Vie pratique

La question du regret parental nous interpelle. N’est-il pas LE grand tabou, particulièrement chez les mamans ? Le phénomène est justement en train d’être étudié par Isabelle Roskam de l’UCLouvain et a inspiré un texte fort de la fanzineuse Camille Walter. L’occasion était trop belle de présenter la psy à l’autrice… et inversement.
Les propos de Camille Walter dans son texte sur le regret parental sont abrupts. La fanzineuse multi-casquette ne cherche pas la provocation gratuite. Son texte se veut d’abord le point de départ d’une discussion ouverte. L’occasion de s’attaquer à un non-dit qui peut causer des dégâts. Nous avons immédiatement eu le présentiment qu’une rencontre autour de la question entre elle et la spécialiste du burn-out parental, Isabelle Roskam, ne pourrait être qu’enrichissante. Les deux ont accepté dare-dare de se prêter au jeu. Hasard du calendrier, Isabelle Roskam est en pleine recherche sur la problématique.
Est-ce que la question du regret parental est liée au burn-out ?
Isabelle Roskam : « On collabore sur le sujet avec Konrad Piotrowski, professeur à l’université du SPWS à Varsovie, pionnier en Europe sur la question. Ensemble, nous avons mesuré le pourcentage de parents qui expriment du regret, soit 12%. Celui des parents en burn-out s’élève à 8%. Mais seulement 3% manifestent à la fois du regret et du burn-out. Ce n’est donc pas la même chose. Le burn-out est un symptôme qui demande à être traité comme un trouble. Sur base de nos études, on constate qu’il n’y a pas qu’un profil qui se dégage. Il opère à différents stades de la parentalité. Petits ou grands enfants. Aîné·e, cadet·te, puîné·e... Et puis, il se manifeste surtout de façon très différente tout au long du parcours. En revanche le regret n’est pas un trouble, mais une émotion. »
Camille Walter : « Avant de publier le texte dans le Ligueur, il existe dans mon fanzine je fais du mieux que je peux avec les moyens du bord. Je l’ai fait tourner sur Insta, il a été partagé plein de fois et vit encore. J’ai reçu un message d’une dame qui me dit qu’elle n’en peut plus. Elle a 40 ans, a eu ce que l’on appelle une grossesse tardive. On a mené une longue correspondance pendant laquelle j’ai suivi tous les stades par lesquels elle passait. Elle est allée jusqu’à se dire que le mieux, au vu de sa situation, consistait à se séparer du père de son enfant et de lui laisser la garde totale. Je me doute qu’il y a d’autres souffrances cachées chez elle, mais voilà jusqu’où ça peut mener. »
I. R. : « Ce qui n’est pas évident à démêler, c’est de se dire que cette émotion - le regret - n’est pas liée à la personne, enfant ou maman, mais bien au rôle. La parentalité est une voie qui peut parfois ne pas épanouir à hauteur de la façon dont elle valorisée. Il y a une véritable injonction au bonheur qui accompagne l’idée d’être parents. De même qu’on n’est pas juste une travailleuse, on s’attend aujourd’hui à être autre chose que seulement une mère. »
C. W. : « Ça commence dès l’accouchement que l’on vend aux femmes comme le moment le plus heureux de leur vie, alors qu’on y souffre comme jamais, qu’on est dépossédée de notre corps et quand le lien d’attachement n’opère pas illico, on perd pied. En plus de l’injonction au bonheur, il y a également celle à l’immédiateté. Plus tard, quand l’enfant grandit, qu’il devient une vraie petite personne, j’ai le sentiment que nous, mamans, sommes invisibilisées. On ne me demande plus comment je vais. On me demande si le petit va bien. »
I. R. : « On est élevée avec l’idée que mettre le besoin de ses enfants avant les siens est une évidence. Ce n’est jamais facile de se dire – et encore moins de se l’avouer – que quelqu’un passe avant nous. Or, comment aider un enfant à s’épanouir sans prendre en compte ses propres besoins en tant que mère et en tant que femme ? L’un ne se fait pas au détriment de l’autre. »
Que fait-on de son regret en tant que parent ? Comment on ajuste son émotion. Ce serait formidable de pouvoir le partager avec les autres parents qui traversent aussi des moments de doute » Isabelle Roskam, psychologue
L’accomplissement maternel, le graal !
C. W. : « Je me rappelle avoir dit à la sage-femme, le jour de la naissance de mon fils, ‘Je ne me sens pas les épaules, je vous le rends’. J’étais obsédée par cette question qui ne m’a pas vraiment quittée depuis : dans quoi, dans quel monde, je l’embarque ? »
I. R. : « Pourquoi ce regret. On a mené notre recherche dans des cohortes très différentes. À chaque fois revient l’idée que l’on manque de temps pour soi. Mais aussi que le monde semble de plus en plus incertain, fait de guerres, de menaces écologiques et d’incertitude économique. Puis, les jeunes d’aujourd’hui mesurent les efforts de leurs propres parents. Je suis maman de cinq enfants et mon fils de 23 ans me dit qu’il ne veut pas forcément suivre mon exemple. On a peut-être vendu une image de la parentalité qui ne fait pas rêver. »
C. W. : « Parce qu’elle est vendue comme celle de l’accomplissement ultime. Comme si les adultes, particulièrement les femmes, ne pouvaient passer que par là pour l’atteindre. Par exemple, sur la valorisation de la transmission, moi, c’est un rôle que je joue par ailleurs dans mes fonctions auprès d’élèves, de parents que je rencontre. Dès lors, oui, j’aime éduquer mon fils et le voir grandir, mais j’aime jouer ce rôle-là au-delà de ma fonction de maman. »
I. R. : « On vit avec la pression de faire les choses bien. Performer. Se définir à travers ce qu’on accomplit dans les différents rôles de sa vie. On se centre sur soi pour mesurer ses accomplissements personnels. Ils nous définissent dans tout ce que l’on accomplit. Mais, parfois, cela peut être un fardeau, la définition de soi. Elle oblige à un bilan permanent. Le parent se retourne sur ce qu’il fait, ce sur quoi il doit être fier. C’est une charge en soi. D’autant que le champ des possibles est immense. Ce qui est à la fois grisant et peut conduire au fait d’être complètement perdu·e. Il y a donc plein de choses à repenser. Seulement, ce que l’on prend moins en compte, c’est que ce champ des possibles rend le fait de se projeter dans le rôle parental extrêmement incertain. Et si je faisais un mauvais choix ? Est encore très prégnante, comme Camille vient de le dire, l’idée que, pour les femmes, la forme la plus accomplie d’épanouissement, c’est d’être maman. Le rôle a changé. Et avec, l’injonction à la perfection. »
« L’idée de faire miroiter une parentalité parfaite est abjecte. On devrait mutualiser nos forces plutôt que de se faire la compét’ » Camille Walter
Différentes formes de soutien
C. W. : « Sur cette question, j’ai arrêté de me comparer aux autres. J’étais à deux doigts de sombrer. Non, je ne fais pas de confiture maison, je laisse mon enfant regarder des dessins animés, il n’est pas noyé d’activités… L’idée de faire miroiter une parentalité parfaite est abjecte. On devrait mutualiser nos forces plutôt que de se faire la compét’. Nos politiques adorent l’idée de réarmement démographique, alors que peu de choses sont pensées dans la société pour nous aider à être de bons parents. »
I. R. : « Notre pays donne beaucoup d’argent pour l’aide aux familles. Allocations, impôts, soutien au secteur associatif, à celui de l’aide à l’enfance, etc. Mais dans le soutien, il existe deux aspects : le formel (les institutions et l’État) et l’informel (les proches). Peut-être parce qu’on néglige une part du soutien informel. Le soutien matériel et informatif, toutes les structures pour guider le parent, à ce niveau-là, ça fonctionne plutôt pas mal. Là où le bât blesse, c’est peut-être le soutien émotionnel. À savoir, une personne qui écoute et comprend le parent. Ce qu’on perd avec l’individualisme de notre société, c’est ça. Et la véritable souffrance du parent, elle est là. On a perdu l’habitude des mécanismes de solidarité. »
Pourquoi ne pas exprimer ses besoins et ses limites ?
C. W. : « C’est vrai que je culpabilise souvent de demander de l’aide. Et que les meilleurs moments de la parentalité sont collectifs, quand on s’ajuste et qu’on a le sentiment de faire front ensemble. »
I. R. : « Ça revient souvent. Une valeur sous-tendue par l’individualisme, c’est qu’on est quelqu’un de bien si on se débrouille par soi-même. Demander de l’aide, ça revient à faire aveu de faiblesse. Et alors se développe une forme de méfiance de l’autre. On ne délègue pas, on ne partage pas son vécu, on s’épuise seul·e dans son coin. Alors que typiquement, la question, c’est : que fait-on de son regret en tant que parent ? Comment on ajuste son émotion. Ce serait formidable de pouvoir la partager avec les autres parents qui traversent aussi des moments de doute. »
C. W. : « J’ai en effet remarqué que c’était très sain de l’exprimer. Et aussi que l’avouer ne faisait pas de soi un mauvais parent. »
I. R. : « « Précisons juste qu’il faut absolument éviter de le formuler devant son enfant. Il y a un lieu et un contexte où ça peut se dire. Un·e gamin·e n’établit pas de distinction entre le rôle de parent et l’individu. L’impact peut être très négatif. En revanche, ce qui est essentiel, ce serait d’encourager les professionnel·les à avoir un accueil bienveillant à ce sujet. L’enjeu consiste à trouver une oreille attentive, à ne pas se vivre comme un ‘mauvais parent’. Cette émotion n’est pas forcément permanente, elle vient, repart, rejaillit. Répétons aux mamans qu’être attentives aux besoins de leurs enfants, ça ne veut pas dire s’oublier soi. Vous avez, vous aussi, – et c’est légitime – vos propres limites. Une émotion, ça s’écoute. Tout ce qu’on peut faire de mieux pour nos enfants, c’est d’aller bien. »
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