Développement de l'enfant

Rentrée oblige, on se penche sur son corollaire : les activités extrascolaires. Au sein ou en dehors de l’école, quel est le bon dosage ?
Baluchon accroché au dos, Théo salue David, compagnon de foot : « À jeudi, pour le second entrainement ». Et David de répondre : « Jeudi ? J’peux pas, j’ai ennui ». La phrase prête à sourire, tant elle est en rupture avec la tendance à remplir les agendas de nos petits.
Les activités ont bonne presse. Elles stimulent l’enfant. Physiques, elles accroissent les capacités cardiaques et pulmonaires des enfants tout en fortifiant leur squelette. Les sports collectifs sont aussi un excellent moyen de socialiser et de développer l’entraide et l’esprit d’équipe.
La pratique d’un instrument de musique améliore les habilités cognitives, langagières, psychomotrices et sociales. L’artistique n’est pas en reste. Le théâtre, le cirque, les arts plastiques participent à la construction des enfants sur le plan social et émotionnel.
Sans compter le lot de valeurs dont sont porteuses ces activités comme la solidarité, le vivre ensemble, la confiance. Pratiquer une activité est bénéfique pour le corps, pour l’esprit, pour le sommeil, pour le moral, pour les résultats scolaires. Bref, c’est tout bon.
C’est tout bon, l’OMS le dit aussi
Activités extrascolaires, oui, bien sûr. En matière d’exercice physique, c’est même une recommandation. L’OMS (Organisation mondiale de la santé) conseille ainsi de pratiquer au moins une heure d’activité physique par jour pour les 5-17 ans. Et trois fois par semaine, d’y ajouter des activités qui renforcent muscles et os. Tout un programme.
Dans le sport aussi, il y a la théorie et la pratique. Les enquêtes démontrent que les enfants comme les jeunes ne bougent pas assez. Seule la moitié des enfants âgés de 6 à 9 ans et le tiers des adolescents âgés de 10 à 17 ans atteignent les recommandations de l’OMS.
Surprise chez les parents de bambins qui ont la bougeotte : « Je ne comprends pas comment on n’atteint pas les objectifs. Quand je vois Gaston, mon fils de 7 ans, il a deux entraînements d’athlétisme par semaine et aussi la natation le samedi, sans compter les mouvements de jeunesse ».
Activités extras ? Non, elles creusent les inégalités
En matière d’activités extrascolaires aussi, les inégalités sévissent. Serge Paugam, sociologue français, le confirme : « Ces activités sont pratiquées de façon très inégale selon le milieu social et le type de quartier. Elles contribuent aussi à accroître les inégalités scolaires. Les enfants et ados qui n’ont pas d’activités extrascolaires ont près de quatre fois plus de risque d’être angoissés de ne pas réussir à l’école. On parle de cumul des handicaps pour ces enfants issus de milieux moins privilégiés ».
En 2017, le Ligueur objectivait la chose avec un coup de sonde auprès de 331 parents de Bruxelles et de Wallonie. 41 % des parents dont les enfants ne pratiquent aucune activité la semaine gagnent moins de 1 500 € par mois. Vous en voulez encore ? 44 % des parents déclarent rogner sur certaines dépenses pour financer les activités durant les vacances scolaires. Ça se corse encore pour les familles monoparentales ou nombreuses. Bref, l’extrascolaire a du bon, mais ne rayonne pas sur tout le monde. Il creuse même davantage le fossé social.
Que le problème soit financier ou logistique, sachez, chers parents, que 87 % des communes disposent d’un service de coordination ATL, entendez par là Accueil Temps Libre, à savoir tous les temps en dehors de la journée d’école, avant ou après, le week-end ou encore pendant les congés. Ce service a pour mission de faire connaître l’offre en la matière auprès des habitant·e·s de la commune.
Le bon dosage
Entre l’école, le sport, la musique, les mouvements de jeunesse, les devoirs, les temps en famille, certains enfants ne savent plus où donner de la tête. Surmenés par le trop-plein d’activités. Béatrice Cooper Royer, psychologue et clinicienne, le rappelle : « L’enfant n’a pas la même capacité de concentration et d’investissement que l’adulte ».
Dans son livre Le burn-out des enfants : et si on leur en demandait trop ? (Payot & Rivages), Béatrice Millêtre explique : « Je peux affirmer que le gap du burn-out est aujourd’hui franchi. Je vois arriver dans mon cabinet des enfants qui ne sont pas juste stressés : ils sont épuisés. Exactement dans le même état que des adultes en burn-out professionnel. Ils ont subi un épuisement nerveux, qui les conduit à un craquage ».
À contre-courant de ce « trop », l’asbl Coala, avec d’autres organisations de jeunesse, est à l’initiative de la campagne « Prendre son temps ». Partant du constat qu’il y a une pression de rentabilité du temps et confronté à des parents soucieux d’y répondre au mieux, l’ATL prône le temps libre. Autrement dit : proposer plutôt qu’imposer. Laisser l’enfant choisir entre construire une cabane et faire du macramé. Lui permettre de se réapproprier son temps et son espace plutôt que lui ajouter une contrainte ou une consigne de plus.
« Proposer comme activité à un enfant de dessiner librement. À 5 ans, il s’en donne à cœur joie. À 10 ans, il est perdu, car déjà formaté au fait de recevoir sans cesse des consignes. Il doit alors réapprendre à investir cet espace de liberté », explique Olivier Gerkeens, le directeur de l’asbl.
Laissons une (petite) place à l’ennui
Puisque ce n’est pas naturel de lui faire de la place, parlons-en de l’ennui. Il a mauvaise réputation et pourtant l’ennui n’est pas le désœuvrement, comme le rappelle Claire-Anne Sevrin, coordinatrice de Yapaka, à l’initiative de la campagne « Laissons une petite place à l’ennui ».
« L’ennui doit être furtif pour jouer son rôle de déclencheur et permettre au jeu libre de s’enclencher. Préserver des petites bulles d’ennui permet à l’enfant de découvrir des choses par lui-même. Ces moments de vide lui permettent de se connecter à ‘qui il est’ et construisent son identité. Ils développent aussi chez l’enfant la capacité à s’occuper seul. Dans l’attente, le vide, il peut rêver, être créatif, converser avec lui-même. »
Nous les avons toutes expérimentées, ces petites bulles de rien. Elles ont donné de l’oxygène et du relief à nos vies. Pour Didier, c’était se réfugier dans la cabane perchée dans l’arbre. Sa cabane, c’était un peu sa péninsule, il s’y inventait un monde rien qu’à lui, avec interdiction à son petit frère d’y accoster.
Pour Anne-Catherine, c’était plonger les mains dans la terre, en prélever une poignée, l’agrémenter de quelques cailloux et fabriquer ainsi une miche popote, confie celle qui, aujourd’hui encore, se passionne pour la cuisine.
Noémie et ses sœurs occupaient leur temps libre à se déguiser. Foulards, hauts talons, couvertures, tout faisait farine au moulin des sœurettes pour s’inventer des vies.
Ainsi, laissons nos enfants s’ennuyer. Le manque produit de l’expérience et l’expérience permet une connaissance intime de soi. Et ce n’est pas Didier, Anne-Catherine ou Noémie qui diront le contraire. L’ennui est un espace-temps, un entre-deux. En matière de temps aussi, soyons militant·e·s : refusons la surstimulation pour laisser du temps à l’ennui.
Clémentine Rasquin
L’avis de…
► Olivier Gerkeens, directeur de Coala asbl (association active dans l’ATL), donne un repère : « Sur la semaine, une activité suffit, d’autant que certaines se déclinent à deux reprises sur la semaine. Au-delà de deux activités semaine, ça paraît beaucoup. Tout dépend de l’enfant, certains sont fort demandeurs. En dehors de l’école, limitons autant que possible les temps de contraintes ».
► Claire Meerseman, psychologue : « L’état de fatigue de l’enfant est un bon indicateur pour trouver le bon dosage. Si, en fin de semaine, il est fatigué, irritable, c’est qu’il en fait trop ».
En savoir +
► Sur l’offre ATL (Accueil Temps Libre) : plateforme-atl.be
► Sur la campagne « Laissons une petite place à l’ennui » : yapaka.be