Vie pratique

« Aux yeux de l’administration, je suis le père de ma fille et la mère de mon fils »

Montrer patte blanche pour accéder à la parentalité, c’est le sentiment partagé par trois couples homoparentaux

Une fois que l’enfant est là, qu’est-ce qui différencie les familles homoparentales des autres ? Nous avons posé la question aux membres de l’asbl Homoparentalités.

« Déjà qu’on est homo, alors faut pas en plus qu’on loupe notre rôle de parent », résume avec franc-parler Anne-Sophie Baptist, ancienne co-présidente de l’asbl Homoparentalités et fondatrice de parents arc-en-ciel.
« Avec notre fille aînée, on s’est mis beaucoup de pression. C’est grâce au témoignage de François, né d’un couple de femmes il y a trente ans que nous avons réalisé que nous n’avions pas besoin d’être de meilleurs parents que les autres. Que même si notre fille mangeait ses frites avec les doigts, on n’allait pas nous l’enlever », raconte Anne-Sophie. Cette pression, voire cette injonction à être de bons parents figure en tête de liste parmi les réponses reçues sur ce qui peut ou non différencier les familles homoparentales des autres.

Montrer patte blanche

« Quand on est un couple homosexuel, une grossesse n’arrive jamais par hasard. Elle est le fruit d’une réflexion », explique Maryse. Pour cette trentenaire jodoignoise, il a même fallu passer par un certain cheminement personnel.
« J’ai dû accepter de priver mon enfant d’un père et déconstruire mes propres stéréotypes pour m’octroyer le droit et la légitimité de devenir parent ». Elle démarre ensuite avec sa compagne une procédure d’insémination artificielle auprès d’un centre de procréation médicalement assistée (PMA) bruxellois.
Ce parcours de PMA, Isabelle et Caroline le connaissent bien. « Quand on s’inscrit, on doit justifier notre désir de devenir parent face à un psychologue. Comme nous avons eu un long parcours de quatre ans, nous l’avons rencontré à deux reprises. C’est chaque fois un stress avec l’impression qu’on doit légitimer qui on est, qu’on est un couple stable et qu’on sera apte à être parents », raconte Isabelle.
Montrer patte blanche pour accéder à la parentalité, c’est le sentiment partagé par ces trois couples. S’ils reconnaissent la pression qu’ils se sont mis pour devenir parents, ils s’accordent aussi pour dire qu’elle est le reflet d’une pression sociale qui voudrait que pour faire famille, il faut nécessairement un père et une mère. Cette idée a même été érigée en revendication par les opposants au mariage pour tous en France.

Depuis 2015, une nouvelle loi établit la filiation de la co-parente pour les couples de femmes. Elle peut ainsi devenir co-parente sans passer par l’adoption intra-familiale

Pourtant, nos familles se disent chanceuses, conscientes des avancées législatives de ces vingt dernières années qui ont permis à de nombreux couples homosexuels de fonder une famille. En 2003 d’abord, la Belgique légifère sur le droit à deux personnes du même sexe de se marier. Elle est le second pays à le faire après les Pays-Bas. Trois ans plus tard, c’est la voie de l’adoption qui s’ouvre. Puis en 2015, une nouvelle loi établit la filiation de la co-parente pour les couples de femmes. Elle peut ainsi devenir co-parente sans passer par l’adoption intra-familiale. Anne-Sophie a suivi de près et porté ces combats. « Oui, on peut faire des enfants, mais on s’est battu pour ça. L’enjeu, c’est de conserver ces acquis ».

Dépasser le mythe du complexe d’Œdipe

Le mythe du complexe d’Œdipe est une autre pierre d’achoppement pour les couples homosexuels qui désirent avoir un enfant. Comment faire pour assurer un référent féminin ou masculin quand on est un couple d’hommes ou de femmes ? Cette question est clairement posée par les professionnel·le·s de la santé. Elle s’impose même comme une condition pour accéder au graal de la parentalité.
Salvatore d’Amore, professeur de psychologie clinique de l’enfant, de l’adolescent et de la parentalité à l’ULB et psychothérapeute, relativise cet enjeu. « Pour bien se développer, un enfant a besoin de plusieurs tiers pour introduire de la différence dans son expérience psychique et affective. Mais cette fonction se joue indépendamment du genre ou du sexe. Le complexe d’Œdipe risque d’être quelque peu réducteur si on se limite aux deux parents. L’enfant triangule avec plusieurs tiers, j’utiliserais d’ailleurs plutôt l’image d’un cercle que d’un triangle ».
« On attend que les couples homosexuels rentrent dans la norme et dispose de modèles d’identification masculins et féminins comme si leur couple était incomplet, poursuit Noah Gottlob, psychologue clinicien spécialisé sur les thématiques LGBTQIA (lesbien, gay, bisexuel, transgenre, queer, intersexe ou asexuel). Cette norme renforce les stéréotypes de genre puisqu’elle enferme des personnes dans des fonctions qui seraient liées à leur genre ». Le psychologue poursuit sa réflexion un pas plus loin : « Sans les stéréotypes liés aux genres, il n’y aurait aucune différence entre un couple homosexuel ou hétérosexuel ».
Aujourd'hui, la recherche fait avancer le débat et démontre que les couples homosexuels prennent soin de leurs enfants et les éduquent aussi bien que les couples hétéros. Un pied de nez au diktat des normes traditionnelles.

Les réticences administratives

Si la loi permet à un enfant d’avoir deux parents du même sexe, les systèmes informatiques communaux trainent la patte pour se mettre à jour. Impossible pour Isabelle et Caroline de figurer dans la partie en bas à gauche de la carte d’identité de leur fils aîné. « Le système informatique ne permet pas d’enregistrer deux numéros de registre national de même sexe. Il faut le forcer », explique Isabelle.
Il y a encore quelques années, cela paraissait invraisemblable pour certain·e·s employé·e·s de l’administration. Isabelle témoigne : « On sentait de l’agacement face à notre demande de figurer toutes deux sur la carte d’identité de notre enfant et l’impossibilité de le faire au niveau informatique. J’ai alors sollicité un rendez-vous avec la responsable du service population pour faire bouger les choses. Je ne vis pas ça comme de l’homophobie, je comprends qu’on bouscule un peu le cadre et qu’il faut que les portes s’ouvrent ».
Même topo du côté des formulaires administratifs. Que ce soit pour la déclaration d’impôts, de revenus ou les formulaires d’inscription, les traditionnelles cases « père » et « mère » font grincer des dents. « Tous ces documents sont juste le reflet de la société hétéronormée dans laquelle nous vivons », constate Anne-Sophie. Avec le temps, la quadra herstalloise a appris à s’en amuser : « Aux yeux de l’administration, je suis le père de ma fille et la mère de mon fils ».
Anne-Sophie a dû adopter sa fille il y a dix ans pour obtenir le statut de co-parent. Elle figure ainsi à la place du père sur les documents officiels avec la mention « adoptée de » de sa fille aînée alors que pour son fils, elle a pu endosser le statut de mère puisque c’est elle qui l’a porté.
Heureusement, les lignes bougent et ce qui coinçait encore il y a dix ans se fait aujourd’hui de façon beaucoup plus fluide. Les familles qui ont répondu à nos questions se disent bien acceptées et ne rencontrent pas de souci particulier d’intégration. Parfois même, elles ont de bonnes surprises.
« Une des enseignantes de Marceau était particulièrement attentive et adressait toujours ses courriers à maman, papa et mamou - nom donné par les enfants à Caroline », se souvient Isabelle. Dans l’école des enfants d’Anne-Sophie, l’équipe enseignante a opté pour la formule neutre « chers parents » pour n’exclure personne et une attention est aussi portée au choix de bricolage adapté pour les fêtes des mères ou des pères.

Être reconnu·e pour exister

Malgré ces exemples qui réjouissent nos mamans, il y a aussi tous ces contre-exemples qui font que les familles homoparentales ne se sentent toujours pas pleinement intégrées. Elles font face à de micro-agressions au quotidien comme l’explique Noah Gottlob.
« La micro-agression ne porte pas d’attention malveillante, mais crée un climat malveillant. L’enfant peut se sentir rejeté ou invisibilisé si l’enseignant·e mentionne les papas et mamans. Le fait que son schéma parental ne soit pas reconnu peut causer des troubles chez l’enfant au niveau de son estime de soi, de son sentiment d’appartenance au groupe ou de celui de se sentir reconnu et légitime… Autant d’éléments essentiels au processus de construction identitaire. »
Et ce manque de reconnaissance se décline aussi dans la culture. « 98% des albums jeunesse représentent des familles hétéros, note Maryse. Dans les livres, c’est toujours maman et papa et ça intensifie le fait que, pour Merlin, il n’y a pas de papa. Il ne peut pas se projeter dans tous ces petits livres qui servent à ouvrir l’imaginaire de l’enfant et à le préparer à ce qui l’attend. Il y a des livres spécifiques sur l’homoparentalité, mais ce que j’aimerais c’est un Tchoupi va à la ferme avec ses deux mamans ».
Anne-Sophie confirme ce manque de représentativité du modèle homoparental, mais note que c’est aussi vrai pour les familles monoparentales, recomposées, endeuillées, avec enfant porteur de handicap... « On ne va pas obliger Mickey à devenir gay, mais c’est sûr que les nouvelles séries, personnages pourraient refléter davantage la diversité des modèles familiaux ». La militante se réjouit du fait que ces familles étant plus nombreuses, elles seront aussi plus visibles ce qui laisse espérer une meilleure représentativité pour la suite.
En définitive, les couples homoparentaux nourrissent le même désir d'élever des enfants heureux dans un monde qui tourne. Vues de l’intérieur, rien ne les différencie des autres. Vues de l’extérieur, elles doivent encore gagner un combat, celui d’être pleinement intégrées dans la société. De cette condition dépend tout le reste.
 

À chaque document administratif à signer, à la moindre rencontre anodine liée à l’école, il faut se mettre à nu

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