Vie pratique

Que ce soit de façon soudaine ou attendue, la mort s’invite inévitablement dans nos vies de famille. Évelyne Josse est psychologue spécialisée dans le deuil. Elle partage avec le Ligueur son expérience de plusieurs dizaines d’années aux côtés des endeuilléꞏes.
En tant que parent, on se sent parfois démuni pour parler de la mort. Quel est le premier conseil que vous pouvez partager ?
É. J. : « Quel que soit l’âge de l’enfant, il faut lui dire la vérité. On pense lui épargner la souffrance en dissimulant, mais l’enfant finira par l’apprendre et cette omission peut abîmer le lien de confiance à l’adulte. Le mieux, c’est d’utiliser des mots très clairs comme ‘J’ai quelque chose de triste à t’annoncer, papy est mort’. »
On a parfois tendance à utiliser des formules comme ‘Il est au ciel’. C’est utile ?
É. J. : « L’enfant prend les choses au pied de la lettre, il ne peut pas comprendre les métaphores. Si on lui dit ‘Il est au ciel’, il peut angoisser à l’idée de prendre l’avion ou au contraire en avoir très envie. Expliquez que la personne est morte, qu’on ne peut plus la faire revenir à la vie. On peut aussi préciser que la mort, c’est quand le corps ne fonctionne plus, que la personne n’a plus faim, ni froid, ni peur. »
Jusqu’où faut-il donner des explications ?
É. J. : « Mieux vaut ne pas noyer d’informations et attendre que les questions viennent. L’enfant peut très bien recevoir l’annonce de la mort dans une certaine indifférence, ce qui peut être déroutant. Il reviendra ensuite avec des questions quand il sera prêt. L’enfant a besoin qu’on lui répète les choses pour les intégrer. Préciser, quand on le peut, que la personne n’a pas souffert peut apporter du réconfort. Tout comme le fait de rappeler que la mort nous sépare, mais qu’elle n’annule pas la force des liens et l’amour qui a uni l’enfant à la personne disparue. S’il ne pose aucune question, c’est important d’aller vers l’enfant pour lui signifier que vous êtes prêt·e à répondre. Il peut être dans le refus ou le déni pendant quelques semaines. Soyez attentif, attentive si vous observez des changements de comportement. »
Quels sont les signes qui doivent interpeller ?
É. J. : « De l’agressivité, une perte du plaisir à jouer, des cauchemars ou des terreurs nocturnes, des comportements régressifs, une difficulté à se séparer. Il ne faut pas psychologiser trop vite, mais, au-delà de quelques semaines, il faut envisager une aide. »

« C’est important de détailler toutes les étapes si l’enfant n’a encore jamais fait l’expérience de la mort pour qu’il choisisse en connaissance de cause ce à quoi il a envie ou non d’être associé »
Faut-il associer l’enfant aux visites et aux funérailles ?
É. J. : « Oui, en veillant à bien le préparer à ce qui l’attend. Expliquer qu’au funérarium, le corps d’un mort est froid, dur et tout blanc, qu’il peut ou pas aller le voir, que les gens seront tristes, que dans le cas d’un enterrement, on recouvre le cercueil de terre… C’est important de détailler toutes les étapes si l’enfant n’a encore jamais fait l’expérience de la mort pour qu’il choisisse en connaissance de cause ce à quoi il a envie ou non d’être associé. »
Quand le parent est face à sa propre tristesse, comment faire ?
É. J. : « Il peut faire appel à une personne de confiance à laquelle l’enfant est attaché. Les parents ne sont pas toujours aptes à soutenir quand ils sont eux-mêmes submergés par leur peine. Grâce à ce soutien, l’enfant aura la possibilité de vivre ses émotions sans chercher à protéger son parent. Il faut faire attention à ne pas faire porter à l’enfant des responsabilités d’adulte, comme lui demander d’être bien sage avec papa parce que maman est morte ou de devenir l’homme de la maison à la mort du papa. L’enfant n’a pas à endosser un rôle qui n’est pas le sien, sinon il risque de grandir déconnecté de son identité et de ses besoins. »
Qu’est-ce qui peut aider l’enfant dans le quotidien ?
É. J. : « Le fait que le parent s’autorise à exprimer ses émotions est une invitation à l’enfant à faire de même. Les mots doux, les câlins, les bisous peuvent aussi apporter du réconfort. Dans le quotidien, ce qui va aider, c’est de retrouver une routine, de conserver un cadre même dans le chaos. »
Vous avez un dernier conseil à donner aux parents ?
É. J. : « Quand un enfant souffre, les parents ont tendance à lâcher sur les règles et les limites, c’est une mauvaise idée. Je donne souvent un exemple que j’ai vécu en ex-Yougoslavie pendant la guerre. J’étais sur une route enneigée, on ne voyait plus rien, ni bordure, ni panneaux, ni repère. C’était très anxiogène. Pour l’enfant, c’est pareil. S’il n’y a plus de cadre, plus de limites, il perd ses repères. »
À SAVOIR
Envisager la mort pas à pas
- Entre 3 et 5 ans : les enfants s’intéressent déjà à la mort, notamment à travers l’observation du monde animal. Ils posent des questions pour mieux la cerner. Vers 5 ans, l’enfant appréhende son caractère irréversible et comprend que quand on meurt, c’est pour toujours.
- Jusqu’à l’âge de 7 ans : l’enfant est dans la pensée magique, les frontières entre réalité et imaginaire sont poreuses. Il peut croire que la mort s’attrape ou se sentir terriblement coupable de la mort de quelqu’un.
- Vers 8-9 ans : l’enfant intègre pleinement le concept de mort, y compris sa dimension universelle. L’enfant comprend qu’on ne peut pas se prémunir de la mort et qu’elle peut frapper à tout moment. C’est une prise de conscience qui peut être très anxiogène.
ET AUSSI…
Le suicide, en parler à hauteur d’enfant
« Les proches hésitent souvent à révéler la cause du décès quand il s’agit d’un suicide, souligne Évelyne Josse, psychologue spécialisée dans le deuil. Là encore, c’est la vérité qui prime. Il faut expliquer que la personne a décidé de mettre fin à sa vie. L’adulte peut partager sa perplexité et dire qu’il ne comprend pas ce geste. On peut aussi désapprouver l’acte en expliquant qu’on n’est pas d’accord, sans juger la personne qui l’a commis, pour que l’enfant comprenne que le suicide ne doit pas être considéré comme une solution lorsqu’il se sent malheureux. La culpabilité peut encore être plus intense en cas de suicide, l’enfant peut penser qu’il aurait dû agir. Il est crucial de le rassurer sur le fait qu’il n’aurait rien pu prévoir. Peu importe ce qu’il a pu faire, dire ou penser, l’enfant n’est en rien responsable du décès. C’est le message qu’il faut faire passer. »
À LIRE
Des livres pour mettre des mots
- Mado et la boîte aux souvenirs, Laetitia Abad Estieu (Bonbon citron).
- Si Rose était là, Jennifer Couëlle et Bérangère Delaporte (La courte échelle).
- Ce jour-là, Pierre-Emmanuel Lyet (Seuil Jeunesse).
- Au revoir mésange, Astrid Desbordes et Pauline Martin (Albin Michel Jeunesse).
- Est-ce qu’il dort ?, Olivier Tallec (Pastel).
ILS ET ELLES EN PARLENT...
« Un monde qui s’écroule pour eux »
Le grand-père de Marius et Merlin est mort brutalement début décembre. Les frérots avaient encore passé une semaine chez lui à la Toussaint. Chez papy, les garçons profitaient de la vie au grand air. Perchés sur des quads ou à l’arrière d’une calèche, ils faisaient les quatre cents coups avec leur papy casse-cou. C’était sans compter ce cancer du poumon identifié à l’automne. Quelques petites semaines pour se préparer, pour permettre aux parents, Emma et Luc, d’annoncer la maladie aux garçons avec beaucoup de précaution. Trop court. Trop vite.
La mort a frappé. D’un coup. Sans laisser le temps de digérer la nouvelle de la maladie. Pour la première fois de sa vie de maman, Emma se sent impuissante. Ses fils sont inconsolables. Elle ne peut « que » reconnaître et partager leur peine. « Ça a été très violent, c’est un monde qui s’écroule pour eux ».
Marius, 8 ans, bouillonne de colère. Il n’est pas d’accord, il veut revoir papy ! Merlin, 10 ans, se repasse tous ces moments vécus avec papy. Les garçons sont sidérés. Comment est-ce possible de passer si vite de la vie à la mort ? C’est quoi la mort ? Des questions qui appellent des réponses qui peinent parfois à sortir, comme en témoigne Emma. « On était sous le choc, on leur a simplement dit ‘Il est mort’. C’était un peu froid et abrupt, mais les mots étaient justes ».
La mort revisitée avec les doudous
« Je suis passée par les livres Au revoir blaireau et Mes petits docs pour parler de la mort de ma grand-mère à mon fils. Sur les conseils d’une amie psy, j’ai utilisé des mots simples pour expliquer que son corps avait cessé de fonctionner et qu’elle ne respirait plus, mais que nous pourrions continuer à l’aimer et à penser à elle. Concernant l’enterrement, j’ai souvent observé une mise à l’écart des enfants en pressentant que ce n’était pas idéal. Cette même amie a renforcé cette conviction, soulignant l’importance d’associer les enfants. Félix a donc participé à la fête pour « dire au revoir à grand-mère ». Quelques semaines plus tard, il mettait en scène des enterrements de doudous avec ses cousins. Mise en terre, discours, souvenirs… tout y était. Là, je me suis dit qu’on avait vraiment atteint l’objectif. »
Laura, maman de Félix, 3 ans
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