Développement de l'enfant

Ces deux ans de coronacrise ne sont pas sans conséquences pour la scolarité de nos chérubins. À la longue liste des problématiques vécues s’ajoute une confusion plus insidieuse dans l’esprit des enfants : l’école ne fait plus forcément partie de la dynamique quotidienne. Vacances prolongées, fermetures de classe, quarantaines, etc., les séjours à l’école peuvent vite devenir anecdotiques. Ce qui pourrait être accessoire si des psychologues ne mettaient en garde : gare aux formes de phobie scolaire.
L’obligation scolaire a un coup dans l’aile. Nos enfants sont contraints au rythme alternatif imposé par le virus depuis mars 2020. Confinements, quarantaines, certes. Mais pas seulement. Dans le bus qui conduit ses enfants à l’école, Marine explique à une autre maman que pour son Maxime, 7 ans, l’école est une sorte d’activité secondaire.
« Depuis la rentrée de septembre avec les vacances prolongées et tout, on est à plus d’un mois et demi sans cours. C’est presque le tiers de l’année scolaire qui a sauté ». Conséquences ? Certains jours, quand on dit à Maxime qu’il doit se rendre à l’école, il ne comprend pas « pourquoi on ne lui laisse pas le choix de pouvoir y aller ou pas ».
« Kof, kof, je tousse, euh »
Si les écoles n’encouragent pas ce type de comportement, en revanche, elles en appellent à la plus grande vigilance en ce qui concerne l’état de santé des enfants. Fièvre, toux, mal de gorge, mal de tête, plus que jamais, afin de combattre ensemble le virus, la plus grande prudence est devenue la règle absolue. Ce que beaucoup d’enfants ont bien assimilé.
Delphine, maman de Félicien (9 ans), le confirme : « Depuis deux ans, Féfé nous entend souvent dire : ‘Zut, il tousse. Zut, il a le nez qui coule. Qu’est-ce qu’on fait ? On le garde à la maison ou on l’envoie en cours comme ça ?’ Ni une ni deux, il a parfaitement compris comment ça fonctionnait. Et comme par hasard, au moment de rendre des gros devoirs ou avant des contrôles, il nous glisse innocemment, croyant qu’on ne le voit pas venir : ‘Kof, kof, roh, oh, je n’arrête pas de tousser, euh’ ».
Comme Maxime, beaucoup d’enfants en viennent à penser qu’ils ont le choix de se rendre à l’école, comme on le ferait avec une activité parascolaire. Laurence, maman de trois enfants dont Milo (10 ans), a eu bien du mal à conduire son enfant ce matin. Une fois qu’il a passé les portes de l’école, elle explique. « À la maison, il m’a ‘informée’ qu’il n’irait pas en classe. Je suis restée interdite et l’ai pris très au sérieux : ‘Ah bon, ta maîtresse est absente ?’, en panique. Ce à quoi il m’a dit vraiment comme s’il s’agissait d’une option envisageable : ‘Non, mais je ne vais pas y aller, je préfère rester à la maison avec toi’. Ils sont donc en P5, persuadés que ce rendez-vous scolaire d’ordinaire quotidien est tout à fait facultatif. Je lui ai expliqué qu’en dépit du chamboulement des dernières semaines, derniers mois, et tout le bazar, qu’un jour tout rentrera dans l’ordre et qu’il doit bien intégrer que l’école est obligatoire ». La maman ajoute qu’elle comprend le désordre qui règne dans l’esprit des enfants.
Tout ceci serait somme toute assez innocent, si la frontière ténue entre confusion et phobie n’était soulevée par certain·e·s spécialistes.
Phobique or not phobique, là est la question
Annie Vanderen, psychologue, n’est pas surprise par ces comportements. Elle les justifie par une hyper protection qui pousserait les enfants à devenir des êtres d’intérieur, cocoonés, repliés sur eux-mêmes. « Les enfants passent beaucoup trop de temps à la maison. Le dernier rempart, c’était l’école. Jusqu’il y a deux ans, c’était une dynamique qu’on ne remettait jamais en question. Le matin, on se prépare pour sortir de la maison et aller à l’école. Point. Aujourd’hui, j’ai des petits patients qui sont sur les écrans pendant le temps qu’ils sont censés passer en cours. Pas pour s’occuper, mais parce que les écoles compensent les fermetures avec des devoirs à faire sur l’ordinateur. Et quand ils ont fini les devoirs, que font-ils ? Ils vont jouer sur le téléphone, la tablette, la console ou ils regardent la télé. Plus rien ne les pousse à sortir de chez eux ».
Selon la psy, l’irrégularité du rythme scolaire a fini par dégoûter certains enfants du dehors. Les rites de la maison sont extrêmement réconfortants. Ils sont habitués à rester tranquilles bien au chaud. Se rendre à l’école semble de plus en plus insurmontable.
« Un·e jeune du fondamental est censéꞏe s’épanouir à l’école. Si il ou elle refuse obstinément d’aller en classe, c’est qu’il y a une souffrance »
Claire Jarret, elle aussi psychologue, de reprendre : « La question du décrochage des ados est beaucoup abordée. Celle de la phobie scolaire chez les plus jeunes l’est nettement moins. Or, on devrait épauler le parent. Un·e jeune du fondamental est censéꞏe s’épanouir à l’école. Si il ou elle refuse obstinément d’aller en classe, c’est qu’il y a une souffrance. Le rôle du parent ? Comprendre ce que ça dit. La flemme ? Un caprice ? Oui, mais pourquoi ? Où se situe le problème ? Attention aux angoisses liées à la séparation. Surtout chez les enfants de maternelle, elles ne sont pas à prendre à la légère. Autour de 4-6 ans, les enfants devraient se détacher de leurs parents pour investir les apprentissages ».
Coronacrise, cours en dents de scie, rythmes perturbés : est-ce que les explications du décrochage de nos enfants ne sont à chercher que du côté du contexte covid ?
Le côté visible de l’iceberg
Les deux psys nous relatent des témoignages à répétition d’enfants qui ont des symptômes physiques à l’idée de se rendre en cours. Ulysse* a 10 ans. Il invente de véritables stratagèmes pour ne pas se rendre en cours. À l’écouter, il aurait attrapé au moins dix fois le covid et au moment des périodes de fermetures d’écoles, miraculeusement, tout va bien. Une forme de somatisation qui relève de la phobie scolaire ?
On retrouve Anne Vanderen qui le suit : « Contrairement à ce que l’on pourrait trop vite croire, le problème, c’est rarement l’école en elle-même. Il s’agit juste de la partie visible de l’iceberg. Les mécanismes qui alimentent la phobie sont à aller chercher plus en profondeur. C’est lié à quelque chose de plus complexe. On remarque qu’elle apparaît surtout entre 5-6 ans, entre 10-11 ans et plus tard entre 13-15 ans. J’ai le sentiment que c’est toujours lié à différentes formes de pression que subit l’enfant et qu’il garde pour lui ».
Propos confirmés par Claire Jarret : « Avant la crise, les études affirmaient que la phobie scolaire touchait 5% des élèves. Principale raison évoquée ? La pression de la réussite. Aujourd’hui, on lâche un peu la bride avec la réussite à tout prix. Mais il ne faut pas sous-estimer les différentes formes de pression auxquelles sont soumis les enfants. Comment se projeter dans l’avenir dans de telles circonstances ? Ils entendent leurs parents pester contre les règles en vigueur. Aux infos, il n’est question que de crises. Comment croire aux lendemains qui chantent ? Comment faire société ? Question primordiale parce que s’y intégrer est la clé de l’épanouissement d’un enfant ».
Très bien, mais en attendant un retour à la normale et un horizon qui semble pour le moment bien loin de se dégager, comment le parent peut-il s’en sortir ? Peu importe les mots, le fait est que l’enfant se sent loin de l’école. Sans hésiter, nos deux psychologues répondent d’une seule voix : « Quoi qu’il en soit, travailler en coopération avec l’école, c’est la clé. Pour cela, mieux vaut éviter d’être défiant à son égard et éviter par exemple de dire devant les enfants : ‘Bah, tiens, encore trois semaines de vacances pour les profs’. L’enfant doit avoir confiance en l’institution. Ça se travaille. Si, pour une raison ou pour une autre, le jeune n’y voit pas d’intérêt ou manifeste un manque d’envie ou une vraie aversion à se rendre en cours, parlez-en aux profs, à la direction. Parfois une simple conversation avec un tiers suffit à recadrer les choses ».
Les deux psys terminent sur une information qui nous semble importante. Parents et enseignant·e·s doivent remettre l’enfant au cœur du débat. Trop souvent, les décisions se passent loin de lui. Comme si, finalement, on ne prenait pas en compte son ressenti. Nos petit·e·s sont trimballé·e·s d’une décision à une autre. On ferme. On rouvre. On prolonge. On annule. Prend-on suffisamment le temps de tout leur expliquer ? À force de vivre avec et de les avoir sous le nez à tout bout de champ, ne les a-t-on pas un peu oubliéꞏeꞏs ?
* prénom modifié
ZOOM
Aller + loin
On ne peut que vous recommander de discuter de phobies avec des organismes compétents. Parmi eux :
- inseraction.be : une asbl reconnue et agréée par le secteur Aide à la jeunesse de la Communauté française.
- hospichild.be : infos et ressources.
- lanatole.be : groupes de parole pour accompagner les parents.
- L’École Robert Dubois : une initiative de l’Huderf qui propose une prise en charge appuyée par des professionnel·le·s de l’éducation et des psychologues.
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