Vie pratique

« Vous êtes la maman n°1 ou la maman n°2, vous ? »

À chaque document administratif à signer, à la moindre rencontre anodine liée à l’école, il faut se mettre à nu

L’évolution des mentalités est un combat de tous les jours. Et si on a souvent le sentiment d’avancer dans le bon sens, lorsque l’on recueille le témoignage de couples féminins, on se rend bien compte que les questions blessantes vont bon train. Le florilège qui suit est interpellant, pour ne pas dire édifiant, que ce soit côté mamans ou enfants. Éclairage avec Myriam Monheim, psychologue et psychothérapeute chez Plan F.

L’idée de l’article est partie d’un témoignage d’une maman d’un petit Max* de 4 ans qui nous raconte un épisode, anecdotique pour elle - car coutumière du fait -, mais effarant à nos yeux. Elle inscrit son petit garçon à une activité. L’éducateur lui demande amusé : « Ah, c’est vous. Vous êtes la maman n°1 ou la maman n°2, vous alors ? ». Elle ne comprend pas. Il insiste. « Oui, Max m’a expliqué qu’il avait deux mamans », renchérit-il hilare, comme si ce n’était pas possible et que le petit divaguait… Depuis, on a récolté pas mal de perles qui vont dans ce sens.

« Un être lubrique et déviant »

« C’est comme ça pour tout », nous expliquent les parents interrogés. À chaque document administratif à signer, à la moindre rencontre anodine liée à l’école, il faut se mettre à nu. « C’est un coming out à répétition, explique Ingrid, mariée à Frédérique et maman de Léonie, 3 ans ».
La famille vit dans une petite ville. « On est le couple freaks de l’école », plaisante-t-elle. À la rentrée, leur fille socialise et joue avec des copines dans le parc. On discute entre parents. On s’échange des banalités. Puis, la discussion dérape. Ingrid à propos de sa fille lâche un « Oui, elle est très bouclée en effet. Pas comme sa maman ». « Elle tient ça du papa ? », demande une interlocutrice. « Ah, non. Il n’y en a pas. Nous sommes deux mamans ». Silence. Gêne.
Et systématiquement la valse. Celle de toutes les questions qui suivent. Certaines légitimes. D’autres crues. Voire cruelles. « C’est laquelle, la vraie maman ? Vous l’avez conçue de façon naturelle ? Vous n’avez pas peur qu’elle finisse homosexuelle ? Il y a un papa de substitution ? Elle n’est pas traumatisée de vivre avec deux femmes ? Elle risque de chercher un père toute sa vie ». Tout ça, avec les enfants pas loin qui ont toujours une oreille qui traîne, bien sûr…
Même observation pour Éloïse et Aïcha, mamans de deux petits garçons de 6 et 8 ans. Éloïse nous dit : « L’aveu d’une orientation sexuelle différente fait tomber les masques. De maman respectable à qui on parle rouleau à pâtisserie, on se transforme en être lubrique et déviant. Alors, je leur demande, genre inquiète : ‘Mais vous, vous n’avez pas peur que votre enfant ne devienne hétéro un jour’ ? ».
Pour Myriam Monheim, autant de remarques qui font montre de difficultés. D’où est-ce que ça vient ? « Ça heurte les représentations classiques de la famille. Comme si les autres modèles n’étaient pas légitimes. Comme s’il existait une forme de hiérarchie en fin de compte. Le summum étant un papa et une maman hétéros qui conçoivent. Puis, ceux qui se font aider à concevoir. Et après, les familles recomposées. Enfin, les familles adoptives. Et sur la dernière marche, les familles homoparentales. C’est très dur de dépasser ces schémas. On peut réagir avec humour comme Éloïse, certes. Mais on ne peut pas éduquer tout le temps. Il faut donc réussir à être plus fort et protéger son enfant de ce genre de questions. Au final, tout tourne autour de : est-ce qu’on peut être une famille, sans lien de sang ? Le plus important, c’est de répéter à son enfant que c’est possible. Que les hétéros les plus réfractaires acceptent ou pas, quelque part, ils n’ont plus le choix ».

Myriam Monheim - psychologue et psychothérapeute chez Plan F
« Les homosexuels et leurs enfants sont interrogés sans arrêt sur leur lien et n’ont au final aucun schéma auquel se référer. C’est pour ça que c’est important aussi de fréquenter des familles similaires. Ça rassure les enfants. Ils ne sont pas les seuls à porter cette différence »
Myriam Monheim

psychologue et psychothérapeute chez Plan F

« C’est qui qui fait le papa ? »

Autre difficulté de tous les jours : l’hypothétique place du père. Chez Faye, maman de Lucas, 6 ans, tout allait bien jusqu’à la primaire. « On pensait avoir bien préparé le terrain. On l’a toujours élevé en lui expliquant qu’on est une famille différente. Et que c’est chouette de porter cette différence. On a parlé des papas. De son papa à lui qui est un donneur anonyme. Mais rien n’y fait, à force d’entendre la même question de ses camarades, il a fini par demander : ‘Mais pourquoi j’ai pas de papa, moi ?’ ».
Que dit-on dans ce genre de cas ? La psychologue hésite. « Je pense qu’il n’y a pas de bonne façon de se préparer. Avant tout, histoire d’éviter de perturber les petits, mieux vaut éviter d’inventer un papa qui existerait ailleurs. Dans le cas de Lucas, on peut parler d’un donneur qui a donné sa graine aux mamans. On adapte son discours à chaque âge. Mais qu’un enfant de ce type revienne de l’école avec sa différence qu’on lui renvoie, c’est normal. Il représente une réalité hors norme. Il faut expliquer, à lui et à ses copains, que ça fait partie de la vie. S’il y a agressivité, là, on bascule dans l’homophobie. Il faut peut-être voir comment en parler à la classe pour comprendre et mettre des mots sur ce qui les dérange. Et bien sûr, on reste toujours attentives à ce que son enfant ramène comme propos de l’école ».
Ce qui agace le plus Ingrid, la maman de Léonie ? Cette impression constante qu’on remet en cause sa filiation, donc sa légitimité de maman. Elle nous explique que la parentalité d’un hétéro n’est jamais remise en question. Autre absurdité subie fréquemment, qu’on lui pose exclusivement à elle, vue qu’elle est plus « imposante que (s)on épouse », plaisante-t-elle, c’est si c’est elle qui joue le rôle du père. Dans ces cas-là, elle redouble de patience.
« J’explique qu’on élève notre petite de façon totalement égalitaire. En général, ça marche bien auprès des mamans féministes ! Et donc que l’on ne s’attribue pas un rôle particulier. Nous élevons Léonie comme deux femmes, avec chacune sa propre identité. Je suis persuadée que ça fonctionne pareil dans les couples hétéros aujourd’hui. Un homme ou une femme, là, en 2017, a autant un côté féminin que masculin. Le père autoritaire et la douce mère aimante, c’est une fable, non ? Le plus important c’est que notre fille soit en phase avec nos principes. »
C’est ce que Myriam Monheim nomme le trio symbolique. « La parentalité, aujourd’hui, c’est deux rôles qu’on ne calque pas. La famille, c’est une triangulation dans laquelle un enfant s’épanouit et grandit. C’est un trio qui permet de se distancier de l’autre, nécessaire à l’autonomie de tous. Sans quoi, on étouffe. Et ça passe uniquement par ça. Que ce triangle soit composé d’une femme et d’un homme, de deux femmes, de deux hommes, de grands-parents, d’un parent seul et d’un autre proche, peu importe. Mettons de côté un peu les archétypes ».

On peut s’appeler comme on veut

Et la question de la dénomination ? Aïcha, elle, a délibérément choisi de ne pas se faire appeler maman. Au sein du couple qu’elle forme avec Éloïse, la question faisait débat avant même la grossesse. « Dans ma représentation militante, je rêvais d’un monde dans lequel un enfant pouvait appeler ses deux mamans ‘Maman’. Hélas, je suis tombée amoureuse d’une femme qui déteste ce mot ».
Jusqu’ici taiseuse, Aïcha se lance : « C’est vrai que pour moi, ça ne veut rien dire. Je me fais appeler Khalti. Parce que c’est comme ça que j’appelais la femme qui m’a élevée et qui a été ma mère de cœur. Ça ne gêne pas nos fils. Ils disent à leurs copains qu’ils ont une maman et une Khalti ». C’est aussi une manière de leur montrer qu’ils vivent quelque chose d’inédit. « Je leur explique que des familles comme nous n’existaient pas dans les générations précédentes. Du coup, on peut s’appeler comme on veut. Le plus important ? Qu’on s’aime ».
Myriam Monheim renchérit. « C’est parfaitement vrai. Les homosexuels et leurs enfants sont interrogés sans arrêt sur leur lien et n’ont au final aucun schéma auquel se référer. C’est pour ça que c’est important aussi de fréquenter des familles similaires. Ça rassure les enfants. Ils ne sont pas les seuls à porter cette différence ».
Et, au milieu de toutes ces questions, l’enfant ne souffre-t-il pas de voir ses parents se débattre face à la norme et ces remarques parfois déplacées ? Aïcha répond sans hésiter : « Je pense que les enfants sont beaucoup plus solides qu’on imagine. Nous fréquentons beaucoup de familles comme la nôtre, c’est vrai que c’est plus facile, il y a moins de dérapages. On a moins le sentiment d’être des bêtes de foire. Et ce que je constate, c’est quand les parents y voient clair, il n’y a aucune confusion. Je vois aussi beaucoup de couples lesbiens qui projettent les normes de la société sur leurs enfants. Et qui, du coup, deviennent à leur tour hyper-normatifs. Je pense qu’on est là aussi pour réinventer la famille. L'enfant n'en souffre pas. Pas plus que d’autres choses, du moins. La meilleure façon pour l’armer ? C’est de l’aimer et de lui faire sentir que l’on forme un clan. La meilleure chose en réalité ne se décrit pas, puisqu’elle s’appelle la spontanéité ».

* À la demande des témoins, tous les prénoms ont été modifiés.

EN PRATIQUE

Bon à savoir

Un conseil de tous les protagonistes de l’article : réfléchir dès la grossesse à la manière dont les deux parents vont se déclarer aux yeux de la loi. Très vite, si la situation dérape, le co-parent peut tomber dans un vide juridique et vivre des situations douloureuses au détriment de l’enfant.
Si, comme la majorité des couples interrogés pour cet article, vous êtes un couple de femmes ayant fait appel à un donneur anonyme, sachez que depuis 2013 existe le statut de « co-parent » pour les couples lesbiens qui ont fait appel à la procréation assistée.
Si vous êtes candidates famille d‘accueil : les associations conseillent en général de se marier, cela facilite les démarches. Il est hélas encore plus facile aujourd’hui d’être accueillante que d’adopter.

Les bons coins

Plan F : planning familial, consultation spécifique LGBT à Bruxelles.
Sips : planning familial, consultation spécifique LGBT à Liège.
Tels quels : toutes les infos pour un public concerné de près ou de loin par l’homosexualité.
Les Maisons Arc-en-Ciel : super lieux de rencontres et de soutien à Bruxelles et en Wallonie.