ces vingt hectares de forêt permettent d’accueillir les cendres d’un proche disparu et de cultiver son souvenir au milieu d'arbres pluri-centenaires et de fleurs forestières. « Si ce lieu avait existé, c’est là que j’aurais voulu ritualiser l’après-incinération et me recueillir ».

EXTRAIT

« Cheminer avec le deuil, c’est avant tout se regarder dans un miroir et en accepter le reflet. Accepter la réalité, sa finitude, son incapacité à tout contrôler. Accueillir qui je suis, comme je suis. Le deuil invite à faire valoir son pouvoir de décision. Décider du regard que je pose sur l’événement qui se présente à moi. Je suis responsable de ma vie. D’elle, oui, de ce qui m’échappe, non. Alors je m’y attelle. »
Je t’aile, Sophie De Foy (Mama éditions)

► LE SUICIDE

Christian, papa de Sébastien, Benjamin, Marie et de Corentin qui s’est suicidé à 22 ans

Il y a onze ans, Corentin, le fils cadet de Christian, s’est suicidé. Il avait 22 ans et était en pleine force de l’âge. Le 26 juin 2013, neuf mois après une rupture amoureuse douloureuse qui avait lourdement hypothéqué son année académique, Corentin a mis fin à ses jours.
« Pour un parent, tous les deuils sont horribles. Il n’y a pas d’échelle de Richter de la souffrance, mais le suicide charrie des questions spécifiques ». Qu’est-ce qu’on n’a pas vu ? Qu’est-ce qu’on aurait dû faire ? Et tous les « si » qui nourrissent la culpabilité parentale. Heureusement, Corentin a laissé un message d’adieu la nuit où il s’est donné la mort.
« C’était un message d’amour, adressé à nous, ses parents, à ses frères et sœur, à ses grands-parents et à ses meilleurs amis. Ce message nous a beaucoup aidés, sa maman et moi. Tous les parents n’ont pas cette chance. Ce message témoigne aussi que tout parent aimant et aimé qu’on est, on est impuissant face à la souffrance de son enfant. Corentin a été tué par sa souffrance. Elle a pris toute la place. Elle lui a retiré le contrôle de son libre arbitre. »
Dans les mois qui suivent le suicide, Christian et Sylvie participent aux rencontres de l’association Parents Désenfantés et à deux week-ends en France avec l’association française Jonathan Pierres Vivantes aux côtés de psychologues spécialisés dans le deuil et d’autres parents. « Une psychologue m’a dit que je ne devais pas me sentir coupable de quelque chose dont je ne pouvais avoir conscience. Cette parole a été déterminante pour moi sur le chemin du deuil. L’absence de colère à l’égard de Corentin a aussi été fondamentale. Comment pourrais-je lui en vouloir ? Respecter sa souffrance et ne pas condamner son geste m’ont permis d’avancer. J’ai pu en témoigner au sein de l’association ».
Si Christian a pu s’en sortir, c’est aussi grâce à sa famille, plus soudée que jamais autour de Corentin. « Il est le ciment de notre famille ». Christian a aussi pu s’appuyer sur ses convictions religieuses. « Depuis le 26 juin, je vis ce deuil, ce gouffre, cette amputation, mais je me sens soutenu sur le plan spirituel. Je vis avec la conviction que Corentin est là-haut, qu’il y est en paix et qu’il veille sur nous ». Ici, là-haut, Corentin est toujours là et Christian très souvent au cimetière pour entretenir et fleurir la tombe de son fiston pour qu’elle reste la plus belle.

EXTRAIT

« Le deuil ne se fait pas, ne se fera jamais par le courage, il échappe totalement à ce qu’on appelle la volonté, qui certes, peut être une béquille pour rester debout, agir, se lever, s’habiller. Mais le vrai deuil, la souffrance, ne se travaille que tout au fond de soi et ne peut être soutenu que par les paroles d’amis patients, tolérants face à notre chemin tortueux. »
Tu t’es donné la mort à 22 ans. Rester debout après un suicide de Sylvie Van Dam (La boite à Pandore), maman de Corentin et épouse de Christian.

Les parents désenfantés ont profondément besoin d’attentions et de mains tendues

Vie pratique

Survivre à la mort d’un enfant