Développement de l'enfant

Aïcha, Rosa et Michiko, un pied dans chaque monde

Le métissage est un mélange. Qu’il soit ethnique, culturel, social, religieux ou linguistique, toujours il interroge. Mais les particularités pour les enfants issus de deux identités sont plus compliquées à vivre quand « cela se voit ». Pour le Ligueur, des filles et des mamans évoquent ce que cela fait d’avoir « un pied dans chaque monde ».

Ils sont systématiquement l’objet de projections, de fantasmes, de stéréotypes, de croyances ou d’espoirs fous. « Ce n’est pas dramatique, mais j’en ai marre, dit Ada-Laure, à la frontière de l’adolescence. Quand je me promène avec ma famille blanche, on demande si je suis adoptée. Dans le pays de ma maman, on m’appelle ‘la blanche’. Je ne suis ni l’une, ni l’autre : je suis les deux. Et je suis fatiguée de devoir expliquer. Tu te sens plus blanche ou noire ? Sachez que ça nous saoule ! ».
D’accord, ce n’est pas seulement cela, être métisse. On vous parlera de l’image merveilleuse, de la richesse d’appartenir à deux mondes. Soit. Mais les mots que l’on utilise ne sont pas neutres, ils décrivent la perception que l’on a de la différence, qu’elle soit positive ou négative, assumée ou souvent inconsciente. Parler des origines, de la couleur de la peau reste compliqué, même si « le monde devient de plus en plus métissé ».

Stratégies identitaires

Les enfants d’un couple transculturel sont héritiers d’une double appartenance, plus ou moins facile à vivre selon l’histoire et le climat familial. Martine Vermeylen, psychologue et psychothérapeute, a étudié les stratégies identitaires dans le cadre des familles multiculturelles. Les difficultés dues au métissage qu’elle a pu analyser tout au long de sa carrière s’inscrivent sur deux plans : linguistique et le vécu au sein de la famille.
« Généralement, la langue maternelle permet à l’enfant de construire sa pensée sur le plan symbolique. Dans les couples transculturels, il est préférable que chaque parent s’exprime dans sa propre langue à l’enfant. Malheureusement, cela ne se passe pas si facilement : la famille choisit une langue véhiculaire, l’autre est oubliée ou discriminée. »
Dans sa pratique, elle a distingué trois types de vécu par rapport au métissage : « L’idéal, c’est le métissage complètement assumé, bien vécu dans la famille, sans conflit. Il est expérimenté comme une richesse, l’enfant se sent à la fois d’une culture et de l’autre, le bilinguisme peut se développer sans problème. Il n’y a pas de choix à faire ».
Mais dans les cas où une culture domine au sein de la famille, il peut être très mal vécu, obligeant l’enfant à rejeter une identité au profit de l’autre, considérée comme moins intéressante. Le problème se posera au moment où le refoulé fera son retour : le jeune se sent floué, on lui a confisqué une partie de lui-même, parfois cette négation perdure de façon inconsciente et a des impacts sur la vie des personnes.
Enfin, celui que beaucoup vivent, c’est le métissage ‘disfracté’. Par exemple, l’enfant est Marocain quand il est avec des Marocains et est Belge à la maison. Cela peut se passer avec le langage : il ne parle que le néerlandais à l’école et rien ne peut laisser soupçonner qu’à la maison, c’est la culture francophone qui domine. Il opère une coupure nette entre ses deux identités, empêchant l’une de ‘contaminer’ l’autre. C’est l’appartenance stratégique, qui résulte en une construction identitaire complexe, permettant à l’enfant d’affronter les conflits sans perdre son identité. Cette distraction s’opère généralement de façon inconsciente.

Manque de représentation

« Il faut rendre visibles nos familles aussi », revendique Maeva. Blanche, d’origine espagnole, elle est maman de trois enfants métis français. Son mari est noir, d’origine comorienne et ivoirienne.
« Notre fils aîné a aujourd’hui 7 ans. Ses sœurs, 4 ans et 8 mois. Je n’ai jamais pensé que leur métissage allait poser problème. En maternelle, il a eu un véritable rejet. C’était très dur, il ne voulait pas être ‘marron’. Il m’a demandé pourquoi je n’avais pas choisi un autre papa ! Nous étions assez désemparés, nous avons parlé, argumenté : il n’était ni blanc, ni marron, mais caramel, café au lait ou doré, s’il préférait. Je n’ai pas su d’où cela venait, peut-être de l’école ? Je me suis procuré deux livres - Noir comme le café, blanc comme la lune et Le loup qui voulait changer de couleur - qui nous ont accompagnés. J’en ai parlé autour de moi, et j’ai constaté que beaucoup d’enfants métis colorés expérimentaient ce rejet de leur couleur. J’ai approfondi mes recherches sur les livres pour enfants. Dans le monde francophone, à part au Québec, il n’existe pas beaucoup de livres dans lesquels des héros noirs ou colorés sont les protagonistes principaux, vivent de véritables aventures. On trouve plutôt des ouvrages dans lesquels la couleur de la peau est un problème. Sur mon blog, j’ai rassemblé toute une série de titres très sympas à lire avec les enfants : c’est le thème le plus consulté aujourd’hui ! »

« Se dépatouiller avec ses deux cultures »

Les choses se compliquent lorsqu’un des parents fait partie d’une communauté en butte au racisme et à la discrimination sociale. C’est ce dont témoigne Aïcha, fille d’un père belge et d’une maman algérienne : « Ce qui est important, c’est de considérer le contexte dans lequel une personne grandit. Élevé dans la société d’origine d’un des parents, on est principalement en contact avec une culture. Par la force des choses, l’autre devient minoritaire en matière de présence et de représentation. J’étais pleine d’interrogations face à ma double appartenance. Combien étais-je arabe ? À moitié seulement ? Pas du tout ? Longtemps, je me suis considérée comme étant totalement Belge : mentalité, manière de penser, goûts ».
Plus tard, Aïcha réalise qu’elle a intégré des stéréotypes racistes par rapport au monde arabe : « J’en étais moi-même porteuse. J’ai accepté que finalement, je n’étais ni tout à fait Belge, ni tout à fait Arabe, mais à l’intersection des deux mondes. Je me suis mise à revendiquer un lien fort avec le Maghreb, je souhaitais investir mes deux cultures ».
Le couple qu’elle forme avec son compagnon métis (noir-blanc) s’est retrouvé sur les questions de mixité. « Nous avons un fils de 5 ans que nous essayons d’élever dans toutes ses cultures : un peu de belgitude, un peu de francité, du couscous, des beignets aux accras, il est Belge, il se sent un peu des îles, il sait qu’il a une grand-mère algérienne, voilà ! Sans que cela lui pose problème, il est curieux de nos pays d’origine, qu’il situe sur une mappemonde, il aime localiser les choses. Il a conscience qu’il y a des Noirs, des Blancs, que lui est plutôt bronzé ».

Chercher les pièces manquantes, toujours

« Chercher les pièces manquantes, toujours… ». L’expression est de Michiko Van de Velde, jeune femme talentueuse qui fait de son métissage l’objet de sa recherche artistique. Rencontrée en marge d’une exposition à Bruxelles, elle explique : « Le métissage est un travail : ce sont des morceaux de puzzle qu’il faut essayer de rassembler. L’impression de chercher des pièces manquantes, toujours ».
Une maman japonaise, un papa belge : issue d’une famille d’artistes renommés, elle vit sa double appartenance comme une évidence, son nom, c’est déjà son métissage ! Dans son cas, la question du territoire a représenté une richesse : « J’ai toujours vécu à Bruxelles, mais petite fille, j’ai eu l’énorme chance d’accompagner ma maman dans ses tournées autour du monde. Et chaque été, j’allais rendre visite à ma famille au Japon : ma mère tenait à ce que l’on connaisse notre culture japonaise, désormais profondément ancrée en moi, je parle la langue sans accent. J’ai aussi la culture de mon papa, néerlandophone d’Anvers ».

Répondre à l’attente des autres

Pour Michiko, le handicap dans le fait d’être métisse, c’est la sensation de devoir constamment relier entre eux des points épars. « Les gens s’attendent à ce que je sois au courant de tout sur mes deux origines : on me questionne sur le Japon ici, sur la Belgique là-bas. Le sentiment de responsabilité est énorme : c’est une forme de pression, je devrais être cultivée et maîtriser tous les aspects de mes deux cultures. Les gens questionnent mon identité, j’ai souvent l’impression d’être assise entre deux sièges. Malgré tout, je me sens très utile car je peux faire le lien, aider les gens à décoder : au Japon, le corps exprime beaucoup, je capte des choses que les Européens ne saisissent pas et je peux les traduire. Par exemple, on ne dit pas ‘non’, ce qui est difficile à saisir pour un Européen. Ma spécificité, c’est d’être à l’aise dans les significations. Les voyages avec ma maman m’ont permis d’observer beaucoup de choses, cela me passionne ».



A. K.

En pratique

4 conseils aux parents d’enfants métis

  • Penser au dialogue, aux rencontres. Leur expérience est particulière : sans forcer les choses, pouvoir discuter avec d’autres enfants de couples mixtes fait du bien.
  • Éviter de minimiser le fait que votre enfant peut être l’objet de racisme à l’école par les autres enfants et parfois aussi par les professeurs. C’est insidieux, des remarques déplacées, des généralités.
  • Les encourager à poser toutes les questions sur leurs deux cultures d’origine, surtout si un des parents a migré dans un contexte de rupture ou de difficulté.
  • Leur apprendre l’autre langue, faire en sorte au moins qu’ils puissent la comprendre. La langue renvoie à des réalités différentes.

À lire

  • Le loup qui voulait changer de couleur, de Orianne Lallemand et Eléonore Thuillier (Ozou).
  • Des livres jeunesse avec des héros de couleur, des livres sur le métissage ? C’est sur le blog de Maeva, une trentaine de titres pour commencer.
  •  Lumières, de Michiko Van de Velde. 158 mots pour décrire la lumière : écrit à quatre mains avec sa maman, ce livre est un hommage à la langue japonaise et au lien très fort qui unit. Sur bulkartbooks.orget michikovandevelde.com
  • Blanc foncé, de Claire Ruwet (Couleurs livres). Métissage, exil, un livre qui fait le pont entre l’Europe et l’Afrique.
  • Penser entre les langues, Heinz Wisman (Albin Michel).

Les parents en parlent

Ne jamais avoir honte 

« Je me souviens précisément du moment où je me suis rendu compte que je n'avais ni la couleur de ma mère, ni celle de mon père. Le choc... J'avais 5-6 ans. Un doute et une question : qui suis-je ? Le désir de ressembler à ma mère avec ses longs cheveux raides, ses yeux verts, sa peau de lait et l'impossibilité. Mon père trop lointain et trop noir dans ce monde de blanc pour que je puisse ou veuille m'identifier à lui. Un jour, il m'a dit que je ne devrais jamais avoir honte d'être Noire. Bien plus tard, quelqu'un m'a dit, dans le travail : ‘J'espère que tu ne seras pas qu'une belle mulâtre’. Je me souviens de la rage intérieure, de mon silence en retour. Ce jour-là, j’ai pris la décision de ne pas aller là où l'on m'attendrait. »
Rosa, maman de trois garçons

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