Développement de l'enfant

Histoire réelle, histoire fantasmée, transmise totalement ou tronquée. La crise identitaire de l’adolescence éveille la question des origines et prend une tournure particulière pour les enfants adoptés. Entre réalité génétique et réalité adoptive, sa complexité dépendra de l’histoire de chacun. Et peut même contredire les idées reçues : non, la recherche n’est pas systématique…
La question de la filiation est une préoccupation pour tous les humains. Dans ses recherches, le bon docteur Freud a développé le principe du « roman familial », selon lequel tous les enfants, parvenus à une certaine étape de leur développement, imaginent avoir été adoptés ou kidnappés et s’inventent de meilleurs « vrais parents », plus aimants, compréhensifs ou plus illustres. Un fantasme dont la fonction est de parer aux frustrations imposées par les parents et qui entame le processus nécessaire de distanciation avec eux : désirs œdipiens et souhaits de réussite sociale. Il atteindrait son apogée en pleine crise identitaire de l’adolescence.
Or, les enfants adoptés ont bel et bien d’autres parents, biologiques, connus ou non, nommés ou ignorés, mais dont l’existence vient accentuer la période de crise. Selon Françoise Preille, psychologue clinicienne, « ils peuvent utiliser la particularité de leur filiation pour justifier leurs angoisses, leurs blessures, leurs souffrances ». Et ainsi construire et alimenter des mythes sur les familles d’origine.
Dans son ouvrage Renouer avec soi, Nancy Newton Verrier pose comme condition de la reconnaissance d’un adopté celle de la prise en compte de sa réalité d’enfant abandonné, « une douleur primitive pas nécessairement violente, mais tenace, tapie au fond de soi et qu’il faut explorer et calmer, la perte d’origine étant d’abord dans la séparation ».
Si quête il y a…
La démarche des adoptés en recherche pose des questions d’ordre pratique, déontologique et psychologique. Dans les cas d’adoption en Belgique, il n’y a pas de secret lié aux origines, pas d’accouchement sous X. Les parents adoptifs ont été accompagnés d’une autre manière que les candidats à l’adoption internationale.
Michèle van Egten, coordinatrice du Service d'Adoption Thérèse Wante, à Ottignies précise : « Nous les formons à l’importance d’informer les enfants sur leur histoire. Ils ont accès aux données identificatoires : le nom qui leur a été donné à la naissance, le nom de la mère et du père si celui-ci est connu. L’enfant sait en principe depuis toujours qu’il est adopté: il a été préparé par notre association, nous avons transmis aux parents tout ce que nous savons de sa situation et de son passé ».
Les retrouvailles peuvent être heureuses, elles peuvent aussi être décevantes ou difficiles à vivre
Quand surviennent les questions, l’équipe de l’asbl rencontre d’abord les parents sans les enfants, pour « décoder la demande », déterminer ce qu’ils recherchent exactement, comprendre ce qui leur a été raconté : pour certains parents, il aurait été trop douloureux de raconter un passé difficile.
« Nous militons pour la parole vraie. C’est très dur pour un ado de découvrir que quelqu’un d’autre détenait des informations que lui-même ne connaissait pas, le sentiment de trahison peut-être violent, la confiance est ébranlée. Si raconter est trop compliqué par la nature de la vie antérieure de l’enfant, il faut faire appel à des associations comme la nôtre ».
Les questions de l’enfant sont généralement liées à des événements particuliers dans la famille, à une difficulté rencontrée à l’école, à l’arrivée d’un petit frère ou d‘une petite sœur. Cette étape est importante parce que l’enfant pose des questions précises : je veux savoir qui est ma mère, voir une photo d’elle, est-ce que je lui ressemble, j’aimerais la rencontrer. Les parents adoptifs sont souvent paniqués par ces questions, ils les prennent au premier degré, alors que, dans un premier temps, pour l’enfant, la demande a valeur de test.
« Il ne faut pas se précipiter ! Quand on creuse, on réalise que l’enfant n’a pas nécessairement envie de la rencontre, il se peut même qu’il ait peur, mais il vérifie. Il faut chercher la source : a-t-il entendu une réflexion dans la famille ? Il se peut que ce premier rendez-vous suffise à ce que les parents se débrouillent avec la question, poursuit Michèle van Egten, cela relève de leur responsabilité, nous ne sommes pas là pour dire à leur place ».
Prendre le temps : le fléau des réseaux sociaux
Entreprendre des recherches par rapport à ses origines, c’est tout un cheminement, loin du fantasme de l’émission télé où l’on sonne à la porte d’un parent biologique retrouvé, que l’on se tombe dans les bras. « On balise, on prépare : à chaque étape, il faut avoir déjà réfléchi à la suivante. Les ados ont du mal à intégrer cette notion d’attente. Nous leur expliquons qu’ils vont lancer un TGV qu’ils ne pourront plus arrêter. J’ai eu à accompagner des ados qui avaient fait des recherches tout seuls, par Facebook, et qui, soudain, ont reçu trop d’informations de leur famille d’origine, des demandes, qui se sont sentis débordés, dépassés. Ils aimeraient mettre certaines limites mais ils ont peur d’être rejetés une deuxième fois ».
Au stade des questionnements, une rencontre est prématurée. Michèle van Egten insiste, il faut argumenter auprès des adolescents : « Une rencontre avant l’âge adulte n’est pas indispensable. C’est une étape très éprouvante. Ce qui est compliqué, c’est savoir ce que l’on en fait après, lorsque l’on revient au quotidien. C’est énorme pour un enfant ou un ado : cela génère surtout de l’angoisse. Même pour un adulte, c’est difficile à gérer. De qui suis-je l’enfant finalement ? À quelle famille j’appartiens après tout ? C’est violent. Au-delà de la rencontre, que va-t-on faire avec cette relation qui naît ? La mère de naissance n’est pas une amie, on ne va pas spécialement la revoir. Entre-temps, cette femme aura peut-être eu un autre compagnon, d’autres enfants. Comment intégrer et vivre avec ces informations ? »
À la découverte du pays d’origine
Dans le cadre de sa mission au centre L’Envol, Michèle van Egten soutient les familles qui ont adopté un enfant à l’étranger. « Nous travaillons de la même manière, mais nous préparons ici un voyage vers le pays d’origine. J’aide à déterminer s‘il s’agit véritablement de la demande de l’enfant ou si ce sont les parents adoptifs qui croient bien faire. C’est à lui de décider ce qu’il est prêt à faire, jusqu’où il est prêt à aller. Et, parfois, l’enfant n’a pas particulièrement envie ».
Le défi pour les parents, c’est d’accepter que cette quête ne concerne que l’enfant, qu’il a besoin d’avoir des bases plus solides, de se sentir plus complet. Il ne remet pas en question sa relation avec ses parents adoptifs : c’est son histoire, il s’agit de lui. Certains sont pris dans des conflits de loyauté, et entament des recherches sans en parler, ou le font après le décès de leurs parents adoptifs. Une quête qui peut durer toute la vie…
A. K.
En savoir +
- À lire et voir absolument : Couleur de peau : miel, un récit autobiographique (BD + film) qui raconte l’adoption en Belgique de Jung, né en Corée, sa quête d’identité et son adolescence de manière sensible, entre humour et sentiments bruts.
- Adoption, les ados racontent, Anne Lanchon et Jacques Azam (La Martinière), un livre sur l’adoption qui répond aux questions délicates que se posent les ados, avec les délicieuses illustrations de Jacques Azam.
- Renouer avec soi, l’enfant adopté devenu adulte, de Nancy Newton Verrier (De Boeck).
- www.adoptions.be
- Service d'adoption Thérèse Wante : rue du Bauloy 93, 1340 Ottignies – 010/45 05 67.
En pratique
Comment répondre à une demande de recherche ?
Votre ado a décidé d’entamer des recherches sur ses origines. Il vous en a parlé, ou vous êtes au courant et vous souhaiteriez aborder la question avec lui. C’est une étape importante, car plus que l’accès à un nom, à des détails sur sa naissance, il va pouvoir construire une identité sécurisante et se sentir « complet ». Les conseils de Michèle van Egten :
- Se faire accompagner : adressez-vous à des professionnels (l’organisme d’adoption par exemple), évitez d’entreprendre des démarches solitaires.
- S’armer de patience : ce processus demande du temps et le respect des rythmes de toutes les parties concernées, votre enfant, la famille biologique, vous-mêmes…
- Situer la demande de l’ado, avec les services spécialisés, pour déterminer son véritable besoin : comprendre ? Savoir ? Voir ? Rencontrer ?
- Se préparer aux divers résultats de la recherche : il y a des risques psychologiques potentiels.
- Envisager le refus de rencontre.
- Écouter les questions essentielles et donner des réponses vraies aux questions sur l’origine : même si la demande ne contient pas l’élément des retrouvailles, les questions nécessitent un accompagnement adapté et les compétences spécifiques des professionnels.
Ils en parlent...
La maman : « J’ai raconté notre histoire dans un livre »
J’ai adopté Clara et Lucas au Kazakhstan, ils avaient alors 9 mois et 2 ans et demi. Ils ont toujours su qu’ils avaient été adoptés, nous leur avons parlé du Kazakhstan, de leur histoire, de l’orphelinat. Ils ont tous deux annoncés qu’ils ne rechercheraient pas leurs origines. Chacun a une réaction différente : mon fils revendique son pays de naissance, il est fier de ses origines. Ma fille est en pleine phase d’opposition, c’est le rejet total. Leur père est décédé : je suis la seule dépositaire de la mémoire de leur adoption. C’est pourquoi j’ai écrit un livre, Les Roses d’Almaty, qui raconte toute notre histoire. Je n’ai jamais eu peur de la recherche des origines de mes enfants : je souhaiterais leur offrir ce cadeau un jour, c’est très important de connaître ses racines.
Chantal Joiret, maman de Clara, 17 ans, et Lucas, 19 ans
Le fils : « Un jour, j’irai »
Ado, tu commences à réfléchir, c’est vrai. Tu te demandes d’où tu viens. Mais je n’ai pas eu envie d’aller dans mon pays de naissance. Maman me l’avait proposé, mais c’était trop tôt, je ne sais pas... J’ai toujours su d’où je viens. J’ai fait des recherches : le pays où je suis né, je ne peux pas l’oublier ! J’ai beau être Belge, avoir des parents Belges, je viens du Kazakhstan, ça se voit, tout simplement, ma couleur de peau est différente. Mais je n’en ai jamais souffert : j’ai grandi dans un milieu ouvert, on ne m’a pas stigmatisé. Ce n’est pas un besoin irrépressible, mais je sais une chose : un jour, j’irai.
Lucas, 19 ans
L’avis du psy : « La posture de Lucas est très saine »
Pour Bruno Humbeek, psychologue, le remaniement identitaire de l’adolescence suppose parfois que l’on se pose les questions du choix. Certains vont ressentir le besoin de chercher leur mère de naissance, pour pouvoir solder les comptes. D’autres vont se demander pourquoi on les a choisis, et questionner sans cesse. Dans les deux cas, ils sont confrontés à une peur récurrente de décevoir, un certain stress. Donc, l’attitude de Lucas est saine : il ne cherche pas à solder des comptes, il estime qu’il va bien, s’il sait, tant mieux, s’il ne sait pas, ce n’est pas grave, il est capable de gérer le stress des origines, il accepte l’idée de se construire à partir d’un choix préférentiel.