Vie pratique

Quand la mort frappe un enfant, les mots manquent. Aucun ne sonne juste dans de telles circonstances. Les parents désenfantés ont pourtant profondément besoin d’attentions et de mains tendues.
Gwenaëlle est entrée en 2011 dans l’association Parents désenfantés comme maman endeuillée, suite au décès de sa fille Éléonore. « Chaque histoire est singulière, mais nous partageons des difficultés communes ». Deux ans plus tard, elle devient bénévole au sein de l’asbl et anime des groupes de parole ouverts à tout parent, quelle que soit la cause du décès de l’enfant. Cette expérience lui permet de parler avec recul des difficultés partagées par les parents endeuillés. Un récit que nous avons pu croiser avec les témoignages de Marie et Jérôme, Sophie et Christian, qui ont tou·tes perdu un enfant.
La solitude
Perdre un enfant, c’est ce qu’il y a de pire. Une mort contre nature qui terrasse et vous fait entrer dans un monde parallèle. Ce qui ressort systématiquement des récits, c’est le sentiment de solitude. Même en couple, même avec des enfants, même avec des ami·es, les parents endeuillés se sentent seuls. Trou, puits, tunnel, gouffre, vide, amputation… peu importe le mot employé par Sophie, Jérôme, Marie ou Christian. Tou·tes témoignent de cet isolement.
« Quand j’étais avec d’autres, j’avais l’impression d’être au fond d’un puits, de les entendre de loin, d’être là physiquement seulement mais à côté des autres sans être réellement avec eux », confie Sophie, maman d’Alice décédée il y a dix ans des suites d’une maladie. « Les premiers jours, les premières semaines, ça occupe toute la place, on se sent complètement en décalage », explique Jérôme, papa d’une petite Rose et mari de Marie qui a dû subir une interruption médicale de grossesse à trente-deux semaines.
L’isolement peut aussi être culturel, comme l’expliquent les psychologues des Espaces PAD. « Dans notre société, il y a une forme de repli. L’époque où toute la famille débarquait pour vivre le deuil collectivement pendant un certain nombre de jours est révolue », avance Laetitia. Catheline ajoute l’éparpillement géographique. Dans son unité de soins palliatifs à Namur, les familles vivent parfois aux quatre coins du monde. Avec l’impossibilité de revenir à temps ou d’offrir une aide de proximité avant ou après le décès.

« Je ne suis plus qu’une ombre. Une silhouette vide. Ma fille est morte dans mes bras et je vais l’annoncer à mes deux autres enfants. Je tombe, je dégringole jusqu’au feu de la terre, je descends dans la partie la plus sombre de mon temple intérieur »
Le désespoir
Deuxième sentiment universellement partagé par les parents endeuillés : le désespoir. Perdre un enfant, c’est voir son monde s’écrouler avec le sentiment qu’on ne saura jamais se relever. Dans son livre Je t’aile, Sophie écrit : « Je ne suis plus qu’une ombre. Une silhouette vide. Ma fille est morte dans mes bras et je vais l’annoncer à mes deux autres enfants. Je tombe, je dégringole jusqu’au feu de la terre, je descends dans la partie la plus sombre de mon temple intérieur ».
Quand la mort frappe un enfant, les mots manquent. Aucun ne sonne juste dans de telles circonstances. Des mots qui se veulent réconfortants peuvent même être mal reçus ou interprétés. Les seules paroles audibles, crédibles, viennent d’autres parents endeuillés.
Christian, papa de Corentin, qui s’est suicidé à 22 ans, n’a rien oublié des mots formulés par Paul, lui-même papa endeuillé une dizaine d’années plus tôt. « La blessure est devenue plus supportable », lui avait-il soufflé. C’est avec cette même intention que Christian continue aujourd’hui à prendre part aux rencontres de l’association. « J’ai à cœur de témoigner et de délivrer ce message, avec toute la délicatesse possible, en particulier aux parents plus récemment endeuillés : le temps permet d’avancer ».
Dans son livre Ajouter de la vie aux jours, Anne-Dauphine Julliand, maman désenfantée à trois reprises, rend compte de la puissance de ce témoignage. « Aujourd’hui, elle a traversé le pays, affronté ses souvenirs, partagé notre adieu, pour glisser à mon oreille une phrase. Une phrase que je n’accepterais de nul autre, elle le sait. C’est pour ça qu’elle est là. Parce qu’elle seule peut nous dire : ‘on peut y survivre’ ».
Le cercle social en mutation
Le deuil d’un enfant provoque un effet plus inattendu : la transformation du cercle social. Des proches aux abonné·es absent·es, disparaissant de la circulation. Des connaissances qui, au contraire, sont là, déposent un repas, proposent un café ou une balade et intègrent le cercle des proches.
« C’est très déconcertant, voire violent, de ne pas pouvoir compter sur le soutien de proches, confie Gwenaëlle. Parfois, c’est à nous de faire l’effort d’aller vers les autres pour leur expliquer qu’on ne mord pas et qu’on a besoin d’eux ». Sophie se souvient d’une connaissance qui changeait de trottoir pour ne pas avoir à l’aborder. Elle se sentait comme une pestiférée. « La maladresse, ce n’est pas grave, le moindre geste peut être réconfortant. Mais être niée, c’est violent ».
La double peine
Les parents endeuillés partagent aussi une peur viscérale : que les autres oublient leur enfant. Que la Terre continue de tourner comme si la personne décédéen’avait jamais existé, c’est ce qu’ils appellent entre eux la double peine. « C’est comme si notre enfant était mort deux fois, une fois pour nous et une fois pour l’entourage. Les gens ont peur de mettre les pieds dans le plat. Mais le pire, c’est de faire comme si l’enfant n’avait pas existé », explique Gwenaëlle.
Dans son livre, Anne-Dauphine Julliand partage le message d’un papa. « Aujourd’hui, cela fait douze ans qu’elle nous a quittés. Le plus dur, c’est que plus personne ne prononce son nom. Elle est tombée dans l’oubli. Lucie. Ma fille s’appelle Lucie. Je voudrais qu’on parle d’elle en la nommant ».
Marie et Jérôme pressentaient qu’un malaise pourrait facilement s’installer avec leurs proches et venir polluer leurs relations. Ils décident de les inviter à tour de rôle pour parler ouvertement du deuil périnatal qui vient de les frapper, nommer leur petite Rose sans tabou, montrer les photos prises par l’association Au-delà des nuages.
Et Gwenaëlle de conclure avec justesse. « Ne changez pas de trottoir. Quand les gens sont au fond du trou, ils ont besoin d’une main tendue. N’ayez pas peur d’être maladroit, formulez des questions ouvertes comme ‘Comment tu vas ?’, ‘Qu’est-ce qui te ferait du bien ?’. Elles permettent de rejoindre la personne endeuillée là où elle est et lui offrent la possibilité d’inclure le deuil dans votre relation ». Dans un premier temps, nul besoin de s’embarrasser de mots : une main tendue, un plat cuisiné, un convoi assuré seront autant de témoignages de sollicitude précieux pour le parent.
EN PARLER
La puissance du collectif
Pouvoir dire des choses qu’on n’oserait pas dire ailleurs, se retrouver entre pairs, être compris·e, recréer du lien, appartenir à un groupe, réassoir son besoin de sécurité, bénéficier d’une écoute profonde et sans jugement, éprouver la solidarité, se sentir en phase émotionnellement, sont autant de bienfaits que procurent les groupes de parole.
- À Ottignies, Liège et Charleroi, les groupes de parole de l’association Parents désenfantés.
- À Namur, les ateliers pour enfants et groupes d’entraide adultes des Espaces PAD.
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