Vie pratique

Avril 1965 : emploi, le bon tuyau du Ligueur

Avril 1965 : le ligueur s'intéresse à certains professions, dont le plombier

L’ARCHIVE DU MOIS

Au mi-temps des années 60, le Ligueur entend livrer quelques pistes d’inspiration à ses lecteurs et lectrices quant à l’orientation professionnelle de leurs enfants. « Nous n’allons pas prospecter les métiers, les professions ‘classiques’. Nous avons eu, en vue, particulièrement, les adolescents qui, pour une raison ou l’autre, n’ont pas suivi la filière scolaire habituelle ». Et le magazine d’annoncer qu’il va débuter sa série par une profession « à première vue modeste » : plombier.

Pour aller chercher une information de première main, le Ligueur décide d’aller interroger un plombier pour récolter son avis, profiter de ses conseils. Petit problème, c’est qu’à la lecture de l’entretien, l’homme de métier pourtant « intelligent et très compétent » n’aligne pas forcément tous les arguments qui pourraient convaincre les parents. C’est que l’homme est colère et tout en suspicion. Sa première réaction est de savoir dans « quel but politique » est réalisée l’interview.
Puis, son « indignation monte au cube » au détour d’une question : « Naturellement, vous êtes comme ces bourgeoises qui nous arrêtent dans la rue et gémissent : ‘Vous les ouvriers, hein ! Vous en gagnez de l’or en barre !’ Et si je réponds à cette bourgeoise : ‘Votre fils sera-t-il plombier ?’. Il faut la voir sursauter ! Pensez ! Il serait bien bête, quand on peut avoir une chemise propre et rester le cul au chaud sur un coussin et compulser ses papiers sur un classeur ».
Le ton est donné. Le plombier laisse couler son amertume. Il se plaint des rentrées salariales, comparant ses 9 000 francs belges mensuels aux 40 000 de l’aviateur. Il condamne l’excès de paperasserie qui siphonne les bonnes volontés. Et dénonce les risques du métier. « La plomberie ? Une vie de chien : tous les jours sur les échafaudages, dans les courants d’air, la crasse, la sueur, le froid, les pneumonies ». Voilà un discours qui n’est pas vraiment dans la veine de ceux qu’on entend dans les salons d’orientation professionnelle.
Bon, en creux, on comprend que l’homme est un passionné du genre « qui aime bien, châtie bien ». Que son boulot, il l’adore, mais qu’il ressent comme un manque de considération, voire un mépris de classe. Deux experts recadrent l’interview. L’un estime qu’un plombier « capable à tous points de vue arrivera évidemment à une situation très enviable ». L’autre renchérit : « dans le pays entier, il y a toujours pénurie de plombier ».
Quelques semaines plus tard, c’est un horloger qui se prête au jeu de l’interview. Rebelotte. L’homme est remonté comme un coucou. « Si vous avez de l’argent, ouvrez un magasin d’horlogerie, vous gagnerez un bénéfice de 40% ; les miettes seront pour les horlogers de votre atelier. Vous les exploiterez ». Pourtant Marthe Englebert, qui signe l’article, était partie sur un tempo positif. « Je suis venue pour l’interroger sur son métier, un métier que vous, moi, beaucoup d’entre nous imaginons excellent ». Réponse de l’interlocuteur : « Eh bien, c’est faux ! L’horloger gagne difficilement sa vie ». Pas sûr que tout cela ait suscité beaucoup de vocations à l’époque, si ce n’est celles visant à défendre des professions mal considérées, victimes d’une espèce de snobisme et d’une certaine exploitation patronale.