Développement de l'enfant

Web et Addiction

Aujourd’hui, vous pouvez lire qu’un écran, c’est comme de l’héroïne pour un petit. On parle des ados comme des junkies psychotiques. Vous entendrez même dire que les enfants du numérique perdent tout intérêt pour la vie réelle. Des web-toxicos, nos mômes ? Posons la question à un expert en addiction et aux parents.

Ce que pense l’expert 

Antoine Boucher de l’asbl Infor-Drogues

« L’ado n’est pas accro au web, mais à l’image qu’il lui renvoie »

La barrière réel/virtuel n’existe pas chez l’ado. Comme nous, il est accro aux relations. Pour lui, c’est du vrai lien. À vous de l’aider à prendre conscience que cet univers sur le web est parfois factice. Votre principale question, c’est : « En quoi je vais aider mon enfant à surmonter tous les écueils du numérique ? ».

Chez les garçons de - de 15 ans

Nous sommes intervenus auprès de 1res secondaires dans une école décrite comme une « jungle ». On a demandé aux gamins ce dont ils ont le plus de mal à se séparer. Réponse nette : leur console. Interloqués, nous nous sommes demandé si le jeu vidéo est le problème ? Non.
Selon moi, c’est son instrumentalisation. « Je n’arrive pas à dormir, je suis excité, je tape ma petite sœur ». Un peu comme la drogue, on utilise un produit pour modifier son émotion et son rapport à l’autre. Je ne parlerais pas d’addiction. Un gamin va utiliser le web, les jeux, pour changer son comportement. À vous, parents, de chercher à comprendre : « Qu’est-ce que ça t’apporte ? ». Interrogez sa pratique.
On ne maîtrise ses émotions que quand on sait d’où elles viennent. Votre enfant passe son temps sur le web parce qu’il lui attribue une émotion positive. Comme un Don Juan de discothèque qui va boire trois verres pour se donner le courage d’aller draguer une fille. On agglomère le plaisir à l’alcool. C’est la même chose avec un jeu : je m’identifie à un gros type costaud qui dégomme les autres, alors que dans la vie, je suis petit et j’ai peur des grands, par exemple.
Faites-lui comprendre que ce qu’il aime ce ne sont pas les jeux vidéo ou le fait de surfer sur le web, mais l’image que ça renvoie de lui. Attribuez-y quelque chose de positif pour lui sortir la tête de l’écran. « Tu aimes les jeux de stratégie ? Regarde, il y a des jeux de société dans le genre qui sont pas mal non plus ».

Et les filles ?

Elles jouent autant que les garçons, autant en ville qu’à la campagne, dans les milieux défavorisés ou non. La différence réside juste dans les narrations que l’on retrouve dans les jeux. Chez les jeunes préadolescentes, on ne va pas retrouver le gros bonhomme costaud qui dégomme tout. Mais peut-être un petit chien, une maison, des aventures de guerrière. Le principe est le même : « J’aime l’idée que le virtuel donne de moi ».

Chez les garçons de + de 15 ans

Là encore, chez les grands ados, je ne parlerai pas d’addiction - terme un peu galvaudé qui sous-entend une prise en charge lourde -, je parlerai d’abus. Ceux-ci peuvent s’étendre sur plusieurs années.
Après 14 ans, on délaisse un peu les jeux vidéo pour une autre passion : les réseaux sociaux. Ce qui fait peur aux parents, c’est qu’on est dans une dimension que l’on connaît moins bien. Comme la salle d’arcade faisait peur dans les années 1980. Oui, pendant deux ans, il va avoir le nez plongé dans sa tablette et ne relèvera plus le nez. Quatre heures par jour, ça pose des questions, c’est vrai. Quatre heures à lire un livre, là, c’est génial. C’est plus valorisé. Mais sur le fond, ce n’est pas si différent.
Comme l’écran fait appel au sens, on est plus vite pris, question d’immédiateté. On est plus accro, car on trouve plus vite des réponses. Vous devez vous inquiéter ? Non. Vous devez vous servir des questions que vous vous posez comme ressort de dialogues. Ne partez pas bille en tête avec une tonne d’a priori. Intéressez-vous à l’enfant, à ce qu’il vit. Même s’il vous envoie balader. Revenez-y. Il doit sentir que le parent est présent, avec une certaine ouverture d’esprit.
C’est le même conflit qu’avec les drogues : drame pour les parents, autonomie pour les gamins. On s’inquiète, on n’en parle pas. Là, c’est grave. Faites-lui comprendre : « J’accepte que tu montres que tu grandis, alors, même si j’ai du mal, je vais te donner un peu d’indépendance ». N’attendez pas que la situation déborde.
Ça a l’air simple comme ça, parler. Mais si on ne l’a jamais fait et qu’on se lance avec son gamin de 16 ans, ce sera la cata. Tentez de comprendre son monde sans juger. Les réseaux sociaux, c’est formidable ! Le fond de tout ça, c’est de maintenir le lien. Un mauvais commentaire, c’est l’horreur. Parce que l’investissement de l’enfant est massif. Soulignez le plaisir qu’il y prend : « Ah, tu fais du lien ? Bon, Facebook, c’est gentil, mais des amis que tu n’as jamais rencontrés en deux ans, ce n’est pas étrange ? Il ne te manque pas un truc ? C’est plus dur en vrai, mais pourquoi ne pas essayer ? ».
Et la bonne nouvelle, c’est que même si vous parlez à un mur, ça fait son chemin et ça fonctionne toujours.

Et les filles ?

Là encore, peu de disparités. Via les réseaux sociaux, votre fille projette son amour pour les codes en société. Ça passe par des vêtements, des marques. Ce qui est important, c’est la réaction de l’autre. Apprendre ce que son image suscite chez les autres. Et chaque réseau à une identité à laquelle elle adhère, elle et ses copines. Montrez que vous êtes ouvert et curieux. « Tiens, qui sont ces copines ? Et au fait, tu as pensé à contrôler ton compte ? On peut le faire ensemble ? » (Voir Web et trace numérique, ndlr).
Aidez-la à prendre conscience de son rapport à l’autre. Dites-vous bien que pour elle, le plus dur, c’est d’être coupée de ce lien. Si ça arrive, préparez-vous à jouer le rôle d’adjuvant !

Ce qu’en pensent les parents ?

« Pas toxico, mordue »
Je suis plutôt d’accord avec le fait que les gamins ne soient pas addict à toute cette technologie et au web. Même si, parfois, ça fait peur. À 11 ans, ma fille est tombée accro à un jeu sur l’iPad. Elle y jouait tous les jours, c’est devenu un objet de discorde. Si on partait un week-end et qu’on oubliait la tablette, on morflait. Crise et compagnie. Elle se levait la nuit pour la piquer, ça devenait dingue. Elle devenait dingue. Et du jour au lendemain, elle est passée à autre chose. « C’est pour les nazes », a-t-elle-même osé !
Cris, une fille de 13 ans

« Une drogue »
On voit bien que cet expert n’a jamais confisqué un smartphone ou une PS4 à un gamin de 14 ans. Ça joue les fiers-à-bras, mais ça chiale vite dès que le doudou électronique est consigné. J’ai quand même eu des élèves qui sont venus me menacer dans la salle des profs, parce que, avec l’accord des parents, j’avais leur gsm… depuis deux jours ! Non, c’est accaparant et j’ai parfois le sentiment que notre rôle, c’est de jouer au chat et à la souris avec ces maudits engins.
Même chose chez les filles ?
Oui, comme l’expert, je ne vois pas beaucoup de différence. J’ai une élève qui planque son smartphone dans sa trousse pour regarder du porno avec ses copains. Je l’ai reprise peut-être dix fois depuis la rentrée. D’autres qui passent des journées entières le nez dans l’écran et qui ne nous entendent même plus quand on les somme d’arrêter. Je dirai même que si on devait généraliser, à mes cours, les filles sont plus collées aux écrans que les garçons.
Théo, enseignant dans le secondaire

« En manque »
Ma fille est la plus accro des trois. Si on lui dit de faire une pause avec l’ordinateur, que l’on propose une balade sans smartphone, on a très clairement le sentiment qu’il manque quelque chose. Pour être directe, elle a l’air en manque. On est partis en vacances cet été, en pleine nature, dans une cabane coupée de technologies. Elle s’est enfilé quarante kilomètres à vélo aller-retour pour aller chercher du wi-fi dans le village le plus proche. Certainement cette soif de lien dont parle Antoine Boucher. On a relativisé : à 16 ans, c’est rude de vivre coupée des copains. Une forme d’autopersuasion de notre part ?
Même chose pour vos fils ?
Pas du tout. Ils sont super-sportifs, très manuels, ils inventent plein de trucs. Ils sont d’ailleurs assez désemparés par l’attitude de leur grande sœur. Ils jouaient beaucoup ensemble et ce virage web de notre petite junkie les dépasse. On les rassure en leur disant que ça va passer. Le côté positif, c’est que ça risque de les écœurer par la suite quand ils découvriront Facebook et tous les autres trucs qui fascinent le monde. Ou qui façonnent le monde, comme vous voulez…
Anna, deux garçons de 11 et 13 ans et une fille de 16 ans



Yves-Marie Vilain-Lepage

Où se renseigner ?

  • Infor-Drogues : au-delà de la toxicomanie, l’asbl est spécialisée dans le phénomène de l’addiction. Écrans compris. Permanence téléphonique au 02/227 52 52.
  • Nadja : le centre met en place un groupe « cyber-parents » à destination des parents qui s'inquiètent des usages d'internet et des jeux vidéo.
  • Le rapport de votre enfant à l’écran vous inquiète ? Renseignez-vous auprès de la clinique du jeu pathologique de l’hôpital Brugmann. Numéro vert : 0800/35 777.

Vous, vos enfants et le web, en quelques chiffres

32 % des 11-12 ans vont sur le web plusieurs fois par jour.
68 % des 15-17 ans déclarent utiliser internet depuis plus de cinq ans, contre 14 % des parents.
82 % des connexions à la maison se font depuis un portable, 78 % depuis un poste fixe, 70 % via un smartphone, 38 % sur une tablette.
50 % des ados possèdent une console de jeu vidéo.
70 % des 15-17 ans accèdent à internet dans les pièces où ils sont seuls, alors que 58 % des 11-12 ans se rendent sur le web dans des endroits passants.
► Les filles sont plus nombreuses que les garçons à accéder à internet dans une pièce isolée. 60 % d’entre elles contre 50 % d’entre eux.

Source : IFOP

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