Vie pratique

Ados et grands-parents : à la recherche de l’enfance perdue

Comme si on s’était trompé dans la livraison. Le gentil petit-enfant, débordant d’enthousiasme à l’idée de passer du temps avec ses grands-parents, fait place à un·e inconnu·e qui vit dans le canapé et n’adresse la parole à son entourage que sous forme de grommèlements. Mince, où est passé le mode d’emploi ?

Chaque séjour des petits-enfants était comme un enchantement pour ce couple de grands-parents. Deux sœurs, dont Léa, 13 ans. Pondérée. Sérieuse. Habitée par une certaine forme de sagesse. Toujours prête à rendre service. Souvent le mot pour plaire. Les vacances, les week-ends prolongés, certains jours de la semaine… cette mignonne passe beaucoup de temps avec aïeux et aïeules. L’ambiance est bonne. Les rapports évidents. Fluides. Faciles. Mais…

L’adolescence redéfinit la place du grand-parent

… vous l’avez senti venir : l’adolescence a rebattu les cartes. Fini, le gracieux ronron. Place au conflit, à la négociation, au manque d’enthousiasme, aux yeux levés au ciel, aux remontrances. « C’est arrivé d’un coup, comme si on avait actionné la fonction ‘ado’, rejoue Gilbert, grand-père démuni. Notre petite-fille nous adresse de moins en moins la parole. Elle passe des heures allongée sur le canapé, sur son téléphone, sa console ou le nez plongé dans des mangas ».
Le couple grand-parental connaît ce type de mutation. Ils en sont passés par là avec le père des filles et sa grande sœur. La différence entre l’adolescence de ses propres enfants et celle de ses petits-enfants ? « La légitimité. La pratique quotidienne. Et puis, une certaine divergence dans l’éducation », assure Gilbert.
Pour ce grand-père désemparé, la problématique est d’agir à la bonne place. Où commence le rôle du grand-parent ? Où s’arrête-t-il ? Pour Geneviève Grandjean, psy et grand-mère, la règle reste exactement la même avec les petits-enfants au moment de l’enfance.

Le grand-parent est souvent sur le fil, entre ménager ses petits-enfants et respecter les préceptes éducatifs parentaux

« Les parents éduquent les enfants. Les grands-parents les accompagnent dans cette tâche. Ils font figure d’adultes de confiance, bienveillants et présents. Difficile ? Oui, ça l’est. Encore plus s’ils ont l’impression que leur ado est fermé·e. Et encore davantage s’ils ont le sentiment que le comportement de leur petit-fils ou petite-fille provient d’un manque d’éducation. L’adolescence peut accentuer ce qui apparaissait comme une divergence mineure. Mais leur mission peut justement consister à offrir à leurs petits-enfants un autre regard sur le monde. À condition que les parents soient d’accord. À condition également que cela ne soit pas source de conflits avec eux ».
Mais alors, si l’adolescence redéfinit le rôle du grand-parent, comment se joue-t-il désormais ?

Moins figé que les générations précédentes

Pour Anne-Solenn Le Bihan, psychologue et auteure du livre Si tu dis non, je vais chez mamie (Larousse), traitant du rôle des grands-parents d’aujourd’hui, trouver la place exacte est un enjeu complexe. Parce que les grands-parents d’aujourd’hui ne veulent pas coller à l’image de leurs propres parents. Ils accordent beaucoup plus d’attention aux centres d’intérêt de leurs petits-enfants. Ils savent par exemple ce qu’est un écran. Ils sont d’ailleurs eux aussi beaucoup sur leurs smartphones. Ils connaissent les jeux vidéo, sont plus ou moins familiers du web et des réseaux sociaux
« D’une façon générale, on peut dire qu’ils parviennent bien mieux que les générations précédentes à se maintenir à jour. Parce qu’ils restent actifs plus longtemps. Même après la retraite. Ils sont davantage ouverts et intégrés à la société. De plus, la relation qu’ils entretiennent avec leurs petits-enfants qui traversent l’adolescence est moins stricte que par le passé ».
Dans le cas de Gilbert et de sa petite-fille aînée, si la complicité ne saute plus aux yeux, ça ne veut pas dire qu’il y a rupture pour autant. Il y a un temps d’adaptation qui va se faire à un autre rythme. De nouveau, Anne-Solenn Le Bihan explique qu’il faut compter sur les aptitudes de son statut.
« Les grands-parents sont moins stressés par l’urgence du quotidien. Souvent, ils n’ont plus de contraintes professionnelles. Mieux encore, ils ne sont pas tenus de fixer des limites comme les parents. Ils sont perçus comme plus décontractés. Ce qui peut même agacer parfois les parents qui, eux, ont le nez dans le guidon. Pour éviter ces tensions, les grands-parents doivent eux aussi, quand c’est possible, respecter les règles prescrites par le père et la mère. »
Chez Gilbert, par exemple, l’écran est le souci majeur. Il est arrivé que Léa passe plus de dix heures par jour sur son téléphone. Ce qui est épisodique pour les grands-parents est une problématique quotidienne pour les parents. L’auteure nous explique que sur un tel sujet, il arrive fréquemment que des adultes soient un peu amers de voir leurs parents adopter vis-à-vis des petits-enfants une application plutôt cool des règles, alors qu’eux-mêmes ont reçu une éducation très stricte.
Le grand-parent est donc en équilibre périlleux. Il doit ménager tant ses petits-enfants que respecter les préceptes éducatifs parentaux. Gilbert relate une complication supplémentaire : « Mon fils est séparé. Nous sommes restés en bon terme avec mon ex-belle-fille et ils ont des points de vue très différents sur certains points. Les écrans, l’alimentation, le travail scolaire… ». L’occasion de rappeler de quels atouts disposent les grands-parents.

Les outils à disposition des grands-parents

Geneviève Grandjean rappelle une évidence : « Si changement il y a au moment de l’adolescence, l’être que vous avez devant les yeux ne vous est pas inconnu ». L’ado observe le monde avec un regard neuf, certes. Les grands-parents, eux, incarnent une sorte de permanence, une continuité de l’enfance perdue. Conseil des personnes interrogées : laisser traîner des photos, des récitations, des vestiges du passé. L’occasion de raconter et d’ancrer ces jeunes pousses dans l’histoire familiale. Par exemple, Maman aimait elle aussi le rap et a même fait le mur pour aller voir son MC préféré.
Le secret de Geneviève Grandjean avec ses ados de petits-enfants ? Les mettre à la cuisine. Et leur apprendre les mêmes choses pratiques avec les mêmes gestes qu’elle a enseignés à ses enfants. Le secret de la sauce américaine de ta maman ? Il vient de moi. Je te montre.
« Puis, c’est très émouvant de transmettre les choses que l’on a apprises, d’assurer la continuité. Ça s’applique à d’autres choses, comme réparer un vélo, faire des bricolages et pourquoi pas valoriser leur savoir-faire au passage. Leur parler comme à des adultes ». Ou de comprendre ce qui les passionne.
TikTok ne vous attire pas plus que ça ? Quand bien même, ça les habite. Demandez-leur de vous montrer. Tâchez de comprendre qui est cette Mercredi Adams. Constatez en effet que Finn Wolfhard est le plus beau garçon du monde. Essayez de ne pas fondre des tympans en écoutant Ariana Grande ! Sur les sujets plus délicats, jouez la carte de l’humour. Une relation conflictuelle avec un prof, un copain : aidez-les à prendre du recul.
Enfin, si plus tard, il ou elle ne passe plus voir ses grands-parents ? Les conseils des protagonistes sont emprunts d’une sagesse toute grande-parentale. Ne pas (se) culpabiliser. Montrer que vous êtes là et que la porte est toujours ouverte. « Je comprends que tu aies d’autres choses à vivre. J’ai hâte que tu viennes me raconter tout ça ». Vous les retrouverez très vite. N’oubliez pas que le grand-parent est bien souvent le plus précieux des refuges.

EN PRATIQUE

Les phrases à éviter

  • « Je ne reconnais plus la petite-fille qui était si gentille »
  • « Je ne suis pas éternelle tu sais, tu dois venir plus souvent »
  • « Ton cousin m’a dit une chose trop mignonne l’autre jour »
  • « Tu ressembles à ton père/à ta mère » (surtout si on parle de son beau-fils ou de sa belle-fille)
Retrouvez ici notre dossier Regard sur les nouvelles grands-parentalités

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