Vie pratique

1958-1967 : je consomme (bien), donc je suis (bien)

1958-1967 : je consomme (bien), donc je suis (bien)

La société de consommation est en plein boom dans les années 60. Le Ligueur en est un incroyable miroir. Consommer, c’est alors faciliter et égayer le quotidien, doper la santé des siens, s’épanouir. Mais c’est aussi veiller au portefeuille familial, ne pas se faire pigeonner.

Le 1er janvier 1958, la Communauté économique européenne (CEE) voit le jour. Objectif : dynamiser l’industrie, l’agriculture et l’économie des six pays membres, en formant un vaste marché commun où les produits circulent librement.
Le 17 avril de la même année, l’Exposition universelle et internationale de Bruxelles – ou Expo 58 – est inaugurée par le roi Baudouin sur le site du Heysel. Pendant six mois, dans une ambiance joyeuse, plus de quarante millions de visiteurs et visiteuses vont se presser autour de l’Atomium et apprécier les progrès techniques et scientifiques du monde moderne. Bonjour la fabrique de désirs et besoins nouveaux !

Acheter mieux, dépenser moins

Dans le Ligueur, la consommation déferle à travers les rubriques, enquêtes, exclusivités, concours… et dans les publicités, bien sûr. Tout cela, entre les sujets d’éducation (« Problèmes de l’enfance ») destinés avant tout à la mère de famille nombreuse et les articles détaillés et militants sur les politiques sociale et familiale en cours.
Ainsi, la rubrique « Pour vous, mesdames » abonde en recommandations – hyper-pratiques – adressées à la ménagère qui doit tenir sa maison, après l’avoir aménagée avec goût. Elle regorge aussi d’inspirations « mode » et « coiffure » pour l’épouse qui doit encore avoir le temps d’être « coquette » à peu de frais… pour son mari. À elle, les vêtements « simples », « élégants », « amincissants ».
La page « Savoir acheter » (avec ses variantes, savoir entretenir, savoir habiter) – simplement qualifiée de « Page des consommateurs » – est, elle aussi, révélatrice. De semaine en semaine, elle dit comment « acheter mieux » (casseroles, matières plastiques, draps de lit, viande, cuisinière au gaz, à crédit) et « dépenser moins ». On y explique à quoi sert un organisme de contrôle de la qualité ; c’est que le label Quality Control est de plus en plus répandu. On y rend compte des débats des clubs des consommateurs mis en place par la Ligue dans le but de créer une « conscience de consommateur ». On y met en garde contre les pratiques commerciales douteuses. Comme, en 1966 et 1967, quand la Ligue mène – et gagne – une campagne contre des firmes qui vendent des aliments surgelés tout en « louant » des surgélateurs – système de location qui « n’est rien d’autre qu’une vente déguisée ».
Oui, l’hebdo de la famille se donne comme mission d’éduquer ses lecteurs et lectrices, qu’ils et elles soient du monde urbain, rural ou ouvrier. « Le consommateur d’aujourd’hui est bien souvent incapable de pouvoir encore acheter en connaissance de cause. Les raisons ? Son manque d’information, son ‘ignorance’… Mais, surtout, cette espèce de ‘brouillard artificiel’ que l’on se plaît à créer autour de lui ! », justifie-t-il dans son numéro du 6 juillet 1962.
Pour bien acheter, la Ligue propose ses timbres famille, offrant des ristournes dans une série de commerces de proximité.
À côté des familles nombreuses, le Ligueur porte un intérêt particulier aux jeunes foyers (les jeunes parents d’aujourd’hui). À leur attention expresse, des « grands concours », avec de l’électroménager et des voyages comme premier et deuxième prix.

Du lait et de l’électroménager !

Épaississant sans doute le « brouillard » ambiant, les publicités foisonnent dans le Ligueur. Les articles promus en force ? Pêle-mêle, les appareils ménagers ou de loisirs utilisant l’énergie électrique (lessiveuse, machine à coudre, gaufrier, tourne-disques…). « Vivez mieux… vivez électriquement », argumente l’Union des exploitants électriques en Belgique dans une annonce. Les meubles et pièces de déco. Lit pour « bien dormir », couvre-lit « en satin », « relax TV automatique »… : le rêve de modernité, voire de luxe, est à portée de main. Les vêtements (et sous-vêtements) de femme (du peignoir au manteau de fourrure, en passant par la gaine), d’homme (du costume aux chaussettes) et d’enfant. Les poudres à lessiver et les liquides vaisselle.
Beaucoup d’annonces mettent en scène la femme, en tant que mère ou épouse. Sans surprise, elles sont imprégnées des stéréotypes sexistes chers à l’époque. Certaines jouent sur la transmission mère-fille, ou père-fils : sûr que les clichés ne disparaîtront pas de sitôt !
Entre le chocolat sous toutes ses formes et les sodas, place, au rayon alimentaire, à des produits de base comme le beurre – « Avec le beurre, on sait ce qu’on mange ! » – ou les œufs – qui donnent « une santé en or », selon l’Office national des débouchés agricoles et horticoles. Sans oublier le lait. Et là, dans le numéro du 13 novembre 1959, des personnalités lancent le premier plan M (pour Milk) Belgique, une vaste campagne se proposant d’« accroître considérablement la consommation de lait » : « Il y va de votre santé et surtout de la santé de notre jeunesse ».
La santé est au cœur des préoccupations. Avec l’aval du monde agricole, tout-puissant (pendant que les charbonnages, eux, doivent fermer, produisant des drames sociaux). Côté santé encore, l’alcool et la cigarette sont déjà considérés comme des fléaux.

Du bon usage de la télévision

Qu’en est-il de la consommation des loisirs et de la culture ? La télévision prend de plus en plus de place dans les foyers. Elle n’est pas particulièrement néfaste, le tout est d’en faire un bon usage, rassure le Ligueur qui, dès l’automne 1964, dédie une page à la télévision et à la radio. Cinéma, chanson (avec le yé-yé), théâtre, arts plastiques, livres jeunesse ont droit à des articles sous forme de critiques ou d’enquêtes. À noter : la publication, dès mai 1960 et jusqu’en 1962, de deux Aventures de Tintin signées par Hergé : Le Secret de La Licorne et Le trésor de Rackham le Rouge.
La détente est précieuse. « L’art du repos aide au travail », lit-on dans le numéro du 23 mars 1962, sous la photo d’une femme qui se prélasse dans son fauteuil et déclare : « Chose curieuse, depuis que je perds du temps, mon travail est mieux fait et plus rapidement terminé ». Ici et là, le Ligueur traite aussi du droit au travail (rémunéré) de la femme, tout en rappelant que l’enfant a besoin de sa mère. L’idée doit encore faire du chemin…

ZOOM

Amitié et amour

Nous n’avons pas encore dit combien le Ligueur d’alors parle d’amitié (entre garçons et filles) et d’amour (entre hommes et femmes). Entre une grande enquête sur les fiançailles et un inventaire des « vrais et faux motifs du divorce » (pour aider à y voir clair). Entre une étude sur le bonheur en mariage et un débat autour du lit conjugal. Le traitement de cette matière est daté, certes, mais la « nécessité d’une vraie éducation sexuelle » est déjà soulignée.

LA VIE DU LIGUEUR

Un Ligueur en évolution

De la fin des années 1950 à la fin des années 1960, le Ligueur, « l’hebdo(madaire) de la famille », évolue sans brusquer. « Organe de la Ligue des familles nombreuses de Belgique », il est, en 1962, celui de « la Ligue des familles nombreuses et des jeunes foyers ».
Son format est immense (42 cm x 56 cm). Il est imprimé en bichromie noir et rouge. Les unes, comme les pages intérieures, sont chargées.
Le premier numéro de 1962 voit apparaître un nouveau logo, épuré, toujours en noir et rouge. Très réussi à notre goût.
Le numéro du 25 septembre 1964 annonce un Ligueur qui « marche avec son temps et la jeunesse des familles » et « vous réserve quelques heureuses surprises », concrétisées dès la semaine suivante. Parmi elles, une page entière consacrée aux programmes de télévision et de radio, un courrier dédié aux problèmes conjugaux, une rubrique « Faites… ne faites pas » (« ce qu’en éducation, nous oublions si souvent ! »), du cinéma, des « flashes sur la Ligue », un « sourire pour éclairer l’actualité familiale ».
Sang neuf… peau neuve !, titre le numéro du 10 février 1967. Sang neuf en référence à « ces enfants qui, chaque jour, naissent dans nos quatre cent mille familles ». Peau neuve car le Ligueur est désormais « imprimé sur une machine jeune ». Et effectivement, « ses textes, ses clichés seront plus nets, ses possibilités de couleur infiniment plus riches, son format plus maniable, sa lecture plus agréable ».