Loisirs et culture

Almudena Pano, La graine et le bâtiment (Versant Sud) + Expo Histoire en morceaux à Neupré

Almudena Pano, La graine et le bâtiment (Versant Sud)

Venue d’Espagne, Almudena Pano s’est fait d’emblée un nom dans le petit monde de la littérature jeunesse belge en remportant le prix de la première œuvre décerné par la Fédération Wallonie-Bruxelles pour Histoire en morceaux, publié chez Versant Sud. Ce prix a donné lieu à une exposition itinérante du Service général des Lettres et du Livre de la Fédération Wallonie-Bruxelles qui fait halte jusqu’au 25 mars à la bibliothèque de Plainevaux-Neupré en région liégeoise. Depuis, Almudena Pano a amplifié son œuvre avec une bande dessinée, Gloria (2023, Rue de l’échiquier), qui nous immerge dans un centre d’accueil pour mineurs, un livre de poésies de Lisette Lombé illustré avec Elisa Sartori, À hauteur d’enfant (2023, CotCotCot), et plus récemment, La graine et le bâtiment (Versant Sud), une fable politique sur la place que les unꞏes sont prêtꞏes à laisser aux autres. Ou pas. Sur les confrontations qui peuvent naître entre les humains et la nature.

Le livre : La graine et le bâtiment

Si ce titre, La graine et le bâtiment, peut intriguer pour un album jeunesse, la dédicace « Aux peuples en lutte pour un véritable partage. Aux réfractaires » apporte un indice sur la suite. Une première double page sur une fourmilière multicolore en coupe nous donne un autre indice sur qui sera la narratrice du récit. Elle nous présente le héros, Bo, qui pose ses bagages dans un cabanon après un long voyage. Vu de dos, on n’en saura guère plus à propos de cet homme d’apparence modeste. Lors d’un casse-croûte, son pain s’émiette. Un rouge-gorge en avait déjà profité dès la page de garde, sorte de préquel à l’histoire. Par un heureux hasard, l’une des graines échappe à sa gourmandise, germe et devient un arbre sur le lopin de terre de Bo. Jusque-là, une scène bucolique et calme, printanière, à l’image du jaune de la couverture.

Puis surgit une colonie de fourmis d’une nouvelle sorte, inattendue : des petits êtres noirs qui s’attèlent à ériger un bâtiment de plus en plus grand : palais, chapelle ou tour de Babel, nul ne sait, né d’un désir mégalomaniaque d’un autocrate capricieux. Ou plusieurs. Alors que s’érige la gigantesque construction, en totale opposition avec la modestie du cabanon, l’arbre grandit concomitamment, jusqu’au moment de bascule où le palais va manger tout l’espace physique du papier pour occuper celui de la nature. Une tension croissante entre deux mondes se met en place. Se dessine peu à peu la fable politique imaginée par l’autrice hispano-belge sur la place que les unꞏes sont prêtꞏes à laisser aux autres. Ou pas. Sur les confrontations qui peuvent naître entre les humainꞏe s. Sur le pouvoir et d’où il vient.

De l’architecture qui avale les fourmis humanoïdes ou de la nature accueillante à la communauté humaine, qui l’emportera ? Avec La graine et le bâtiment, Almudena Pano livre un album ambitieux sur les rapports de force et les choix de société. Transformer les hommes en fourmis laborieuses soumises aux appétits prédateurs de certains est un choix audacieux de la part de l’autrice-illustratrice, un choix qui s’inscrit bien dans l’air du temps. Les dangers et défis environnementaux sont inscrits en filigrane. Face aux risques encourus, l’artiste parie sur la solidarité et le sens du collectif pour sortir l’humanité des ornières dans lesquelles elle risque de couler. L’espoir donc, pour ne pas sombrer. Il n’est pas certain que les enfants décortiqueront toute la philosophie politique qui sous-tend ce récit, d’autant que le vocabulaire est parfois recherché, mais les illustrations d’Almudena Pano la reflète bien par la force de leur graphisme et des choix de couleurs parlants (à partir de 7 ans).

Almudena Pano, La graine et le bâtiment (Versant Sud)

L’expo : Histoire en morceaux

Pour ceux et celles qui voudraient découvrir autrement l’œuvre d’Almudena Pano, l'exposition autour de son album jeunesse Histoire en morceaux qu’accueille, jusqu’au 25 mars, la bibliothèque de Plainevaux-Neupré est une excellente occasion. Conçue par l’autrice-illustratrice espagnole, formée et résidant à Bruxelles, et son éditrice Fanny Deschamps, à la demande du Service général des Lettres et du Livre de la Fédération Wallonie-Bruxelles, suite à l’attribution, en 2022, du prix de la première œuvre en littérature jeunesse, cette exposition offre une autre manière de découvrir Histoire en morceaux.

Prix amplement mérité tant il allie intelligence du propos et subtilité de l’illustration. À partir d’un fait anodin (quel enfant n’a jamais cassé un objet important de la maison ?), Almudena Pano aborde une kyrielle de réalités et d’interrogations : les interdits, la joie de vivre, les craintes, la culpabilité, la tristesse, le besoin d’être consolé, etc. La petite héroïne a la chance d’avoir une mère compréhensive. Elle accepte l’erreur de sa fille et lui propose aussitôt de réparer le vase cassé par inadvertance. Le puzzle s’avère compliqué : chercher les pièces, les comparer, douter, regarder, coller, faire, défaire, recommencer, renforcer, assurer… Tout un cheminement qui s’inspire de la pratique japonaise du kintsugi. Celle-ci vise à recoller des porcelaines à l’aide de poudre d’or. Plus qu’une technique artisanale, le kintsugi propose une méditation sur la vie, les différents éléments dont elle est constituée. C’est là qu’Almudena Pano approfondit l’air de rien sa narration en suggérant que l’existence humaine est parcourue d’assemblages de faits et de trous, de mystères voire de secrets, de transformations aussi, dont celle du vase recollé qui ne sera pas tout à fait le même qu’avant mais habité par l’expérience vécue. Très intelligemment, quelques pages silencieuses montrent combien le regard de l’héroïne sur le monde a changé. Pour raconter cette histoire de résilience, Almudena Pano a choisi de laisser s’exprimer la petite voix intérieure de son personnage, soulignant de la sorte son évolution intime. Ses illustrations s’accordent parfaitement à la douceur du récit par le choix des couleurs, de multiples détails de la vie d’un enfant, la présence apaisante de la nature et d’un chat. Chaque page, quasi toutes horizontales, a manifestement été pensée pour accompagner le cheminement émotionnel proposé. Cet album original fait partie de la collection Les Pétoches des éditions Versant Sud. Elle propose des livres sur la peur, les peurs. Les enfants adorent jouer à se faire peur, mais quand celle-ci survient à l’improviste, il est important de pouvoir l’apprivoiser, de mettre des mots et de retrouver un apaisement. C’est précisément ce que propose aussi Histoire en morceaux (À partir de 4 ans)

Tout le mérite de l’exposition est de nous faire découvrir, en 3D souvent, la manière avec laquelle l’artiste conçoit son travail et le réalise. Elle met en avant cette idée de déconstruction et de reconstruction en évoquant les blessures de nos vies dont nous nous relevons plus forts. Différents éléments sont exposés que visiteurs et visiteuses pourront recomposer à leur guise : peintures, textes, vases, vidéo et totems géants constituent un univers coloré et joyeux, comme une ode à la vie !

À lire et à voir à la Bibliothèque de Plainevaux: rue du Centre 50 C à 4122 Neupré. Mardi 13h00-19h00 / Mercredi 10h00-16h00 / Jeudi 13h00-19h00 / Samedi 14h00-18h00. Contact et infos : bibliotheques@neupre.be. Tél. : 04/371 44 86 ou 04/371 43 17.

Affiche de l'exposition Une histoire en morceaux